Encore un énième groupe de metal symphonique à chant féminin, sans doute voué comme tant de ses pairs à une disparition prématurée des tabloïds, me direz-vous ? Et qui, en ces temps agités par la féroce concurrence dont ce registre metal continue de faire l'objet, pourrait bien songer à vous donner tort ?
Conscient des enjeux et des risques courus à se lancer tout de go dans la mêlée, ce combo tchèque né en 2017 à Prague, sous l'impulsion commune de l'auteure et interprète Zuzana Janiššová (Desideria,
Infinitas) et du compositeur, claviériste et vocaliste Lukáš Bradley, n'a nullement cherché à brûler les étapes pour tenter de faire entendre sa voix, loin s'en faut. Aussi, six longues années se seront envolées jusqu'à la réalisation de son introductif et présent album studio, «
Nová Země » ; une galette généreuse de ses 63 minutes où se dispatchent quelque 13 pistes, intégralement entonnées en langue tchèque. A l'aune de ce premier mouvement, le collectif serait-il dores et déjà en mesure de rejoindre les sérieux espoirs de ce si couru environnement metal ?
Dans ce dessein, nos deux maîtres d'œuvre ont habilement conjugué les talents de : Bára Čemusová (Atlas Coelestis) aux growls ; Radek Krupička aux guitares ; Petr Pour à la batterie et aux samples ; Miroslav Uher à la basse ;
Nicole Weishäuplová au violoncelle. Conformément aux codes du genre et afin de densifier quelque peu leur assise symphonique, nos acolytes ont sollicité pas moins d'une quinzaine de choristes chevronnés ainsi que l'expert doigté de Šimon Greško (Mr Scarecrow) aux claviers et aux samples. Excusez du peu !
Ce faisant, la troupe évolue dans un rock'n'metal mélodico-symphonique gothique aux relents folk, dans la veine coalisée de sources d'influence aussi éparses que
Nightwish,
Mayan,
Eluveitie,
Lyriel,
Midnattsol,
Gwyllion,
Atargatis,
Darkwell et
Metalwings. Jouissant d'une technicité instrumentale bien rodée ayant pour corolaire des lignes mélodiques finement sculptées et des plus enveloppantes, ce premier élan jouit parallèlement d'une production d'ensemble plutôt soignée, à commencer par une qualité d'enregistrement de bonne facture, n'accusant que d'infimes sonorités résiduelles. De quoi nous intimer d'aller explorer en profondeur les entrailles du navire, en quête de pépites cachées...
Si, comme souvent dans ce registre, le rideau s'ouvre sur une brève entame instrumentale, l'exercice de style s'effectue ici en deux temps, laissant alors entrevoir d'insoupçonnées variations atmosphériques doublées de seyantes séries de notes. Ainsi, sous couvert d'arpèges pianistiques d'une confondante fluidité voguant sur d'ondoyantes rampes synthétiques, l'aérien et a-rythmique « Zrození » se pose tel une sereine mise en bouche ; par un subtil fondu enchaîné, celui-ci se voit relayé par une seconde et plus substantielle pièce instrumentale, « Počátek » ; un brin tourmenté et investi d'un frissonnant violoncelle et de chœurs aux abois, ce mid tempo ne se fait pas moins enivrant.
Un deuxième constat s'impose: le combo ainsi constitué n'aura manqué ni d'allant ni de caractère, dévoilant par là même de sémillantes mesures dans son parcours. Ce qu'atteste, en première intention « Kurtizána a Kněz », up tempo aux riffs acérés, au carrefour entre
Mayan et
Metalwings ; infiltré par de truculentes notes organiques, décochant un bref mais fringant solo de guitare à mi-morceau, arborant un délicat solo au violoncelle et délivrant un entêtant refrain mis en exergue par les fluides impulsions de la sirène, le tempétueux effort ne se quittera qu'à regret. Dans cette énergie mais plus ''darkwellien'' en l'âme, le pulsionnel « Jenom Si Berem », lui, n'aura de cesse de nous asséner de virulents coups de boutoir, poussant alors à un headbang bien senti et quasi ininterrompu.
Un tantinet moins incisifs, d'autres espaces d'expression pourront à leur tour et sans ambages nous aspirer dans la tourmente. Ce que révèle, en premier lieu, « Pandořina Skříňka », mid/up tempo tourmenté aux riffs épais, à la confluence de
Gwyllion et
Mayan ; manquant un zeste de rayonnement mélodique mais recelant de saisissantes accélérations ainsi qu'un bel effet de contraste oratoire – les claires inflexions de la belle venant en contre-point des growls caverneux d'une bête revêche –, l'intrigant méfait ne saurait être éludé. Non moins tortueux, le complexe « Karneval » offre, lui, une poignante triangulation oratoire, où voix claires – masculine et féminine – et growls féminins évoluent à l'unisson, pour un résultat tenant toutes ses promesses. On pourra toutefois regretter de frustrantes linéarités harmoniques émanant d'un inlassable break à mi-piste déclenché. Enfin, l'accroche s'effectuera plus immédiatement sous le joug du sémillant refrain dont se nourrit « Padlí
Andělé », chevaleresque et ''gwyllionien'' mid/up tempo syncopé.
Quand le rythme de leurs frappes se fait moins alerte encore, nos acolytes trouvent à nouveau les clés pour nous retenir, un peu malgré nous. Ainsi, investi d'un flutiau gracile, inoculé de chœurs chatoyants et enorgueilli d'un vibrant solo au violoncelle, « Sedm Vran » se pose tel un jovial mid tempo rock'n'metal symphonique folk que n'auraient sans doute renié ni
Eluveitie ni
Elane. Dans cette dynamique, et dans l'ombre de
Mayan se place « Říše Věků » ; ce faisant, on effeuille une authentique et intrigante offrande aux relents orientalisants et nourrie de séquences d'accords peu courues et qui, au fil des écoutes, dévoilent tous leurs charmes.
Au moment où ils nous mènent en des terres plus apaisantes, nos compères se muent alors en de véritables bourreaux des cœurs en bataille. Ce qu'illustre, tout d'abord, « Zima », céleste et a-rythmique ballade dans le sillage coalisé de
Metalwings et
Atargatis ; magnifié par de délicates gammes au piano, instillé de notes étirées d'un mélancolique violoncelle et porté par les angéliques oscillations de la maîtresse de cérémonie, l'intimiste moment se charge en émotion au fil de sa progression. Dans cette mouvance, on pourra encore porter une oreille attentive sur « Nový Den », ballade romantique jusqu'au bout des ongles et aux airs d'un slow qui emballe ; voguant sur une sente mélodique finement sculptée et des plus poignantes, sur laquelle se cale le limpide filet de voix de l'interprète, l'instant privilégié pourrait bien se jouer de toute tentative de résistance à l'assimilation de ses soyeuses mesures.
Mais ce serait à l'aune de ses deux amples pièces en actes symphonico-progressives que le combo serait au faîte de son art. Ce à quoi nous sensibilise, d'une part, « Převozník », une opératique fresque sous-tendue par de sensibles et invitantes gammes pianistiques, déroulant ses quelque 8:46 minutes à la fois des plus enveloppantes, empreintes de mystère et un poil "gorgonesques" ; d'abord romanesque et tout en délicatesse, le plantureux méfait ouvre peu à peu ses ailes, essaimant alors deux poignants soli, l'un émanant d'un larmoyant violoncelle, l'autre, d'une lead guitare enjouée. A mi-chemin entre
Nightwish,
Eluveitie et
Metalwings, l'orgiaque offrande évolue, à son tour, sur le schéma oratoire de la Belle et la Bête, que vient renforcer en le densifiant l'imposante muraille de chœurs. Et la magie opère sans tarder. Investi par de puissants roulements d'un tambour martial, recelant un jeu de correspondances aussi subtil que troublant entre un piano aux abois et un violoncelle libertaire, surmonté d'un ''floydien'' solo de guitare et souligné par des chœurs en faction et opportunément positionnés, l'opulent et complexe « Osvobození » ne saurait davantage se voir esquivé.
Au final, le groupe tchèque imprègne son introductif message musical d'une invitante dynamique d'ensemble et de séries de notes des plus subtiles. Ce faisant, nos acolytes nous octroient une œuvre volontiers vitaminée, parfois techniquement complexe et/ou tourmentée, un brin romantique, que l'on se plait à (re)parcourir, et ce, sans escale prématurée. Diversifié sur les plans atmosphérique, rythmique et vocal, variant ses exercices de style à l'envi, et jouissant parallèlement d'une ingénierie du son dores et déjà bien huilée, c'est dire que les atouts de cet essai sont loin de manquer à l'appel. On pourra toutefois regretter quelques linéarités mélodiques, de trop timides prises de risques et des sources d'influence encore insuffisamment digérées. Cela étant, à l'instar d'un premier mouvement aussi enjoué et habité que pénétrant, le collectif disposerait d'un arsenal suffisamment étoffé pour espérer rejoindre les sérieux espoirs de ce segment metal. Wait and see...
Note : 15,5/20
J'avais peur que la barrière de la langue soit un problème...et malheureusement ça l'a été!
Autant je trouve la musique très prenante, autant la voix de la chanteuse (vraiment désolé de le dire) m'insupporte. Le deuxième souci, c'est que j'ai beaucoup de mal avec certaines langues et malheureusement, à l'écoute, le tchèque ne me plaît pas du tout sur de la musique Métal (J'ai le même souci avec le français qui est beaucoup trop subtil pour ce genre de musique. À la limite, cela sied mieux à la poésie).
Mais ce n'est que mon avis bien sûr et il n'est absolument pas dans les intentions de choquer qui que ce soit avec mes propos!
PS : tes chroniques sont toujours aussi plaisantes à lire!
Merci pour ton retour, Jo! Je comprends tes réserves et les respecte, pas de souci. Il est vrai que la barrière de la langue pourrait représenter un handicap pour un groupe probablement amené à évoluer à l'international. L'anglais serait donc souhaitable dans cette dynamique là, j'en conviens. A voir peut-être au prochain album, qui sait?
Sinon, la technicité instrumentale du groupe me paraît solide, ses mélodies me semblent bien travaillées et assez agréables, quand le violoncelle, lui, se fait poignant. Il faudrait encore que le combo personnalise davantage ses harmonies tout en s'efforçant de rendre le propos un poil plus accessible qui'il n'apparaît pour espérer impacter plus largement un auditorat déjà sensibilisé à ce registre metal. Affaire à suivre, donc...
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