Alors que de plus en plus de groupes de death metal tentent de retrouver l’ambiance de caveau caractéristique des grands anciens ayant fleuri dès la fin des années 80, par goût, mais aussi parfois en réaction à la prolifération actuelle d’un death moderne, aseptisé et quelques fois sans âme, il devient essentiel pour certains acteurs de la scène de reconquérir non seulement ce feeling dark, macabre et poisseux, qui a tellement marqué au fer rouge le début des années 90’s, mais aussi d’apposer sa propre griffe dans le but d'éviter un mimétisme oldschool qui frise bien souvent l’overdose. Etre créatif tout en restant référentiel en somme. C’est vers cette voie que s’engage clandestinement le combo iranien
Nex Carnis en
2012.
Le défi est donc double, car faire du metal en Iran, constitue une véritable gageure. Entre les interdictions de se produire sur scène et la privation d’activités publiques pour les artistes du milieu, il n’y a qu’un pas pour blaster le banc de sa cellule. C’est donc sous le manteau qu’un certain Incruent commence à composer seul - guitare, basse & drum programming - une démo intitulée
Death of the Flesh (traduction en anglais du latin "
Nex Carnis"), sur laquelle growle son compère Asto Vidatu. Auto-produite en
2012 et faite de deux titres ceinturés d’intro/outro, ce premier jet démontre déjà de solides qualités de compositions, hélas desservies par une prod étouffée et une BAR déplaisante.
Désireux de passer à l’étape supérieure, et surtout de recruter un batteur humain apte à jouer ses compositions véloces (chose impossible en Iran visiblement), Incruent envoie donc deux de ses nouveaux morceaux à l’étranger à l’attention de ses batteurs favoris. C’est le Tchèque Jirka Zajic, batteur émérite de l’excellent
Heaving Earth, qui répond à l’appel en 2014. C’est à partir de ce moment là que
Nex Carnis émerge du charnier.
A l’image du superbe artwork créé par un certain Joe "
Ravager" Romero, le death metal de
Nex Carnis est sombre, tordu et diablement créatif. Il n’y a pas de grosses influences qui sautent véritablement aux oreilles, du moins pas immédiatement, mais au contraire un savant mélange de références prestigieuses issues du passé, mêlées d’une dynamique définie par la façon qu’a Incruent de lier, par un riffing simple mais catchy, les parties de batterie complexes et variées de Jirka. Ce dernier a en effet composé ses motifs rythmiques à partir des arrangements et parties de guitare envoyées par le leader de la formation, puis les a enregistrés au Davos Studio, en République Tchèque, au printemps 2014. Le ré-enregistrement des guitares durant l’été de la même année a suivi au Archsound Studio de Belgrade, puis la capture du chant caverneux et très profond de Asto Vidatu, qu’a finalement complété les lignes de basse de Sam, membre session et ami du groupe. Un enregistrement morcelé qui pourrait faire craindre un manque d'homogénéité dans le mix et l'écriture des morceaux, et pourtant...
Dès le premier titre, le carnassier "Darkened Rites of
Existence", la variété rythmique et percussive de Jirka apostrophe et renseigne sur un point : on ne s’ennuiera pas à l’écoute de
Obscure Visions of Dark. On alterne en effet tout au long de l’album, blasts secs et agressifs, avec des patterns oldschools en mode skank beats, des breaks à profusion (parfois suivis d’arpèges), des parties plombées en down tempo, des mids ambiancés et des accélérations vertigineuses.
Nex Carnis, ça va vite, très vite. Les frappes sèches et le jeu complexe en mode rafales épileptiques du batteur Tchèque sont un véritable défouloir (
Dissolution in
Vortex of Sanity), tandis que le riffing varié de Incruent, simple et immédiat, a pour lui d’être bourré de feeling en plus de permettre au deathster ivre de brutalité, de ne pas se perdre dans les motifs alambiqués et sans cesse matraqués de Jirka (Cryptic
Depths of
Unlight).
En ressort un son énergique, une atmosphère dark, notamment grâce aux quelques passages plombés qui rappelleront
Incantation et
Immolation (Murky Pits of Time ; Cryptic
Depths of Sunlight), une richesse de jeu - liée aux multiples changements de rythmes et conférant aux attaques et accélérations beaucoup d’efficacité - ainsi qu'un riffing pétri de trémolos et sans cesse changeant de la part d'un leader toujours apte à balancer de petits leads, tantôt furieux en mode essaim d’abeilles (Abolishing Rancid
Thrones of Descent ;
Dissolution in
Vortex of Sanity), tantôt lugubres et ténébreux comme lors du break de "Darkened Rites of
Existence" (à 03:35).
Impossible de ne pas succomber aux parties blastées qui clôturent souvent les morceaux et qui évoquent le martelage d’un Doc sur le terrifiant
De Profundis de
Vader par exemple, ni au compartimentage de certains titres : "Darkened Rites of
Existence" et son côté sud-am pilonnant ; "Descent into
Ethereal Realms", sa première partie purement instrumentale démontrant tout le savoir faire de Jirka, et la seconde, faite d’incartades plombées ambiancées et de power chords massifs et saccadés, que vient meubler le chant savamment chuchoté d'Asto. Et comment faire l’impasse sur "
Dissolution in
Vortex of Vanity", doté d’effluves
Morbid Angel délectables, dont même certains vocaux évoquent ceux de
Altars of Madness, ou sur l’ultime titre (Murky Pits of Time), prenant grâce à son riff central catchy, évoquant fortement la scène brutale brésilienne, et qui au détour d’un blast, révèle un feeling blackisant assez inattendu (à 01:33).
Incruent aura également eu la bonne idée, à l’instar du procédé lui ayant permis de recruter un batteur extérieur à l’Iran, de mettre à contribution des guitaristes du monde entier, chacun venant assurer un solo sur les deux tiers des morceaux : celui rageur et tout en vibrato du Hongrois
Disguster (
Tyrant Goatgaldrakona) sur "Darkened Rites of
Existence", celui plein de musicalité du Brésilien Rafael Barros (
Nephasth) sur "Abolishing Rancid
Thrones of Deceit", le lead mélancolique et vertueux du Polonais Jacek Hiro (
Sceptic) sur "Murky Pits of Time", et pour finir un petit solo bien sympa de Sam sur "
Dissolution in
Vortex of Sanity". Autant d’apports, qui finalement, font presque de
Nex Carnis une entité internationale, en plus d’égayer et de rendre encore plus passionnant, ce death metal inventif qui parvient à éviter avec classe le piège du patchwork de riffs.
34 minutes pour six morceaux faits d’un brutal death énergique et sombre, au son mixant habilement le death thrash agressif et rageur des late 80’s, le death metal macabre, lourd et noir, aussi alambiqué qu’innovateur des early 90’s, et la scène brutal death brésilienne, façon
Krisiun ou
Nephasth, au détour des années 2000. Pour résumer, un côté frais avec du vieux, mélangeant l’oldschool à quelque chose de fougueux, d’innovant et de profondément dynamique, qui en cette année 2015 a effectué une percée remarquée dans le milieu du metal de la mort.
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