Nouveau venu dans l'antre metal symphonique à chant mixte, ce combo allemand originaire de Kamen, plutôt que de chercher à essaimer ses riffs coûte que coûte, s'est précisément laissé le temps nécessaire à la pleine maturité de ses gammes et de ses arpèges avant de se lancer dans l'arène. Cela étant, sorti de terre en 2014, le prudent collectif teuton n'accouchera de son premier bébé, «
Opus Secretus », que dix ans plus tard. Aussi effeuille-t-on une galette n'affichant guère plus de cinq titres au compteur – intégralement entonnés dans la langue de Goethe –, s'égrainant néanmoins sur un ruban auditif de près de 42 minutes et jouissant d'une production d'ensemble de bonne facture. Coproduit par Jan-Christian Oxe, le claviériste/vocaliste du groupe, et par Robin Mussmann, connu notamment pour avoir assuré ou participé aux enregistrements de certains albums de
Gloryful,
Night In Gales,
Symbiontic ou encore Symmetric Organ, l'opus n'accuse que peu de sonorités résiduelles tout en offrant une belle profondeur de champ acoustique. Indice révélateur d'une sérieuse envie d'en découdre de la part de nos acolytes...
Dans ce dessein, aux côtés de Jan-Christian (du groupe de metal mélodique allemand Oceansoul), s'agrègent les talents de :
Deborah, soprano au cristallin filet de voix ; Robert (Oceansoul), à la basse et au chant ; Mike, aux guitares ; Demian, au violon ; Jannik (Oceansoul), à la batterie. De cette collaboration de longue date naît un propos metal mélodico-symphonique progressif et opératique, dans la veine coalisée de
Therion,
Aesma Daeva,
Nightwish,
Xiphea et
Apocalyptica. Reposant sur une solide technicité instrumentale et oratoire, ce premier mouvement témoigne parallèlement de la féconde inspiration mélodique de ses auteurs. De quoi nous intimer d'aller explorer plus en profondeur le cargo, avec l'espoir d'y déceler l'une ou l'autre gemme profondément enfouie dans ses entrailles...
On observera, tout d'abord, que cette traversée en haute mer ne s'effectue que rarement sur une cadence effrenée, et lorsque nous y sommes conviés, la troupe s'ingénie à nous octroyer de chatoyantes séries de notes. Ce qu'atteste « Kapitel II: Der
Krieg, in dem die Götter Sterben », palpitant up tempo metal symphonique opératique aux riffs acérés, à mi-chemin entre
Therion et
Apocalyptica ; dans ce vaste champ de turbulences virevolte un violon libertaire corrélativement à de puissants et véloces coups de boutoir. Mis en exergue par un duo mixte en voix claires en parfaite osmose, au sein duquel les envolées lyriques de la sirène font mouche où qu'elles se meuvent, et calé sur une mélodicité toute de fines nuances cousue, le sanguin méfait ne se quittera qu'à regret.
Un poil moins pulsionnels, certains espaces d'expression pourront à leur tour nous aspirer dans la tourmente. Ce que prouve, d'une part, « Kapitel IV: Der Junge, der die Höhle Findet », mid/up tempo aux riffs crochetés au carrefour entre
Xiphea et
Nightwish. Recelant d'insoupçonnées variations rythmiques tout en sauvegardant une ligne mélodique des plus engageantes, sur laquelle se greffent précisément les fluides impulsions de la déesse, et faisant cohabiter de délicats arpèges pianistiques, un fougueux violon et une frondeuse rythmique, cette piste forte en contrastes, en dépit de sa complexe technicité instrumentale, n'aura pas tari d'armes pour asseoir sa défense. Moins immédiatement domptable, le mid/up tempo syncopé « Kapitel V:
Die Erste, die das
Ende Sieht » nécessitera, lui, quelques écoutes circonstanciées préalablement à son éventuelle assimilation ; jouissant simultanément d'une entame nourrie d'un fin picking à la guitare acoustique, d'enchaînements intra piste des plus sécurisants et d'arrangements de bon aloi, et malgré quelques tortueux harmoniques, cette plage à la fois théâtrale et tourmentée disposerait d'arguments suffisamment convaincants pour aspirer un tympan accoutumé aux vibes de
Aesma Daeva.
Mais ce serait à l'aune de ses amples pièces en actes d'obédience metal symphonique progressif que la formation germanique serait au faîte de son art. Ainsi, sous couvert de moult coups de théâtre et de subtils jeux de correspondances entre de truculentes ondulations émanant d'un violon enjoué et de sensibles gammes suintant d'un piano altier, l'opératique « Kapitel III:
Die Höhle, in der das Wissen Ruht » développe un message musical à la fois épique et romanesque. En dépit de la complexité des arpèges d'accords dont ses ponts instrumentaux s'en font l'écho, mais soutenue à la fois par les ensorcelantes modulations de la frontwoman et par un poignant final en crescendo, cette ''therionienne'' fresque pourrait bien faire plier l'échine à plus d'une âme rétive. Mais ce serait le dantesque et intrigant « Kapitel I: Der Schreiber, der die Welt Erschuf » qui détiendrait la palme. Au fil d'un voyage de près de 12 minutes, on arpente tantôt de souriantes clairières tantôt de venteuses vallées, sans pour autant se voir désorienté par un quelconque passage techniciste qui ne s'imposerait pas. Alors greffées sur une mélodie au demeurant agréable mais nullement aguicheuse, et suivies à la trace par un violon aussi solaire qu'empli de mélancolie, les chatoyantes empreintes vocales de nos deux tourtereaux offrent un joli face à face. Chapeau bas.
Au final, le combo nous livre une œuvre à la fois pulsionnelle, classieuse, énigmatique, et jouant à plein sur les effets de contraste rythmique pour tenter de nous rallier à sa cause. Et force est d'observer qu'aux fins de plusieurs passages circonstanciés, la sauce prend. Des exercices de style un tantinet plus variés et quelques prises de risques supplémentaires auraient toutefois contribué à valoriser davantage encore l'avenante et cependant complexe offrande. Marchant bien souvent sur les traces de ses maîtres inspirateurs, nos compères parviennent néanmoins à apposer leur sceau sur nombre de séquences d'accords. Témoignant, par ailleurs, d'une ingénierie du son plutôt soignée et de qualités techniques et esthétiques difficiles à prendre en défaut, cet initial élan, en l'état, serait susceptible de placer ses auteurs parmi les espoirs d'un espace metal qui ne les attendait pas nécessairement. Bref, des premiers pas d'ores et déjà affirmés entamés par la formation teutonne...
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