La scène black metal anglaise a toujours dégagé un je ne sais quoi d’unique, un caractère fantasque et exubérant qui fait en grande partie sa réputation et son identité. Que ce soit chez Cradle of
Filth,
Ebonylake, Ackercoke, The Meads of Aspdodele ou
A Forest of Stars, on retrouve un goût prononcé pour une musique baroque et théâtrale, délicieusement sombre et souvent empreinte d’un romantisme et d’une préciosité datés fièrement érigés comme étendards contre le matérialisme cru et vulgaire de notre monde moderne.
Old Corpse Road n’échappe pas à la règle. Quintette formé à Darlington en 2007, la troupe britannique a déjà sorti une démo, deux splits et deux albums dans un relatif anonymat depuis sa création, mais il y a fort à parier que ce nouvel album, sorti sur
Trollzorn à la mi-mai, contribue à leur donner plus de visibilité.
Avant toute chose, il convient de préciser que ce
On Ghastly Shores Lays the Wreckage of Our Lore est, à l’image de ce titre un brin long et ampoulé, une pièce exigeante de pas moins de 66 minutes, présentant un metal racé, riche et très travaillé aux atmosphères immersives.
Pas vraiment le genre d’album à s’enfiler à la va-vite pendant un apéro cahuètes/binouzes/concours de rots entre potes donc, d’ailleurs, les premières mesures du morceau éponyme ne trompent pas, intro instrumentale de 3,45 minutes avec ce mid tempo au riffing et aux mélodies un rien grandiloquentes et aux claviers omniprésents qui enveloppent le tout d’un halo fantomatique et mystérieux : le voyage sera épique et mouvementé, secoué par de terribles tempêtes et adouci par de radieuses éclaircies.
Pourtant, le tout reste très fluide et facile d’accès : Harbringers of Death embraye, titre très dynamique qui résume à merveille l’art musical et narratif des Anglais, un riff sombre et tranchant ouvrant le bal sur un tempo rapide, rappelant beaucoup
Hecate Enthroned dans cette ambiance de fin du monde mêlant blasts et claviers et cette alternance entre chant black très haut perché et growl guttural. On retrouve également des vocaux narrés et quelques passage plus atmosphériques, et l’utilisation des synthés, parfois à la limite du sympho, ainsi que ces hurlements filthiens font aussi évidemment souvent penser à la bande à Dani. Ceci étant dit,
Old Corpse Road ne se contente pas de copier ses glorieux aînés, et si elle dégage aussi cette aura gothique, la musique du quintette est moins exubérante et artificielle que celle de Cradle, partant moins dans tous les sens, et possède sa propre personnalité.
Black Ship s’ouvre sur ces doux arpèges rythmés par un tambour militaire, mélodie aux relents nostalgiques et patriotiques. Puis la nuit se lève, de lourds nuages noirs couvrent le ciel, notamment grâce à ce jeu de percussions martial qui instaure une montée émotionnelle progressive et ces claviers, toujours aussi présents, qui renforcent le côté hanté de la musique, procédant par nappes qui, par moments, prennent le pas sur les guitares. Ceci dit, l’équilibre entre les deux instruments est admirable, qui enchaînent et enchevêtrent leurs notes dans une symbiose parfaite, créant de longues toiles cinématographiques (en plus des 11,04 minutes de Black Ship, on a The Ghosts of the Ruinous Dunstanburgh
Castle, avec ses 16,26 minutes) : en effet, en plus des différents samples et bruitages qui habillent la trame narrative de ces huit titres (As Waves Devour Their Carcasses, avec le bruit des vagues et le chant des mouettes, titre gonflé de mélancolie et de résignation), un chant clair théâtral vient renforcer ce vent épique, tandis que la mélodie du début est reprise avec les sonorités solennelles de l’orgue.
Distinguons également Demons of the Farne, dont le début se perd dans ce brouillard épais et nous plonge dans une atmosphère lugubre, avec cet arpège désolé, ces plages de clavier menaçantes et ces chœurs graves et glaçants. Le morceau ne se fait jamais vraiment rapide ni violent mais matérialise cette noirceur impalpable de l’au-delà, aussi terrifiante que fascinante, les six cordes aigres aux mélodies dissonantes et les notes du synthé et du piano tissant cette brume spectrale pour un final qui nous fait frissonner, les hurlements des milliers d’âmes englouties des naufragés se bousculant en un maelstrom de plaintes à fendre le cœur.
Pour résumer, les Britanniques maîtrisent parfaitement leur art, alliant explosions de fureur et passages mélodiques tout en sensibilité avec une cohérence sans faille, et mettant leur musique au service de la création de cette atmosphère unique et épaisse qui nous happe totalement. Dans son style,
On Ghastly Shores Lays the Wreckage of Our Lore est un excellent album qui vous fera voyager pendant 66 minutes, vous ramenant au milieu de ces vieilles légendes maritimes oubliées pleines de vagues gigantesques, d’épaves éventrées, de malédictions et de fantômes vomis par les flots.
Indispensable pour tous les amateurs d’un black atmosphérique riche, épique, travaillé et émotionnel qui aiment s’évader mais qui, en cette période de pandémie, ne peuvent pas prendre le large…
Bonne chronique, pour ma part en écoutant cette album je suis retomber en enfance, mi années 90, en plein l'âge d'or du metal.
Tout est dit dans la chronique donc je ne vais pas déblatérer sur cet excellent album, je l'écoute en ce moment même et j'ai 13/14 ans à nouveau et c'est magique!
Merci de me l'avoir fait découvrir.
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