L’affaire n’est pas nouvelle, depuis l’ère du numérique, de l’internet illimité et du téléchargement, diabolisé à tort ou à raison, nombreux sont les groupes à ne plus pouvoir disposer des services de l’industrie du disque.
Les combos, inconnus aux oreilles du grand public, se comptent par milliers, perdu dans les profondeurs abyssales de l’underground, dans la noirceur d’une reconnaissance impossible et surtout dans les tourments financiers. Car, sujet tabou ou non, l’argent reste un moteur indispensable, sans qui il est presque impossible de proposer un produit immortalisé.
Les groupes sortant des albums avant-gardistes, novateurs, sans l’aide des labels, se font en revanche plus rares. Si l’œuvre immense de
Kalisia restera probablement dans les annales, nous pourrions revenir quelques années en arrière avec les autres français de
Symbyosis, lâchement évincés des rangs de Listenable Records.
Pourtant, suite à un premier "Crisis" nommé comme déjà culte, les français ont mis cinq ans afin de venir à bout de son concept on ne peut plus ambitieux : "On the
Wings of
Phoenix".
Présenté dans un coffret évoquant les jeux vidéo, c’est un luxueux double coffret qui se retrouve entre nos mains, avec pas moins de deux livrets, chacun représentant un disque et un thème bien précis.
Le premier disque peut ainsi se résumer à l’album en lui-même, tandis que le second, plus proprement affiché au stade de bonus, est un melting pot de morceaux réarrangés, d’une suite ("Crusades") du mini ep "The Fluid" ainsi que de nombreuses reprises complètement appropriées et personnelles.
Se plaçant à l’orée d’un death / thrash technique et d’un univers résolument angélique et enchanteur, "On the
Wings of
Phoenix" ne tarie pas d’inspiration tout le long de son ambitieux concept sur les rapports humains.
Mis en verve par un vocaliste (Corrosive Bob) disposant d’un organe on ne peut plus primaire et cru, sans aucune fioritures. Se rapprochant particulièrement d’un
Quo Vadis concernant la section rythmique,
Symbyosis va néanmoins très loin en matière de chœur et d’arrangements, malheureusement annihilés par une production roots au possible.
Le manque de moyen se fait cruellement sentir dans un son synthétique et plat, mettant très peu en valeur les riffs si inspirés, les magnifiques envolées symphonico-progressives ou encore les leads à fondre du mentor Franck Kobolt.
Le splendide "Truth" par exemple, à l’intro pleine de mystère, organique, qui voit déferler un blast furieux et surtout un texte très véhément sur les personnalités mensongères, est comme freiner par le son. Les chœurs, rappelant
Devin Townsend, ne paraissent pas naturels, mais pourtant, ils parviennent, comme doués d’un esprit, à nous toucher. Le lead est une petite merveille harmonique, mais l’enchantement ne parvient pas à être total, à notre grand désarroi.
L’excellence musicale est titillée, l’exploit créatif immense, il n’y a pas matière à en douter. Les pauses litaniques splendides de "The
Venom" par exemple, affrontant un riff lourd et pesant, et des leads tourbillonnant dans l’air, dévoilent une richesse peu commune dans le death. Les claviers, bien que cheap, sont si biens agencés que l’on se prend à rêver de ce à quoi aurait pu ressembler l’album avec une vraie production (et non une batterie en carton pate). Le phénoménal "Seizure of
Power", quand à lui, écrase l’auditeur sous un rouleau compresseur, l’étouffe de son blast absolument sublime, s’extirpant d’une crevasse presque ambiante en début de morceau. Le refrain, basé sur ce même blast, est une petite merveille alliant à la perfection mélodie rythmique et agressivité vocale, avant de se retrouver écartelé par un riff alambiqué et monolithique. Un morceau court mais très intense, à un moment où la production commence à devenir une habitude.
Mais dans l’ensemble, il faut garder à l’esprit un grand éclectisme, un défilement musical parfois plus proche du thrash technique pur ("Famine", ses lignes de basses slappés de folie et son solo frisant un
Meshuggah mélodique), un métal extrême typiquement français ("
Disease" et son jeu de cymbales à la
Scarve) ou encore des atmosphères mélancoliques sur le final "Apogee" voyant l’apparition d’une voix féminine enchanteresse.
Mais ce qui surprend le plus, c’est qu’au fur et à mesure que les écoutes s’enchaineront, l’on en viendra à penser que "
Phoenix Ashes", supposé être un disque bonus, s’imposera paradoxalement comme meilleur que le véritable album.
Un son meilleur, malgré la présence d’une boite à rythme (la différence est très mince) et surtout des compositions de haute voltige avec les "Crusades IV", "V" et "VI", des pièces épiques de death absolument superbes et aériennes.
Du rythme effréné de la quatrième partie (quelle ligne mélodique) avec un riff absolument génial et sa cavalcade de batterie en passant par la technique alambiquée de la cinquième. Quand à la sixième, s’ouvrant sur du Beethoven (9e symphonie), que dire si ce n’est qu’il s’agit d’une démonstration de talent à l’état pur ? Un riff épais, entêtant, une symphonie envoutante, parfaitement suivit par une boite à rythme impériale et impartiale (le blast en superposition est divin !), ouvrant un monde unique où très peu de groupe se sont engouffré avec autant de maestria.
Les reprises ont également le mérite d’être originales, que ce soit "The Loneliness of the Long Distance Runner" ou "Read Between the
Lies" qui ne sont pas forcément les premiers choix de Maiden et
Slayer. Quand à "When
Napalm Fits to
Skin", présenté comme un hommage à
Napalm Death, il souffre d’une production trop compacte, que la magnificence de "
Crusade VI" ou
Life avait presque oubliée.
Puis viendra l’extraordinaire "Quest of the Dolphin", titre le plus immense de ces vingt quatre selon moi. Très technique, syncopé, le titre nous emmène dans les épaisses cavités d’un death le plus beau qu’il soit, et ce, sans une once de chant clair. A l’écoute des chorus de guitare mélodique, on en vient à se demander comment pareille merveille a pu rester dans l’anonymat. Quand aux lignes vocales, aussi surprenantes qu’étranges dans leurs placements peu communs, elles surprennent toujours positivement dans cette texture crue presque malsaine.
Pour terminer, je tiens à dire quelques mots sur les deux livrets, chacun distincts. Si le premier retrace le concept dans des dessins relativement basiques d’extra terrestres, le second est démentiel. Que ce soit le visage de shiva sur la page de "Dreamchild", la magnifique double page centrale représentant une piste de décollage, le guerrier dans la salle d’un palais ou la démoniaque illustration de "Quest of the Dolphin", pleine de narquoiserie et de malsain (des requins aux sourires si dérangeants…), l’œuvre visuelle est très réussie.
Un double opus limité à 2000 exemplaires en tout et pour tout, et dont il ne reste actuellement que près de 350 copies sur le marché. Une œuvre à part entière, dont on ne regrettera que le manque flagrant de moyens, qui handicape malheureusement l’écoute globale de l’album.
Mais ne doutons pas que
Symbyosis reviendra, pour la claque ultime qu’ils sont capables d’infliger au métal. Nous serons présents…espérons que l’industrie du disque en fera de même.
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