Seulement quatre titres et pourtant tant de choses à vous raconter...
En effet,
Acrassicauda, signifiant le scorpion noir en latin, est loin d'être un groupe banal alors même qu'ils viennent de sortir leur premier EP. L'existence et la survie de ce groupe revêt une symbolique très forte dans l'identité du metal, et je pèse mes mots. Il s'agit effectivement du premier groupe de metal irakien. Bien que cela puisse paraître en un sens anodin, en raison du fondamentalisme religieux, de l'anti-occidentalisme latent et de l'état de guerre civile qui sévissent dans le pays des deux fleuves, cela s'apparente à une petite victoire aux retombées idéologiques plus importantes qu'on ne le croit.
Je n'affirme pas cela sans fondement. Il suffit pour vous de regarder le superbe et prenant documentaire "Heavy
Metal in Baghdad", dont le groupe est le centre d'étude, pour vous en convaincre. Retraçant leur dure histoire, de la colère de la situation de peur constante en Irak, de ne même pas pouvoir se laisser pousser les cheveux, en passant par la tristesse après l'explosion de leur local d'enregistrement par un missile sûrement américain, mais aussi par le simple et complet bonheur de leur premier enregistrement, jusqu'à l'exode en Syrie avec son lot de culpabilités et de honte, tout cela avec l'intime conviction de ne jamais abandonner leur musique ; ce travail nous fait réaliser de l'immense background sentimental qu'
Acrassicauda transmet de par sa musique.
Alors que le documentaire nous laisse dans l'expectative de leur situation, c'est avec un mélange de soulagement et de plaisir qu'on accueille la venue de cet EP, signe de leur bonne santé, tandis qu'ils vivraient apparemment désormais dans une Turquie déjà plus tolérante. Que dire également du plaisir de voir leur rêve de gosse se réaliser le jour où ils rencontrent Ulrich et Hetfield, se voyant même remettre en personne une guitare dédicacée par ce dernier ! Comme quoi, parfois, le destin se provoque...
C'est après avoir partagé leur sort durant les cours instants, sans prétendre comprendre ce qui ne sera jamais pour nous compréhensible, qu'ont duré ces différents visionnages et enrichi de la compassion tirée de ceux-ci que je m'attaque à ce
Only the Dead See the End of the War au titre et à la pochette aussi superbes qu'évocateurs.
Acrassicauda évolue dans un thrash épique et mélodique, un peu à la manière d'un
Megadeth qui aurait piqué la rythmique d'
Annihilator et goûté à l'exotisme d'
Orphaned Land. Bien que musicalement différent, la comparaison avec les israéliens paraît presque inévitable de par l'idéal qu'ils peuvent respectivement représenter, comme deux versants d'un même miroir reflétant un unique idéal de paix au Moyen-Orient.
Bien qu'intrinsèquement assez classique, comme sur le direct "The Unknown" malgré une superposition bien pensée d'un riff posé et contenu sur une forte cadence, leur thrash est composé de manière très moderne avec un son puissant et efficace. Leur véritable atout consiste en un talent brut de guitariste en la personne de Tony Aziz, parvenant à travers ses multiples soli à dégager des sonorités à l'accent persan tout l'exotisme oriental. Un voyage musical au cœur de la Mésopotamie comportant aussi son lot de lamentations, comme sur "
Massacre" dont on apprend que le solo est la personnification d'une femme pleurant son fils.
Il faut aussi souligner qu'il est pour cela parfaitement épaulé par un batteur capable de jouer avec les silences et autres contretemps comme dans le second plan de "The Unknown", mais aussi de nous ressortir quelques rythmiques aux consonances parfois tribales, comme sur les séquences finales d'un "
Garden of Stones" à l'imagerie funeste forte.
L'allégorie macabre n'est d'ailleurs jamais très loin, comme sur le titre du même nom, plus sombre, lent et lourd, dont la complainte (dont vous trouvez la traduction une nouvelle fois dans le documentaire) en prélude posée sur un rythme militaire est à prendre avec une noire ironie. Un sentiment d'injustice dont je n'avais pas ressenti la puissance depuis la découverte du sublime "Innocent in Detention" de
Depressive Age. Dans ce même thème, "
Message from Baghdad" retentit comme une pluie de balles mélodique sur fond d'un tapis de bombes rythmiques.
Enfin, le chant est à la fois varié et profond, parcourant différents registres à la manière d'un
Warrel Dane de Nevermore, passant de légers growls à des chants proches d'un hybride entre la profondeur d'Hetfield période Black Album et le timbre de Kobi Fahri, dont la première partie plus mid-tempo du titre phare "
Garden of Stones" s'en fait la parfaite illustration.
Je vous prie humblement de bien vouloir m'excuser de m'être autant étalé pour seulement vingt courtes minutes de bon thrash, mais je ne saurais rester insensible et non concerné par l'histoire et la forme de courage dont ces jeunes irakiens ont fait preuve jusqu'ici. Il fallait bien leur rendre cet hommage, d'autant que le résultat est plus qu'encourageant, et nous laisse plein d'espoirs pour une suite à ne surtout pas manquer !
Souhaitons lui une carrière "à la Orphaned Land".
Quand j'ai vu que tu avais parlé d'un certain exotisme et qu'Orphaned Land était cité...ça m'a mis l'eau à la bouche et à l'écoute du titre que tu nous fais découvrir sous ta chronique, ça m'a conforté. Une sorte de thrash arabisant, non?
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