« Nous dédions cet album à tous les fous qui sont enfermés mais surtout à tous ceux qui ont su rester en liberté ». Une pareille profession de foi figurant au verso de ce vinyle sorti en 1985 ne pouvait laisser insensible un jeune homme de vingt ans ayant irrémédiablement plongé dans l’univers musical du hard-rock quelques années plus tôt et friand de nouvelles découvertes, notamment issues de la scène tricolore !
Le résultat de la première écoute est aussi surprenant que la pochette de Jean Bocheux. Malgré un enregistrement effectué au Studio du Chien Jaune, le mixage cloche parfois en dépit d’un « gros » son. Un dangereux déséquilibre a pour fâcheuse tendance de placer les guitares trop en retrait au profit de la basse massivement mise en avant. Certes,
Strattson ne brille pas toujours par des soli démonstratifs au point d’étancher la soif des amateurs de prouesses techniques mais le quartette originaire de Vélizy délivre cependant un speed metal solide presque violent, saupoudré de thrash, avec d’excellents moments, même s’il s’avère parfois inégal dans sa restitution sonore.
Réunis en 1981, les fils Stratt, Jean-Claude, guitariste soliste et chanteur à la peau d’ébène, Fred, guitariste rythmique et co-compositeur avec JC de tous les morceaux de cet album, Lionel, à la basse et Fabrice dit « Brisfa » aux baguettes profitent de l’ouverture des ondes aux radios libres pour se faire connaitre. Muni d’une démo 8 pistes sous le bras enregistrée en cette année bénie de 1983, leurs démarches auprès des maisons de disques les conduisent à conclure enfin à l’automne de l’année suivante un contrat avec le label
Devil’s Record qui aura permis à bien des groupes français d’exprimer leur talent. En toute dérision,
Strattson intitulera son premier méfait «
Ouf Metal » en revisitant l’expression de l’époque ‘truc de ouf !’ à sa sauce.
La première déflagration des frères Stratt, qui sont frères autant que je suis la Baronne de Rothschild, vous cueille aux tripes sur le terrifiant « Face à la lune », opener sans fioriture dont le riffing thrashisant en arrière-plan rebondit en permanence sur la transe épileptique de la basse de Lionel. La monstrueuse section rythmique permet à JC de nous conter les déboires du loup-garou de Londres avec son phrasé épicé et habité par la bête. Peu aidé par les choix à la console, « Le Gladiateur de l’Infini » dévaste néanmoins tout sur son passage dans un déluge volcanique de guitares saturées. Le bolide avance pied au plancher en flirtant avec la limite sans s’offrir de sortie de route. Ca tartine à nouveau sévère sur « Le Blues » tracté par des guitares en fusion et une base basse-batterie qui balance du bois dans la chaudière. Etonnant parti pris de proposer un slap de basse sur « Speed
Machine » qui oublie dans le lointain les guitares quasi atmosphériques mais donne un effet de piston à la mélodie désordonnée. Bel effort sur les soli et clin d’œil au « Shine » de Mötörhead sur les breaks.
Strattson ralentit la cadence avec «
Vengeance » dont on se délectera du groove entêtant, sur lequel JC place quelques parties de chant animal, et de la morsure de guitare insidieusement tapie dans l’ombre. Dommage cependant que « Le Bourreau », mid tempo diesel, soit desservi par un horrible reverb sur les couplets. Le riffing et les parties de manivelle parviennent finalement à faire décoller ce titre en bout de piste mais il aurait mérité un meilleur traitement.
On apprécie le heavy crasseux de « Les Loups », bien dans l’esprit du
Satan Jokers de l’époque, qui s’appuie sur une excellente ligne de basse et une mélodie de twin guitares au carré. Toujours dans un registre plus lourd, l’introduction à la guitare claire de « Ténèbres » s’efface sur un morceau sombre tout en chrome rutilant, à l’atmosphère malsaine et aux soli aériens. Cet ilot de finesse laisse présager qu’à défaut d’originalité,
Strattson sait infuser les codes du heavy metal dans sa signature musicale.
L’empreinte toute personnelle du groupe se fige pour la postérité dans l’ambiance lourde et chaloupé de « Au cœur du Temps », titre emblématique qui reprend les principaux ingrédients de leur griffe : basse imposante, riffing obsédant, batterie sèche et chant oscillant entre conte surnaturel et cri de possédé. Un break de mule et une pointe d’accélération expédient ce morceau sur l’étagère déjà bien fournie des réussites made in France.
Premier opus qui sent bon la sueur, l’énergie et le soufre. Heavy-metal baroque aux limites du thrash,
Strattson ne parviendra pourtant pas à confirmer dans le temps, pour finalement disparaitre dans une dernière trainée de poudre.
Respect néanmoins à ces doux dingues pour ce témoignage d’une autre époque qui nous replonge dans la nostalgie et l’insouciance de nos jeunes années.
Didier – mars 2015
Pour
Dom'
Mais alors là, j'ai beau cherché, rien nada, peau de zob, jamais entendu parler de ce groupe!
Très bonne chro Didier, merci.
Du ouf métal tu dis? Hum, intéressant :-)
Je vais me le réécouter un de ces quatre, tiens !
Reçu depuis peu, il tourne en boucle et ne me lâche plus.
Album à la spontanéité et à l'énergie contagieuses, l'interprétation presque animal de J-C qu'on croirait échappé des Harlem Globe-Trotters (quelle dégaine !) et cette basse mixée en avant en font un régal pour mes oreilles. Le pied ! Ténèèèèèbreeeeees !!!!
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