« C’était l’essence même du cauchemar. Au lieu de hurler, je me répétai tout bas que tout ça n’était qu’un songe dont j’allais bientôt me réveiller. Encore aujourd’hui, je serais incapable de dire où finit mon délire et où commence mes vrais souvenirs »
H.P Lovecraft – extrait de « Dans l’Abime du Temps »
Les cauchemars sont depuis des années le terrain de jeu favori de nombreux conteurs. Horrifiques, insondables, terrifiants et propre à imaginer les fantasmes les plus perturbants et noirs de notre psyché, ils sont l’image même de notre noirceur intérieure. Impossible à gérer, les cauchemars manipulent nos rêves et notre sommeil afin de s’insinuer dans notre esprit, de créer un malaise et surtout de rendre la nuit plus difficile à appréhender encore.
Exanimis a fait des cauchemars le concept central de son premier album, intitulé bien à propos "
Marionnettiste" et s’inspirant par certains aspects des travaux hantés d’un Lovecraft qui n’en finit d’être une figure de la littérature moderne, lui-même qui fut rejeté et honni toute sa vie. Et musicalement ?
Le groupe originaire de Nancy, dont les musiciens proviennent de la prestigieuse MAI, officie dans un genre dont le vent fut quelques années en poupe mais dont le style est si difficile à gérer et si exigeant que peu poursuivent dans cette voie. Le death symphonique, si cher à SepticFlesh et
Fleshgod Apocalypse pour ne citer qu’eux, est un genre des plus complexes et voir ces influences bien en avant pour un premier disque aurait pu faire craindre le pire. C’est là que se situe l’immense surprise du groupe.
Concept savamment étudié, visuel travaillé jusque dans les membres masqués et incarnés par des êtres déshumanisés, "
Marionnettiste" nous happe dès l’introduction "Prelude du Songe avant le
Cauchemar". Piano inquiétant, atmosphère symphonique dramatique, nous sommes parfaitement lancés avant un "
The Wrathful Beast" qui montre l’étendu de ce qui nous attend. Un death technique et virevoltant, parfaitement produit, aux guitares tranchantes et un chant rugueux qui saura prendre de multiples intonations tout au long du disque. On sent dès les premiers instants que les structures ne seront pas conventionnelles, que les compositions seront à tiroirs et qu’une dominante progressive sera évidente, même si ce premier titre est le plus court (à peine six minutes). La richesse des orchestrations impressionnent et fourmillent de partout, dans un genre assez romantique et très mélodique, loin des envolées très cinématographiques à base de cuivres et de chœurs d’un Septic
Flesh. On sent une orientation mélodieuse des arrangements pour créer une ambivalence avec le tranchant de la section metal (le premier solo nous prouve aussi très vite que le niveau technique est impressionnant, sans jamais sonner démonstratif).
De la richesse, il en sera fortement question dans les compositions suivantes vont nous emmener vers des terres suintantes où l’homme n’y ait pas le bienvenu, avec des compositions dépassant les dix minutes. "
Stampede of the 10 000" débute comme une longue chevauchée démoniaque façon Lords of the Ring /
Gladiator (ces orchestrations sur le blast sont fabuleuses) pour se rapprocher (et c’est probablement le seul titre où c’est le cas) des maitres grecs avec une entrée en matière vocale que n’aurait pas renié
Seth Siro
Anton. Martial à souhait et guerrier, la longue section instrumentale développe néanmoins une musicalité virtuose avec un long solo qui monte en puissance, se tordant et se triturant parfois dans tous les sens, avec les arrangements qui gagnent en intensité et en présence au fil des minutes, comme un cauchemar de plus en plus angoissant.
Une angoisse qui ne tarira pas sur le sublime intermède "Entracte du Sommeil pendant le
Cauchemar", évocateur d’un temps passé et servant d’ouverture à l’impressionnant "Cogs, Gears and Clockwork". Horloge remontée et citation d’outre-tombe (par ailleurs fréquente dans l’album, conférant ainsi une ligne directrice et une narration en évoquant des mots de Lovecraft ou Napoléon sur le très black "Throne of
Thorns"), ce long moment de onze minutes est une perle du genre par sa richesse et l’intelligence de sa progression. Entre les passages death tech syncopés, les moments atmosphériques, les envolées de piano, les passages beaucoup plus apte à évoquer un cirque fou (un peu dans l’esprit d’un Diable Swing Orchestra) ou les parties plus orientées black symphonique à la
Dimmu Borgir, on peut dire que l’auditeur passe par de multiples émotions. Le plus impressionnant, c’est surtout qu’Exanimis aurait pu tomber dans l’écueil de nombres de jeunes groupes, à savoir un assemblage maladroit de multiples influences. Mais non, "
Marionnettiste" se créé très vite une personnalité, un son propre et univers complètement personnel (même si on reconnaitra forcément qu’ils ont dû bouffer beaucoup des groupes précités ainsi que de musiques de films et jeux-vidéos).
Le coup de grâce est porté par l’impressionnant "
Cathedral" et ses seize minutes. Décrivant un édifice monstrueux, une « église de la foi cauchemardesque », le titre tire bien plus vers le prog, avec une première partie que l’on sent inspiré par un
Dream Theater époque "6 Degrees of Inner Turbulence" que l’on aurait hanté. Des chœurs imprègnent les lieux dans ces premières minutes faisant monter en intensité la découverte des lieux avant que les vocaux débutent de façon presque narrative, possédée et très dark. Le tempo est posé, lourd, glauque. Jusqu’à ce que l’emphase symphonique prenne le dessus, proposant même une dernière partie plus lumineuse et portée sur la guitare avec de nombreux soli et instants plus aériens et plein de feeling.
Exanimis réussi un coup de maitre pour son premier effort, réussissant à ne pas chuter là où les trappes semblaient pourtant grandes ouvertes. Ni trop démonstratif, ni trop technique, avec une qualité de composition impressionnante et un univers déjà bien établi, le trio nancéen vient d’écrire une superbe première pierre à son édifice. On sent la marge de progression énorme et il parait certain que
Marionnettiste n’est qu’un début. Il ne peut en être autrement. La suite viendra gommer les quelques imperfections (un chant clair parfois approximatif ou des sonorités orchestrales parfois déjà entendues) pour établir de nouveaux standards.
Laissez-vous délicieusement manipuler par ces êtres venus des songes. Vous n’aurez jamais aussi bien cauchemardé ...
Merci pour la chronique ! Je vais aller jeter une oreille à tout ça. Il y a une belle vidéo de "Cogs, Gears, and Clockworks" que tu pourrais rajouter à la chro, d'ailleurs ;-)
Note amplement méritée, quelle entrée em matière ! L atout de ce death sympho est la variation de rythmes entre lourdeur et vélocité, et les atmosphères angoissantes , quel intermède piano violon! et lumineuses grâce aux envolées des solis et des choeurs....17/20
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