En 1986, David DeFeis, emblématique leader de
Virgin Steele, avait accepté un deal avec son label, auprès duquel il était endetté ;
Cobra Record effaçait son ardoise en échange des droits d'exploitation de 3 albums composés anonymement pour des groupes fictifs. Et il avait un mois pour torcher l'affaire. Le premier disque de cette série est le second opus de
Piledriver, une formation ponctuelle signée aussi sur
Cobra ; il est enregistré avec Gord Kirchin, le chanteur de
Piledriver, et Ed Pursino, le guitariste de
Virgin Steele, joue et partage les compositions avec David. Pour le second album, il est décidé de créer de toutes pièces un groupe qui sera nommé
Exorcist : en effet, DeFeis et Pursino ont eu envie de surfer sur la vogue de l'occultisme initiée par
Venom,
Slayer et
Mercyful Fate et de développer un concept album autour d'une très libre interprétation de l'histoire des sorcières de
Salem.
Et du coup, un premier problème émerge. Mike Paccione, qui tenait la basse sur le « Stay Ugly » de
Piledriver, devait continuer sur l'album d'
Exorcist où il était aussi supposé chanter.
Mike Paccione (les yeux exorbités) : Mec, tu veux vraiment me faire chanter ça ?!?
David : Ben oui. C'est marrant, non ?
Mike : Nononon, c'est pas marrant du tout. C'est satanique. C'est super-satanique. Je peux pas chanter des trucs comme ça mon pote.
David : Rhooo allez, c'est pas sérieux, c'est juste pour rire.
Mike : No way, mec, je veux pas mettre en péril mon âme immortelle. Et tes lignes de basse aussi, elles sont méga-sataniques. Oh no, please
God help me !!!
Et de s'enfuir en courant et multipliant les signes de croix...
Bon, on n'est pas dans la panade. En fin de compte, la basse sera partagée entre David, Ed et Joe O'Reilly, le bassiste de
Virgin Steele. Quant à la voix, il ne reste plus qu'un chanteur de disponible, non ? DeFeis va donc s'y coller, mais son timbre et son style sont éminemment reconnaissables : or, le cahier des charges précise bien qu'on ne doit pas soupçonner
Virgin Steele derrière la sortie.
Musicalement, c'est assez facile : «
Nightmare Theatre » déroule un Speed
Metal agressif bien éloigné du Heavy emphatique de
Virgin Steele, encore empreint sur «
Noble Savage » de traces résiduelles de
Hard Rock. Pour la voix, c'est une toute autre histoire, et on reste ébahi devant l'aptitude de David DeFeis à torturer son organe pour le rendre méconnaissable. « J'essayais, dit-il, de croiser la voix de Lemmy, de
Cronos, et je ne sais pas, d'un pirate ou quelque chose comme ça ». Il adopte des artifices bien curieux, tel celui d'interposer entre sa bouche et le micro une cannette de bière (WTF ? Ai-je bien compris l'interview?).
Débarrassons-nous d'emblée des limites de l'exercice. Le rythme plus ample et plus posé de « Queen of the
Dead » érode mécaniquement l'agressivité des lignes vocales ; et la musicalité du refrain de « Black
Mass » trahit l'incompressible lyrisme du chanteur. C'est sûrement pour cela que DeFeis a été très tôt soupçonné d'être l'auteur du méfait, bien avant qu'il ne l'admette.
Pour le reste, la réussite est confondante. Habitué aux feulements suraigus, il se complaît dans le profond rugissement du fauve sauvage (normal pour un «
Lion », du reste). Il se cantonne aux registres graves, voire très graves, et les décline d'une voix rauque et cassée. Il est méconnaissable sur la monocorde et volubile éructation d'un « Burnt offerings » au rythme endiablé. L'inspiration Lemmy est flagrante sur « Riding to
Hell », par ailleurs très Motörheadien. Il est énorme de noirceur malsaine sur l'intro de « Death by bewitchment », titre qu'il déroule ensuite avec une rage haineuse et hystérique sans exemple dans son répertoire passé et futur. Il touche au grandiose avec «
Lucifer's
Lament », ouvert sur un mugissement d'outre-tombe : son exceptionnel registre lui permet, sans recourir au growl, de se promener le long de lignes plus basses que basses, ténébreuses et caverneuses, réellement effrayantes et qui confinent à la plus extrême bestialité.
Dès lors, le rapport à l'extrême, et tout spécialement au Black, peut être questionné. Holà, holà, on se calme, les intransigeants Gardiens de la Vraie Flamme Noire ! Je vois déjà qu'anticipant la prochaine pleine lune, vos poils rêches de loup-garou se hérissent. Il n'entre pas dans mon propos de classer DeFeis parmi les pionniers de la première vague du Black
Metal, sur laquelle il semble s'aligner par la thématique et la tonalité. Rien à voir avec la fureur déstructurée d'un
Hellhammer ; par contre, avec
Bathory, on peut s'interroger. DeFeis ne connaissait sans doute pas, sans quoi il eût tenter d'acidifier sa voix à l'image de celle de celle de Quorton. Mais si le premier LP du Norvégien dépasse de très loin «
Nightmare Theatre », on y découvre une même appétence à la haine, une semblable voix mixée en retrait (pas banal chez DeFeis!). En plus crade, les premiers efforts de Quorton sur la compilation « Scandinavian
Metal Attack » ne sont pas si éloignés de ce que tente
Exorcist. Notamment The
Return of
Evil and
Darkness.
Mais on doit plus parler d'un développement parallèle issu du couple maudit
Venom et Motörhead : l'un, séminal, donnant naissance au Black
Metal, et l'autre, une impasse de l'évolution culminant sur un ténébreux Heavy Speed sans descendance. Si la voix de DeFeis peut faire douter, deux éléments sont sans appel.
Primo, le second degré est flagrant. Quand on se croit emporté dans une vague « pure evil », une succession de samples, de titres courts narrés ou d'intros et d'outros vient relativiser l'ambiance. Les voix féminines contrefaites prêtent à sourire, la théâtralité outrée du verdict (« The
Trial ») est too much, l'anachronique et incongru accident de la circulation après « Riding to
Hell » remet les compteurs à zéro... On manque l'immersion, jamais recherchée, dans le Mal assumé.
Secundo, le travail de Pursino est sans ambiguïté. Délibérément mis en avant par choix et libéré de la stricte discipline à laquelle l'astreignent les compositions soignées de
Virgin Steele, il se lâche. Si l'instrumental « Megawatt
Mayhem » est un peu superflu, la moindre de ses interventions est un pur régal guitaristique dans le droit fil d'un Speed
Metal débridé. Mention spéciale pour le long solo de
Lucifer's
Lament, un titre décidément bien contrasté.
En dépit du caractère contraint et du temps limité de l'exercice, DeFeis et Pursino ont consacré plus de soin à la composition de «
Nightmare Theatre » qu'aux deux autres albums abandonnés à
Cobra Records. Il a d'abord fallu pas mal de répétitions à David pour mettre au point sa nouvelle expression vocale. Surtout, ils se prennent au jeu et investissent beaucoup d'eux-même : DeFeis exprimera plus tard sa frustration et avouera que sans l'oukase de
Cobra, l'album qui aurait succédé à
Noble Savage aurait sans doute sonné différemment de « Age of Consent ». Au reste, des titres d'
Exorcist réapparaîtront dans la discographie ultérieure de
Virgin Steele : une version (très) modifiée de Call for the
Exorcist resurgit dans « The House of Atreus Act II », sous le nom de
Fire of Ecstasy ; et dans le « Nocturnes of
Hellfire &
Damnation » de 2015, Queen of the
Dead et Black
Mass font un tardif come back.
Autant dire que la seconde saison d'« un DeFeis paie toujours ses dettes » est plus qu'une anecdotique commande de circonstance enregistrée sous la contrainte. C'est tout simplement un must-have pour tout fan de
Virgin Steele. Profitons-en, la réédition de 2016, malgré ses trois versions successives assez redondantes, rend tout à fait abordable cet étonnant «
Nightmare Theatre »
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