11 ans déjà s'en sont allés depuis la sortie du contrasté et attachant « Meta[t]ron » avant que le quintet autrichien ne revienne en studio, infiltré par une flamme qui jamais ne semble l'avoir quitté. Aussi, se remet-il en selle, avec, dans ses cartons, un plantureux album full length, le troisième du genre, baptisé «
Moloch », distribué par
Massacre Records, livrant 11 titres s'égrainant sur un ruban auditif de 45 minutes en version CD. Une vivifiante offrande que l'on doit communément au guitariste Mathias Nussbaum (IronStone, TrustNo1, ex-
Angry Angels, ex-Zuflucht), au bassiste Roland Wurzer (TrustNo1, ex-
Evenfall, ex-
Angry Angels, ex-Otus Scops, ex-
Sarcasm Syndrome, ex-
Siegfried), au claviériste
Raphael Lepuschitz (ex-
Divine Temptation, ex-A Nice Carcrash, ex-Invariant, ex-Zerberus, ex-Patient
Zero, ex-Zuflucht), au batteur Michael Bachler, venu en remplacement de Moritz Neuner en
2012 et à la chanteuse Alexandra Pittracher, déjà présente sur les deux premières rondelles et ayant relayé Stephanie Luzie (
Atargatis) en 2013.
Pour rappel, créé en 1999, le combo originaire d'Innsbruck est déjà à la tête de trois galettes, à savoir, deux albums longue durée («
Suspiria » (2000) ; « Meta(t]ron » (2004)) entrecoupés d'un EP («
Conflict of Interests » (2002)). Des arrangements de bonne facture conjointement à de solides compositions ont à la fois impacté un public grandissant et contribué à le voir accroître son aura en concert. Concernant son rayonnement scénique, au cours de cette période,
Darkwell a participé à d'importants festivals en Europe (Eurorock, Summer Breeze,
Metal Female
Voices Fest à Wieze (Belgique), Wave-Gotik-Treffen, entre autres) et à des tournées couronnées de succès aux côtés de
Tristania,
Leaves' Eyes,
Atrocity,
Vintersorg,
The Sins Of Thy Beloved, parmi tant d'autres. Et ce, jusqu'en 2007, avant une longue interruption pour des raisons personnelles. Si l'idée d'un retour germa en
2012, avec la réintégration d'Alexandra, ce n'est qu'en 2014 que le groupe décide de réenclencher officiellement la machine.
Une cohésion groupale d'expérience et de talent qui nous convie à une production d'excellente facture, à commencer par un enregistrement propre, un mixage ajusté, des finitions passées au peigne fin, réalisés aux Mirror Productions, à Innsbruck (Autriche), que l'on doit à Stefan Graf et à Roland Wurzer. Un travail en studio qui a pris le temps nécessaire à la pleine maturité du message musical, pas moins d'un an et demi ayant été requis pour l'accouchement du dernier-né, et ce, dans des conditions optimales. Quant au mastering, effectué aux
Hammer Studios, à Hambourg (Allemagne), il relève de la patte experte d'Eike Freese (
Apocalyptica,
Gamma Ray,
Lord Of The Lost). L'artwork de la jaquette, pour sa part, a relevé du trait affiné, aux tons sobres et d'inspiration historique, de Jasmin Elisabeth Wanner.
On comprend que le combo autrichien, que d'aucuns n'attendaient plus vraiment, remet le couvert avec des armes instrumentales plus affutées, quelques aménagements atmosphériques et une empreinte vocale renaissant de ses cendres à la clé, mis en exergue par une production carrée, nette mais non aseptisée. La sarabande ainsi constituée et investie cristallise une sérieuse envie d'en découdre dans un registre metal gothique à chant féminin pourtant galvaudé. Pourront-ils alors tenir à distance les jeunes formations aux dents longues et gagner leurs lettres de noblesse, appelées de leurs vœux, auprès de leurs pairs à l'aune de cette toute nouvelle livraison ? Une introspection circonstanciée dans les arcanes du propos s'impose...
Tout d'abord, une série de titres rythmiquement offensifs dévoilent quelques charmes insoupçonnés et qui, pour certains, pourront nous renvoyer à quelques bons souvenirs. A commencer par l'entame de l'opus. Ainsi, le sculptural et graveleux «
Moloch », offensif titre éponyme d'obédience atmosphérique gothique à la touche électro, déroule un tapping effilé et déploie d'aériennes nappes synthétiques, évoluant de concert, et par contraste, sur une assise percussive sèche et modulée, qui n'est pas sans rappeler l'ambiance éthérée de « Metat[r]on », ni quelques vibes dans le sillage de
The Gathering. A la différence près d'une empreinte vocale claire, propre à celle qu'on a pu découvrir sur «
Suspiria », premier effort du collectif autrichien, la maturité des vocalises en prime. Dans cette dynamique, le virulent «
Clandestine » lâche ses riffs crochetés calés sur une rythmique lipidique pour une traversée sur des charbons ardents. Un engageant sillon mélodique nous embarque aisément dans les tréfonds d'abyssaux espaces finement mis en relief par les sulfureuses modulations de la belle. Enfin, là encore, dans la veine de
The Gathering, des séries d'accords d'une précision d'orfèvre doublées d'une indéfectible cohésion instrumentale nous assignent définitivement à résidence.
Plus encore, un riffing massif et torturé étreint une rythmique aérée sur «
Save My Sight », entraînant moment servi avec les honneurs par une sirène aux patines translucides nous lançant un appel qu'on se fera fort de suivre. De subtiles variations de tonalité imprègnent couplets et refrains, pour un parcours mélodiquement sécurisé, plus en touche qu'immédiatement immersif. Au fil des écoutes, on se surprend à adhérer aux séries de notes ainsi coagulées sur les portées de la partition au point de ne plus manifester le désir de s'en détacher. Enfin, un climat de torpeur envahit de toutes parts le vénéneux et mystérieux « Yoshiwara », plage metal gothique à la saveur doom, rythmiquement bodybuildée, nous amenant à suivre un serpent synthétique dans les entrelacs filandreux d'un marécage tourbillonnant. Ce faisant, une faible lueur mélodique nous parvient de cette piste, celle-ci jouant davantage sur les effets atmosphériques auxquels des arrangements parfaitement réglés nous confrontent. Doublés d'une progressive embardée orchestrale, ces derniers y gagnent cependant en impact auditif, in fine.
Plus en retenue de par leur rythmique, d'autres passages offrent également quelques moments aptes à éveiller d'authentiques plaisirs mêlés à d'autres, en définitive, moins immersifs que prévu. Ainsi, une envoûtante et énigmatique ambiance se dégage de « Im Lichte », low tempo aux riffs lancinants et filandreux, dans la veine d'un
Sirenia, dernière mouture, avec un zeste de
Draconian. Sur ce vaporeux parterre organique s'étirant à loisirs, dans une atmosphère invariablement crépusculaire, on aurait toutefois souhaité un décollage, en vain. Pour sa part, sur une rythmique syncopée, «
Golem » louvoie, tangue, mais jamais ne perd le fil de son tracé mélodique, nuancé et éthéré. Rappelant l'atmosphère du premier effort du groupe, on accroche au cheminement harmonique autant qu'aux circonvolutions vocales de la douce, aptes à nous pousser à une adhésion prématurée. Et ce, même si l'on aurait été en droit d'attendre quelques variations ou effets de surprises, bien rares sur ce terrain-là. Sinon, des riffs en tirs en rafales nous accueillent sur le mid tempo un poil orientalisant « Bow
Down », titre doom gothique à la rythmique plombante et aux harmoniques complexes et bien menées, non sans rappeler
Forever Slave. Tout serait allé pour le mieux si un tracé mélodique ne nous avait pas égarés en d'insécurisants chemins de traverse et n'était pas sujette à la répétibilité, et si la ligne de chant ne s'était pas montrée aussi sobre et linéaire. Moins convaincant encore, de fuligineuses distorsions d'une lead guitare enragée nous accueillent sur «
Fall of
Ishtar », vrombissant mid tempo aux accords peu convenus mais pas malhabiles, loin s'en faut. Toutefois, la répétibilité du schéma mélodique pourrait desservir une piste pourtant techniquement aboutie, où crissent les riffs et où grogne une basse acariâtre, que n'aurait pas reniée
Tristania. Dotée d'une ligne vocale aérienne mais peu oscillatoire autour de sa ligne médiane, cette plage aura quelques difficultés à tirer son épingle du jeu.
Par ailleurs, lorsqu'il se livre à d'intimistes séries de notes, si le combo témoigne de quelques prouesses, de tenaces insipidités émaillent également ses mots bleus. C'est sur de doux rivages, dans la veine atmosphérique d'un
Leaves' Eyes des premiers émois, que se projette «
In Nomine Serpentis », power ballade progressive aux riffs acérés et étirés, suivant un flux ininterrompu de câlinantes et angéliques volutes oratoires dispensées par la déesse.
Pas de doutes, on est aux prises avec une émouvante ronde, enjolivée de fines nuances mélodiques et octroyant de fugaces mais saisissantes accélérations. Bref, un voluptueux instant que l'on ne quitte qu'à regrets. D'autre part, des riffs gras arc-boutés sur une rythmique en low tempo nous embarquent sur «
Loss of
Reason », romantique escapade mise en habits de soie par les graciles volutes de la princesse. Dans ce bain orchestral aux doux remous, les refrains offrent leurs plus beaux atours pour tenter de déclencher une pointe d'émotion, et force est d'admettre qu'ils y parviennent d'un battement de cils. On aurait toutefois espéré que les couplets soient de la même trempe. Petite mais gênante carence qui, au final, rend le morceau plus agréable qu'imparable.
Enfin, comme pour nous inviter à ne pas quitter prématurément le navire, le combo a gardé un emphatique morceau pour le souffle ultime. Aussi, la fresque de clôture, «
Awakening », livre ses 7 minutes d'un voyage tourmenté, aux lueurs mélodiques finement esquissées sur les refrains, plus diffuses sur les couplets. Dans cette mouvance, les aériennes impulsions de l'interprète s'inscrivent parfaitement dans les espaces prêts à les recevoir, bien que de plus amples sinuosités n'auraient pas été superflues. Au final, c'est en demi-teinte que l'on aborde la fin de notre périple, le morceau s'étirant en d'inlassables et brumeuses séries de notes.
A l'issue de l'écoute de l'opus, on se trouve écartelé entre deux sentiments : celui d'avoir affaire à une production racée qui s'est affinée, solidifiée, densifiée, offrant flamboyance, mysticisme et romance, d'une part ; ressentir une pointe d'amertume, peu de diversité atmosphérique, de pâles lueurs mélodiques jouant à cache-cache avec de radieux accords, aptes à partiellement réensemencer ces mornes plaines, de l'autre. Quoiqu'il en soit, le temps de la maturité instrumentale et vocale a sonné, ce qui s'en ressent sur chaque portée de ce set de partitions. Reste à entrer dans la tourmente, ressentir la force des éléments nous traverser et adhérer aux déambulations, parfois audacieuses, de l'expérimenté quintet. Processus d'assimilation lent et progressif, qui n'a de chances d'aboutir qu'au bout de plusieurs passages circonstanciés. On comprend donc que l'on a affaire à une oeuvre à part entière à dompter pour l'adopter...
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