Le cauchemar était revenu, du tréfonds du plus grand schisme qui ait secoué les années 80. Ce n'est pas une réalité alternative surgie dans un quelconque univers parallèle, mais après que le fléau ait frappé, il est certain que ce n'est plus un fait isolé. Des cheveux permanentés, des bandanas multicolores et autres pantalons moule-paquet, ces images ne laissaient pas place au doute, et ces accords sirupeux surmontés d'un chant aigu me soulevèrent le cœur, et j'ai appuyé sur stop d'un clic fébrile. On croyait pourtant les survivants du glam défaits et sans descendance, pour le plus grand bien de l'humanité. J'étais dans le camp d'en face, les thrasheurs aux cheveux gras, et sans jojoba , fier d'une éthique métallique immaculée.
Les parisiens de Harsh n'étaient à priori même pas nés à cette époque, et pourtant, ils se sont soudés autour de l'amour du hard des années 80, pas celui de Brigitte Lahaie et Alban Ceray, mais celui de AC/DC,
Van Halen,
Bon Jovi et autres
Def Leppard. Et je dois l'avouer tout bas, j'ai eu un jour une cassette de
Bon Jovi et plusieurs vinyles de
Def Leppard, avant de tâter du
Slayer pour grandes personnes. Alors qu'on a eu droit ces dernières années aux revivals du speed, du heavy, du thrash des années 80, le genre honni du glam/hard FM a semblé devoir rester enterré à jamais, si on excepte les potaches
Steel Panther.
Qu'à cela ne tienne, les quatre musiciens, Albert (chant, guitare), Séverin (guitare, chœurs), Julien (basse), et Léo (batterie), non contents d'écouter cette musique impie, ont formé Harsh en 2018, et ont sorti un single, ainsi qu'un premier EP "
Slave" dans la même année. Après quelques concerts, et un calendrier bousculé par la pandémie, ils ont mis en boite ce premier album autoproduit "
Out of Control". Il sort le 24 mars 2022, avec une pochette dont le tigre est tout à fait raccord avec la mode vestimentaire féline du combo, mais aussi avec l'énergie dont ils font preuve.
Mais heureusement pour moi, ce n'est pas aux mamelles de
Poison,
Cinderella et autres Europe que Harsh s'est abreuvé. On a affaire ici à un hybride des groupes phares des années 80 :
Bon Jovi,
Def Leppard, si vous n'aviez pas compris, mais aussi Guns n' Roses,
Van Halen en tête, avec un arrière goût d'AC/DC pour bétonner tout ça. La voix du chanteur est emblématique de cette synthèse : elle est tout terrain, avec un timbre très semblable à celui de
Jon Bon Jovi, et lorsqu'il pousse, des accents métalliques de Joe Eliott, voire Axl
Rose. Coté guitares, ce sont les esprits d'Eddie
Van Halen (sur "Good Lovin'"),
Slash dans l'énergie générale et les soli, et
Angus Young qui sont convoqués pour revenir hanter ces années putrides 2020. On trouve des riffs moteurs en majorité hard/heavy faisant penser au
Def Leppard époque "High and
Dry",
Van Halen, avec quelques incartades, comme cette temporisation interrogative qui amène le refrain sur "Good Lovin'".
On peut souligner la qualité de l'interprétation des musiciens, sans faille et avec quelques prises de risques. Par exemple, le batteur n'hésite pas à dépasser le minimum requis -les batteurs de glam ne se foulaient pas trop, il faut bien l'avouer- et apporter une variété bienvenue à ses parties. Harsh sait être joueur comme avec démarrage jazzy qui se transforme en riff heavy, le guitariste se montrant capable d'insuffler un grain de malice à un riff trop classique, avec des petits licks osés ("The Sound She Does").
C'est clairement un album de fans, à la gloire d'une époque révolue, qui réunit tout ce qui avait pu être remarquable dans le genre : un chanteur très mélodique et à l'aise dans les aigus, des soli de guitar hero, une basse chantante, des balades tire-larmes, des hymnes à chanter en coeur et des gros riffs simples et efficaces.
Il y a bien sûr les inévitables balades bon joviesques ("Believe Me I'm Alive", avec néanmoins un break bien heavy), ou
Aerosmithées à la guitare sèche ("A Better Tomorrow") sans qui le folklore ne serait pas complet. Le groupe ne reste pas non plus figé en 1985, à l'image du presque néo/ fusion de "
Never Let Go" plus heavy et bardé de quelques harmoniques.
Le principal bémol concernerait la production ; séparément, tous les éléments sont parfaitement audibles et sonnent, même la basse, mais l'ensemble manque un peu de punch et de relief. C'est un peu, en exagérant, la prod à la française des années 80, à la
Trust, en plus défini. A leur décharge, il faut bien dire que les références récentes de gros son moderne en glam et hard à paillettes ne sont pas légion : par exemple, dans un style approchant, les derniers
Steel Panther ou Def Léopard sont bien isolés et n'ont aucun point commun.
En conclusion, on pourra dire que Harsh s'est aventuré dans un projet hautement casse-gueule et a slalomé avec brio entre les chausses-trappes du revival que personne n'a envie de voir revenir. Ce qui aurait pu tomber facilement dans la caricature - sachant que
Steel Panther avait déjà fait le coup- se révèle être un bel hommage, un peu scolaire, certes, mais réussi et bien réalisé. Avec un premier LP de cette tenue, gageons que Harsh dispose d'une base solide pour faire découvrir les plaisirs du hard FM à un public candide, et rappeler des souvenirs aux ainés, mais aussi, espérons-le, pour développer un style plus personnel comme sur "Make the Law", peut-être un des titres où les filiations sont les moins identifiables.
Merci pour la chro et la découverte de ce jeune groupe français. En effet c'est pas mal du tout, "hold you tight" en particulier. Je cherche ce style de groupe mais chantant en français, as-tu quelque chose à me conseiller ?
Salut Electricman ! Merci pour le commentaire, c'est un bon petit groupe ... Je n'en connais pas trop dans le style en France.
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