Parmi les nombreux entrants dans l'univers metal symphonique à chant féminin s'infiltre à son tour Anam'
Kara, frondeur quintet suisse originaire de Baden, créé en 2008 par Susch (guitariste et vocaliste) et Flo (bassiste et vocaliste). Aussitôt rejoints par JC (batterie), Jonathan (claviers) et plus récemment, en 2015, par la jeune soprano Sophie, nos acolytes se sont laissés le temps suffisant pour asseoir leur projet. Sorti pas moins de 8 ans après la formation du groupe, ce premier album full length repose sur une convaincante qualité d'enregistrement tout en nous octroyant un mixage équilibrant correctement les parties instrumentales et vocales. Débordant de vitalité, disséminant de puissants riffs sur notre route, le brûlot ne s'en révèle pas moins délicatement mélodieux, diversifié dans ses ambiances et ses rythmiques, nous faisant ainsi voyager entre
Nightwish,
Lunatica,
Draconian,
Amorphis, pour son assise metal symphonique gothique, aux accents dark, et
Trevor Rabin ou encore John Williams pour les phases cinématiques dont il s'est inspiré. C'est dire que les 12 pistes jalonnant les 52 minutes du ruban auditif réservent leur lot de surprises, sans tomber ni dans de tenaces clichés, ni rester rivés dans l'ombre de leurs maîtres inspirateurs. De quoi susciter notre curiosité et nous inciter à explorer sans plus attendre les arcanes de l'engin...
Le plus souvent, le tempo se fait alerte et les duos mixtes forts en contrastes, avec quelques réussites à la clé, l'ensemble évoluant sur un registre dark gothique, parfois avec une touche doom, même si l'empreinte symphonique n'est jamais bien loin.
Ainsi, le frénétique «
Darkness and
Decay » distille ses riffs crochetés sur une rythmique enfiévrée, non sans rappeler
Tristania dans son atmosphère éthérée un poil gorgonesque. Sur le schéma de la Belle et la Bête, les graciles volutes de l'une viennent en contre-point des growls caverneux de l'autre, dans un étrange ballet sous-tendu par une ligne mélodique agréable bien que linéaire par moments. De même, le saignant «
Firestorm », d'inspiration dark gothique, à la façon de
Draconian, nous embarque dans un champ de turbulences difficile à éluder. Le duo s'inscrit parfaitement tant dans la trame instrumentale qu'au sein de cette tourmente. Et ce, suivant un avenant cheminement mélodique que l'on ne perd nullement de vue malgré le déchaînement progressif des éléments. Pour sa part, d'obédience dark gothique, un poil doom, le lugubre et filandreux « Vampiric Dance » laisse lui aussi entrevoir des growls ombrageux au coude à coude avec les célestes patines de la douce. Une ambiance mortifère s'en dégage, générant un sentiment d'angoisse qui ne nous quitte pas un seul instant. Dans cette veine, le nerveux « Three Wise Monkeys » se plaît à nous chahuter par ses incessantes attaques de riffs acérés, doublées des libertines pérégrinations de nos deux acolytes, ceux-ci contribuant à conférer à cette piste endiablée d'inspiration death gothique de saisissants effets de contrastes.
Dans cette mouvance, mais plus volontiers teintées symphonique, d'autres plages sont à retenir, offrant un regard alternatif aux titres sus-cités. D'une part, des arrangements d'inspiration nightwishienne combinés à une cinématique assise orchestrale sont octroyés sur « Tribes of the
North », détonnant morceau à la cadence progressive, dans la veine atmosphérique de
Skyward, avec une touche de
Draconian en substance. Si les growls s'avèrent bien sentis, en revanche, les attaques de la déesse se montrent bien fluettes, témoignant de quelques faussetés au passage. D'autre part, c'est sans concessions que « Killing Dreams » vient nous claquer le pavillon de ses serpes oratoires masculines parallèlement à un riffing reserré et un fulminant legato à la lead guitare. Lorsque la douce infiltre les lieux, le titre gagne en légèreté ce qu'il ne perd nullement en mélodicité, en dépit du champ de perturbations que l'on traverse.
Sur un similaire modus operandi rythmique, les passages exclusivement octroyés en voix féminine ne se révèlent pas sans intérêt, même si l'émotion attendue n'est pas toujours au rendez-vous. Ainsi, de sensibles gammes au piano entament le vrombissant et entraînant « Wasted » qui, dans le sillage de
Lunatica, à l'époque de « New
Shores », octroie de saillants couplets relayés par des refrains immersifs à souhait, mis en habits de lumière par les claires et puissantes inflexions de la déesse. Quant au tonique et organique « In
Pain », à la manière d'
Amaranthe, avec un zeste de
Nightwish, il laisse exulter des gimmicks à la lead guitare corroborant des riffs graveleux, où les harmoniques se révèlent finement sculptées, au fil d'une sente mélodique des plus souriantes et bien amenée par la maîtresse de cérémonie. Pour sa part, de profonds arpèges au piano amènent en douceur « The
Dying Swan », rageuse et entraînants piste qui ne laisse que peu de temps pour reprendre sa respiration. Balayé par les vents hurlants, le tympan pourra se laisser porter par les aériennes envolées de la jeune interprète, celle-ci répondant en écho aux portées savamment accouchées sur une partition à la mélodicité bien inspirée, dotée de subtiles variations. Et la sauce prend, in fine. Moins probant, sur une rythmique syncopée, le vrombissant « Apology » dissémine couplets et refrains bien harmonisés, sur une ligne mélodique à la traçabilité floue. Les impulsions de la belle apparaissant sous-mixées, elles subissent les assauts d'une orchestration aussi vénéneuse qu'enveloppante, si elles ne disparaissent pas purement et simplement derrière ce flot ininterrompu d'attaques de riffs.
Quant il nous embarque sur des plages plus intimistes, ou pour le moins feutrées, le combo ne s'est pas montré malhabile, avec quelques jolies séries d'accords inscrites au cahier des charges, même si l'émotion se fait parfois désirer. Ainsi, sur un tempo mesuré, la power ballade «
Frozen Air » se pare de délicieux atours pour nous séduire, à commencer par ses harmoniques finement sculptées, en parfaite osmose avec les déambulations oratoires en voix de tête de la sirène. Une pointe d'émotion s'empare alors de nous sur ce moment de grâce. Par ailleurs, de doux arpèges au piano corroborent les sinueuses, gracieuses et fragiles inflexions de la sirène sur « What I've Become », agréable mid tempo que l'on suit sans encombres, sans émotions particulières non plus. Ce faisant, cette petite fresque cinématique dans le sillage de John Williams recèle quelques armes de séduction pour attirer le tympan, mais pas suffisamment pour nous retenir plus que de raison.
Cet effort a le mérite de ne nous laisser en rade sur aucune des pistes proposées, offrant même quelques moments de pure jouissance auditive. Toutefois, en dépit de ses accointances avec différentes empreintes stylistiques, s'il se révèle plutôt agréable et parfois surprenant dans ses frasques techniques, le brûlot demeure classique dans sa trame et ses enchaînements comme dans ses arrangements. De plus, ses lignes mélodiques gagneraient à être affinées, voire plus épurées pour prétendre à une inconditionnelle adhésion. On aurait également apprécié une présence plus affirmée de la déesse et moins de duos mixtes en voix de contrastes ainsi qu'une palette plus étendue relative aux exercices de style investis. Le potentiel technique du combo aidant, celui-ci devrait pouvoir élever le niveau de ses prérogatives pour nous convier à un spectacle encore plus fringant, artistiquement plus abouti et surtout émouvant. Si on en attend plus, on a aussi toutes les raisons de croire en leurs chances de nous retenir. Affaire à suivre, donc...
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