Parfois la vie perd temporairement son intérêt. Lassitude et fatigue nous gagnent, lentement mais sûrement, à tel point que l’extérieur devient un ennemi.
Ne plus sortir. Jamais.
Laisser le temps filer, le téléphone sonner, le cendrier se remplir. Rester immergé dans cette douce torpeur. Se laisser envahir par le vide. Laver son cerveau. Figer ses neurones.
Et appuyer sur Play.
Bien sûr, on aura préalablement sélectionné un disque en totale adéquation avec son état d’esprit. Les
David Lee Roth et autres Mägo De Oz festifs écartés, certains se rabattront peut-être sur du
Paradise Lost ou du
Type O Negative. Ma main droite, elle, se tendra sans hésiter vers «
Mephisto», l’album dont il est question ici.
On découvrira dans ce diamant noir un line-up aux noms difficilement mémorisables, mais qui n’effraieront pas les plus motivés d’entre nous, certains d’ailleurs rompus depuis plus de quinze ans à l’exercice hilarant de devoir lâcher d’un bloc en soirée le line-up mythique de
Loudness [
Akira Takasaki / Masayoshi Yamashita /
Munetaka Higuchi / Minoru Nihara].
Si le guitariste Nils Wunderlich ou le bassiste Ralf Schwertner vous sont inconnus, peut-être aurez vous en revanche reconnu Ferdy Doernberg, claviériste ayant depuis longtemps succédé à la jolie Julie au sein du
Axel Rudi Pell Band. Vous avez quoi qu’il en soit croisé son chemin, car il est quasiment impossible si vous écoutez du
Metal ou du Rock que vous n’ayez jamais glissé dans votre platine un album sur lequel officie cet homme de l’ombre, Ferdy poursuivant depuis des années une éblouissante carrière internationale, comme claviériste, producteur, mais aussi joueur virtuose de slide-guitar.
Sodom,
Destruction,
Therion,
Masterplan, mais aussi Warren de Martini (
Ratt), Roby Krieger (The Doors), Max Weinberg (E-Street-Band), ou David Paich (Toto), voilà quelques noms parmi d’autres d’artistes ayant fait appel à ce multi-instrumentiste prolifique, ce qui donne déjà un indice quant à la crédibilité du bonhomme, qui, lorsqu’il ne sort pas d’albums solos dans lesquels se rencontrent joyeusement Classique, Jazz, Rock, Soul et World Music, accouche paisiblement de pépites Heavy
Metal dans le groupe qu’il a créé en 1989,
Rough Silk.
Si les deux premiers méfaits du groupe, l’excellent «
Roots of Hate» (1993) et son petit frère «
Walls of Never» (
1994) restaient dans une veine Heavy allemande somme toute classique, «
Circle of
Pain» avait déjà amorcé en 1996 un virage visant à démarquer le combo de ses compatriotes germaniques.
Inclassables, progressifs sans vraiment l’être, les ambitieux morceaux de ce troisième opus avaient donné à
Rough Silk une dimension supérieure et une crédibilité que les musiciens espéraient voir suivie d’un succès commercial.
C’est dans ce contexte qu’arrive dans les bacs en 1997 l’ovni «
Mephisto», caractérisé pour une fois par un artwork superbe, reflet exact du contenu musical : étrange, envoutant, malsain, beau et hautement addictif. Comme Mötley Crüe en son temps,
Rough Silk utilise les codes de la Commedia Dell'Arte -version
Corpse Paint cette fois-, l’énigmatique et sombre personnage de la cover nous adressant en ouvrant la boîte un sourire, d’ailleurs plus sadique que jovial. Les musiciens ont eux aussi adopté le maquillage de
Mephisto, mais sur une moitié du visage seulement, symbolisant ainsi la partie maléfique tapie au fond de chacun d’entre nous. Ferdy, tel le
Dr Faust, aurait-il contracté un pacte avec le Malin ? Le succès du groupe contre son âme ?
Il est troublant en tous cas d’être subjugué à ce point par l’introduction minimaliste «
Mystery Bay», réduite à quelques notes de piano accompagnées du chant magique de Jan Barnett, mais qui réussit en quelques secondes à nous emmener très loin, là où les problèmes quotidiens n’ont plus aucune prise sur vous, là où l’esprit est libre et l’âme reposée.
Le morceau d’ouverture nous saute à la gorge, le groupe donnant véritablement du sens à son patronyme [la «soie rugueuse»], car si «
Mystery Bay» fait immanquablement penser au maître Freddie Mercury, le son de «Recall» donne dans l’industriel. La messe est déjà dite, l’auditeur a compris où les musiciens voulaient en venir, et l’on se vautre avec délectation dans ce mélange de haine pure et de poésie enivrante. Queen meets
Rammstein, un pari on ne peut plus osé, mais qui fonctionne grâce à l’imagination débordante de ces compositeurs si talentueux, et à Jann Barnett dont le chant va survoler ce disque avec une classe et une aisance qui ne sont l’apanage que des très, très grands, donnant une cohérence supplémentaire à un ensemble déjà quasi parfait.
Le son et la production de ce full-length sont pourtant très particuliers, et ne laisseront personne insensibles dans un sens ou dans l’autre. Au jour d’aujourd’hui et malgré plusieurs centaines d’écoutes depuis la sortie de cet album, je ne sais toujours pas quoi penser du son de guitare, qui me rappelle à certains moments des expérimentations douteuses de jeunesse, ma guitare poussée à la limite de sa saturation et distordue une nouvelle fois grâce à un branchement sur une chaîne hifi, censée remplacer un ampli alors trop onéreux. Malgré tout, même si la comparaison avec le mur du son «Sehnsucht» sorti la même année paraît inévitable, il vous sera après écoute impossible d’imaginer autre chose, la particularité de la production faisant le charme de cet opus extra-terrestre. Dans le même registre, on notera également le son de basse quasi synthétique sur l’émouvant «Subway
Angel’s Caravan», rappelant le Queen de «The Works». La batterie du frangin Curt Doernberg bénéficie elle d’un son clair et puissant.
Les puissants effets rajoutés sur le pont de «Recall» et le refrain de «
Mephisto» vous feront ouvrir votre fenêtre pour vérifier si les coups de tonnerre entendus sortaient bien de vos enceintes ou si un putain d’orage apocalyptique arrivait pour enfin nous laver de tous nos péchés et en finir une bonne fois pour toutes. Et ça marche à tous les coups, même pratiquement quinze ans plus tard… On ne s’habitue pas à ce disque, on le revit à chaque écoute.
Les structures des morceaux sortent des sentiers battus, sans toutefois devenir trop complexes, permettant à l’auditeur de s’approprier dès la première écoute ces bijoux empreints de noirceur (My Last
Farewell, Glissando) et de lyrisme grandiloquent (
Dust To
Sand,
Far From
Home). Rien n’est superflu, les moments de bonheur s’enchaînent jusqu’au moment fatidique où les roues du temps [
Wheels of Time] s’arrêtent, laissant notre âme dans l’attente d’un autre voyage.
«Il est grand temps de rallumer les étoiles» disait Apollinaire, en oubliant que les étoiles meurent elles aussi. Jann Barnett quitte le groupe après ce chef d’œuvre, nous ramenant sur terre à notre déprime, dans laquelle on aura à cœur de s’enfoncer encore plus.
En appuyant sur Play.
«Vienne la nuit sonne l'heure / Les jours s'en vont je demeure».
Alors là mon ami, tu as échappé au pire !
Sur tes conseils je me suis intéressé au groupe.
Ecoute du Roots of Hate , vraiment excellent, sentiment mitigé et pas très emballé par un Walls of Never déroutant qui semble chercher son chemin. Un Circle of Pain qui redresse la barre mais n'emporte pas encore toute mon adhésion.
Ma soucoupe était prête à décoller et à faire le trajet jusqu'à ton jardin pour te faire péter du Living Death à fond sous tes fenêtres et demander un remboursement.
Mais avant de m'envoler, je glisse ce Mephisto dans mon Uforadio et là je coupe les moteurs car dès les premières notes, je cesse toutes activités, subjugué par cette intro. L'ombre de F. Mercury plane, passe Recall, Mephisto très bons et là ... arrive Subway Angel's Caravan, je tombe à genoux, magnifique, paralysant de beauté.
Dust to Sand m'évoque Mutter de Rammstein, je ne vais pas faire un track by track mais le disque tourne en boucle depuis 4 jours, chaque écoute révèle un peu plus ses secrets, tout simplement magique!
Alors merci tout simplement pour tes bons conseils et cette chro fidèle au bien que je pense de cet album.
Franchement Zaz, une vrai découverte de ce groupe Allemand méconnu chez nous. Première écoute...première chanson....bombe atomique...la suite fait très mal au cul jusqu'à là fin et on ne sort pas indemne de cet ambiance sombre, lyrique et parfois même spectrale, je pense en particulier aux titres "Dust To Sand" avec son passage au violon absolument magnifique et "Cemetery Dawn" du Roots Of Fate que j'affectionne à fond! Le reste de l'album surbalance la sauce avec des riffs énormes, des mélodies franchement excellentes, Jann Barnett est complétement en osmose avec la musique, ce mec apporte une touche bien spécifique à chaque song avec une très belle perf vocale.
Awesome et définitivement dans mon top album perso.
Un vrai plaisir d'avoir pu découvrir cet excellent groupe via ta super chro communicative.
Et puis....ce spectre de Freddie omniprésent sur les morceaux de piano et cette Queen touch intelligemment intégrée à leur style musical...simply gorgeous.
Méphisto? On the lonely road to mystery bay!
Grosse claque en effet à chaque écoute. L'album oscille entre violence contenue et mélancolie euphorisante. Un bijou !
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