Meurtrières est un combo de quadragénaires lyonnais formé en 2018, voué au Heavy
Metal à l'ancienne et qui va rester aussi instrumental que méconnu avant de trouver au bout d'un an sa voix (et on l'espère, sa voie) : une voix féminine en l'occurrence, celle de Fleur, dont le nom ou le pseudo ne doit pas tromper sur la marchandise. Sa diction toute en hargne la met parfaitement d'équerre avec la musique brute et nerveuse de ses camarades. Mandatée pour écrire et chanter des lyrics d'inspiration médiévale, elle va remplir sa mission avec un rare brio.
J'ai cru trouver une influence Punk à ma première écoute de cet EP, impression qui s'est dissipée lors des passages ultérieurs de la galette. Cela n'aurait rien eu d'étonnant compte tenu du background Punk et Hardcore des quatre fondateurs. Mais non, plus rien. Je me suis demandé si ce n'était pas la voix de Fleur qui m'évoquait, par exemple, les ineffables chanteuses de Crass, Eve Libertine et Joy de Vivre : ben non, après vérification, rien à voir. J'en ai déduis que je me suis fait prendre en flagrant délit d'assimiler énergie sauvage et totale implication avec le Punk, un truc que je déteste chez les autres. Comme quoi faut pas hésiter à balayer devant sa porte, j'irai me flageller au knout en écoutant du Rap. Heu, non, quand même pas le Rap, le péché n'est pas si mortel.
Meurtrières est à 100% du Heavy old school qui puise son inspiration dans la rage pleine de panache qui anime les deux premiers Maiden.
Sans vouloir minimiser le rôle des mâles de l'équipe, ce premier EP éponyme est une affaire de femmes. Le nom, tout d'abord : même si
Meurtrières fait référence aux étroites embrasures verticales des fortifications médiévales, le double sens ne peut être éludé. Le superbe artwork ensuite, avec cette blonde cavalière saluant de l'épée un improbable château fort, si haut perché qu'il ferait passer Montségur pour un EHPAD accueillant des invalides moteurs. Bien sûr, la voix de Fleur en rajoute une couche, pas d'une technicité imparable mais d'une attachante personnalité. Enfin, les 5 titres qui composent l'EP retracent des figures et des destins de femmes des temps médiévaux : on en conviendra, ce n'est pas banal dans notre musique de brutes chargées de testostérone.
Je vais refréner mes instincts d'historien, cette fichue engeance de rabat-joie, et éviter de pointer les soupçons d'anachronisme et de romantisme des textes (j'aurais jamais dû lire pendant le confinement les « Dames du XIIe siècle » de Georges Duby) : la licence artistique est reine. Il n'en est pas moins amusant de deviner quelles sont les damoiselles ainsi évoquées. Aliénor, là c'est fastoche, c'est la fameuse Aliénor d'Aquitaine. Le texte de Rosae
Bellum laisse peu d’ambiguïté, la mystique Hildegarde von Bingen, écrivaine, musicienne et naturaliste vient immédiatement à l'esprit. À la Spatha est plus ardue ; un croisement du nom d'Aiga et de l'an 823 me donne une Aiga, mariée avec Radulf de Cahors mort en 823. Toutefois, pas de mention de spatha, l'épée longue de l'antiquité tardive. Je coince un peu sur l'héroïne de La Déferlante : Yseut ? Quant à celle de La Fille du Cerbère, langue au chat, merci pour vos suggestions.
Cinq titres, donc, et aucun d'anodin ; bien individualisés, illustrant la large palette expressive de Meurtières, à même de mettre en œuvre un Heavy old school échappant au stéréotype. L'auto-production est honnête, bien que j'aurais parfois aimé un mixage moins en retrait de la voix de Fleur.
La Fille du Cerbère est emporté par un rythme sec et lourd, pesant staccato d'une vieille mitrailleuse Maxim, aéré par un intéressant break vocal aux 2/3 du titre : c'est
Judas Priest qu'évoque ce titre tendu. Les autres morceaux donnent plus dans le early Maiden, avec un bon équilibre entre la rage et la mélodie. Mais cette inspiration n'est pas une servile imitation. On rend grâce à l'excellent bassiste Xavier de ne pas chercher à copier le style de Harris. Par définition, l'organe de Fleur est fort éloigné de celui de
Di'Anno. Les parties de guitare de Flo et d'Olivier n'ont rien à voir avec la flamboyante technicité du couple Smith-Murray, et s'illustrent surtout par une superbe efficacité en rythmique. Un seul vrai « duel », terme galvaudé mais en l'occurrence approprié : celui d'Aliénor, introduit par le péremptoire « en garde ! » de Fleur.
La Déferlante illustre le côté mélodique de la Vierge de Fer.
Seul mid-tempo d'une galette passablement énervée, le titre est introduit par une brève intro acoustique soulignée par le jeu de cymbale et suivie d'un long silence.
Pas de solo sur cette chanson, portée par une rythmique seulement émaillée de courts leads, parfois en arrière-plan, avec un riff plein de rondeur et de chaleur. Et par la voix de Fleur, magistrale et presque caressante, à l'ampleur tout à la fois sereine et chargée d'intensité dramatique.
Le bouillonnant Rosae
Bellum est aussi dominé par le riff, implacable cette fois, et guidé par un chant exultant, omniprésent et dominateur. L'ardeur de Fleur n'est en rien amoindrie par le passage instrumental saccadé et le tempo plus posé qui le suit : elle n'en martèle pas moins ses paroles avec la plus vive des convictions.
Plus équilibré, le frénétique Aliénor pourra être plus facile d'abord, avec son allure de charge de cavalerie, ses incessantes variations de rythme et de thèmes, sa mélodicité régulièrement disputée par quelques discordances.
En toute subjectivité, j'avoue que mon chouchou est l'opener À la Spatha, parfaite synthèse de l'art de
Meurtrières. Maidenienne en diable, la longue ouverture instrumentale de 1'40 est un pur régal. Fleur intervient sur le renforcement du tempo, un riff simple et abrupt que souligne la déclamation précise et vindicative de la chanteuse. Un break parfait, acoustique et ponctué de brefs power chords, intervient alors que la voix de Fleur semble se briser à l'acmé de son chant. Repart un fort riffing épaulé par un léger lead, et Fleur redémarre sur un tempo alourdi, plein de puissance et d'assurance.
Je ne sais si le songwritigng de Fleur s'est adapté aux compositions instrumentales d'origine ou si ce qui nous est donné à entendre est le résultat d'un compromis ; ou si la formation a trouvé d'emblée son idéale incarnation vocale. Sans parler de compositions très complexes, il n'y a guère de linéarité dans les titres de cet EP.
Seul Alénor présente un vague refrain, hystérique et appuyé sur de stridentes guitares. Pour le reste, on est dans le poème en prose, joliment allusif et soutenant la belle rythmique par des phrases courtes, agressives et souvent nominales.
Au bout du compte, on obtient, sinon une véritable originalité, une forte personnalité collective à même de soulever l'enthousiasme. Il est difficile d'isoler chimiquement les éléments qui séparent une énième daube de NWOTHM et un Heavy traditionnel plein de fraîcheur, mais cet EP éponyme de
Meurtrières se classe sans aucun doute dans la seconde catégorie.
Erratum : je me suis bien planté pour l'héroïne de Rosae
Bellum, il ne s'agit pas d'Hildegarde mais de Christine de Pizan, femme de lettre et musicienne du XIVe ; en guise de pénitence, j'irai pieds nus et en robe de bure faire un pèlerinage sur la tombe de la Dame. Quant à La Déferlante, elle évoque la guerrière viking Inghen Ruaidh, du Xe siècle.
Ha zut, je n'avais pas cette info :(
Espérons en effet que ça ne cassera pas la dynamique initiée par ce premier effort prometteur, il serait dommage que l'aventure s'arrête si tôt...
Une raison a été donnée à son départ ?
le 28 Aout, le groupe faisait passer ce message sur les réseaux :
"Hésitez pas à faire tourner l'info !
On cherche quelqu'un sur toute la France.
Contactez nous sur [email protected]"
C'est sibyllin en effet… Enfin, en tout état de cause, ce premier disque existe et restera, et c'est bien là l'essentiel.
Montjoie ! Saint-Denis ! :)
Ouch, la présence occupé par Fleur sur ce disque et l'aura qu'elle dégageait au niveau de l'accroche sur les morceaux, ça va être compliqué derrière..
Sinon pour le Heavy Français bien vu, après c'est effectivement tellement évident que.....
Vous devez être membre pour pouvoir ajouter un commentaire