Cantata Sangui. Un groupe jusqu'alors presque inconnu, gouttelette de sang vermillon dans l'océan tumultueux du métal nordique. En effet, "On Rituals and Correspondence in Constructed Realities" (qui sera désormais raccourci en un concis "On Rituals") est leur premier album, ceci malgré leur formation en... 1997 ! C'est donc une œuvre de maturité, d'autant que la structure du combo a évolué de nombreuses fois entre sa formation initiale et ce qu'il est maintenant, composé de six membres dont... deux bassistes et aucun guitariste ! Ici, la basse n'est donc plus la cinquième roue d'un carrosse menée par les riffs de la guitare, mais bien une composante majeure de l'ensemble de la musique du groupe. Une expérience qui n'est pas sans rappeler leurs concitoyens d'
Apocalyptica, dont la renommée vient de leur idée, également très originale, de remplacer les instruments à corde habituellement usités par... des violoncelles.
Leur style musicale est difficile à définir précisément, d'autant plus dans la vaste nébuleuse que forme le metal, dans lequel existent tant d'expériences musicales uniques qu'elles mériteraient un genre à elles seules. Il s'agit sans nul doute d'un groupe d'avant-garde... leur musique est en effet - comme assez souvent - un mélange de nombreuses influences mêlées - au nombre desquels on peut citer les
Doom, Black, Gothique et un rien de Heavy
Metal auquel s'ajoute un fort côté expérimental. Toutefois, l'expérimentation n'est pas totalement hermétique, à l'inverse par exemple de certains groupes comme
Atrox dont l'univers musical singulier peut être difficile à anticiper par des oreilles non-averties.
Par bonheur, cette vulgarisation ne se solde heureusement pas pour autant par de la simplification outrancière. Il s'agissait pourtant d'une des craintes possibles si l'on se base notamment sur la voix féminine ; pourtant, ici, rien de commercial ou de fade. Le timbre de la chanteuse possède un certain caractère, et étrangement, la voix pop renforce plutôt ceci. On évite donc les émotions souvent bradées du lyrisme qui se perd vite dans l'habitude, pour retrouver une vocaliste principale beaucoup plus sincère. La voix gutturale et sombre elle, n'est pas gadgétisée dans un simple effet d'esbroufe, pour faire "trve metal". Chaque chanson l'utilisant l'intègre d'une façon différente, que ce soit dans "
Seven Liers-In-Wait" où les deux voix forment un parallèle parfait, dans "No longer in the eyes of Alethia" où les réponses se font par moment en complément d'un passage féminin, etc. Le fond musical fait très bien son travail, les basses fournissant un son sombre, certaines fois par touches rythmiques, d'autres par un couverture sonore sourd, saturé, presque bourdonnant qui contribue à l'ambiance du groupe.
Car la musique, avant d'être une composition technique, est surtout une question d'ambiance et de ressenti. Et du ressenti, il y en a avec "On Rituals". On est en permanence balloté entre différentes sensations. On n'échappe bien entendu pas aux chansons qu'on ne se lassera pas de reprendre grâce à leurs refrains chantants (le très bon "No longer in the eyes of Aletheia", "Exaltata" ou encore "We'll have it on us" : chant très humain et vibrant allié a une ambiance musicale qui m'évoque un train fantôme -cf. 2'30''), ou encore en passant par les chansons plus conceptuelles ("In Half-life", un prologue, ou "Reality" qui se fait discret dans son acoustique bien qu'il fût apparemment l'origine du titre de l'album, et plus que tout "De profundis", ni plus ni moins qu'un chant grégorien), voire même par des chansons sombres et lourdes (
The Forgotten one) et enfin par des OVNIs tels que "Broken Stars", dont la richesse musicale qui évoque du folk dans son commencement avant de nous fournir un chant rauque doublé d'un clavier angoissant, pour virer à nouveau sur une musique plus rapide et tonique, puis de débuter une suite de notes mélancoliques simples ponctuées de coups de la batterie etc. J'ai vu parler de schizophrénie : on se rapproche davantage des personnalités multiples à ce niveau de variété.
La grande diversité des genres et des types musicaux entre chansons et à l'intérieur de celles-ci ne divise-t-il pas l'album ? Je pense que non. Car il y a une cohérence qui transcende la musique. Tous les thèmes sont mystiques et rattachés à la mythologie ; un bref résumé de chacun est donné sur le site officiel de
Cantata Sangui. Mais pas d'histoire kitch d'heroic fantasy ici : non. On fleurte avec les enfers, avec ce qui est dissimulé au cœur des ombres, où les courbes euclidiennes elles-mêmes se distordent : il y a un indéniable côté lovecraftien dans certaines chansons, comme "
The Forgotten One", une des plus lourdes et doom de l'album, ou encore dans la réinterprétation de faits historiques sous un angle plus dérangeant et impie (cf.
Lazarus qui évoque la dualité entre le diable et le messie, la frontière étroite entre mal et bien, quand on commence à faire le premier pour obtenir le deuxième : la nécromancie, ici. Je ne puis m'empêcher de trouver au superbe art de l'album un air de "tunnel avec une lumière blanche", qui est un reflet tout à fait véridique de ce qu'est "On Rituals" : quelque chose qui se situe dans l'entre-monde, entre fantastique et humanité, psyché et divinité.
En bref : un album solide quant à son ensemble autant qu'il est éthéré dans ses propos et sa musique.
Cantata Sangui et leur première publication dénotent une maturité musicale certaine, nous offrant ici un album de trois quarts d'heures sans guère de fausses notes. Bien sûr, on peut en trouver : parfois, les chansons se montrent un peu trop déstructurées, avec des coupures internes guère compréhensibles (là où Broken Stars assure une certaine continuité) ; "
De Profundis" est un peu lassant, par exemple, bien qu'il ne dure que quatre minutes. On manque peut-être d'un morceau emblématique, long et riche, par exemple ; rien d'important. Il ne fait aucun doute que pour moi, "On Rituals and Correspondence in Constructed Realities" restera une des révélations musicales de l'année pour moi. Et qu'écrire ma première chronique sur un album aussi intéressant est un véritable honneur.
bravo pour cette chronique, j'en ai les timpans qui frétillent
les Grecs de Necromantia biensûr...
Bel effort, j'ai hésité à commander ce cd quand j'ai su qu'on avait affaire à une voix féminine la plupart du temps, mais elle est originale et loin du commercial mielleux des Within Temptation et autres Theatre Of Tragedy. Belle oeuvre, tout simplement.
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