Il est de ces albums qui, malheureusement, depuis leur sortie, sombrent dans l’anonymat le plus total et qui, pourtant, s’avèrent être de véritables perles brutes, offrant un contenu musical si extraordinaire et si solide qu’ils peuvent légitimement être considérés comme certains des meilleurs albums dans leur registre musical. C’est le cas de l’album que l’on va aborder ici. Ayant grandi avec le son néo-metal/metal alternatif des débuts 2000, alors que je pensais connaître les grands albums de cette génération musicale bénie, quelle fut mon immense surprise de découvrir il y a quelques années seulement qu’un groupe, qui m’est complètement passé sous le radar, a sorti ce qui peut probablement être considéré comme l’un des meilleurs albums de ce registre musical qu’est le metal alternatif. Ce groupe en question est
Lo-Pro.
Avant de débuter l’analyse musicale de l’album, une petite biographie s’impose.
Lo-Pro est une formation créée au début des années 2000 des cendres d’un autre groupe nommé
Ultraspank. Ce dernier s’est séparé en 2001 et comptait parmi ses membres Pete Murray au chant et Neil Godfrey à la guitare, entre autres, et proposait un style musical très intéressant mélangeant éléments de néo-metal et de metal industriel, et dont le deuxième et dernier album en date sorti en 2000, le superbe "Progress", proposait une vision de ce mélange musical des plus intéressantes et poussée à des contrées inédites. Malheureusement, malgré les qualités musicales évidentes d’
Ultraspank, le groupe n'aura jamais réussi à percer et se sépare immédiatement après la sortie du deuxième album. Dégoûté par cet échec, Pete Murray décide de se retirer pendant un petit temps de l’industrie musicale avant de revenir sur le devant de la scène en 2002 avec une nouvelle formation répondant au nom de
Lo-Pro. Ce dernier sera formé des anciens membres d’
Ultraspank, à savoir : Neil Godfrey à la guitare et, bien sûr, Pete Murray au chant ; Tommy Stewart de
Godsmack à la batterie ; John Fahnestock de
Snot à la basse et Pete Ricci à la guitare.
Lo-Pro s’est dès le début rapidement fait remarquer par Aaron Lewis, le chanteur de
Staind, grâce aux démos qu’ils avaient enregistrées, encourageant ce dernier à convaincre la maison de disques Geffen Records de signer un contrat pour un premier album. Qui plus est,
Lo-Pro aura l'honneur d’avoir comme producteur pour son premier effort Don Gilmore, connu pour avoir produit les succès planétaires des deux premiers albums de
Linkin Park. Tout semble sourire à
Lo-Pro, et les galères des précédentes années avec
Ultraspank semblent loin. En apparence, tout du moins.
C’est donc en 2003 que sort le premier album éponyme de
Lo-Pro. Musicalement, il est assez éloigné du metal plus hargneux et fougueux d’
Ultraspank, qui usait souvent d’un mélange de vocaux agressifs et mélodiques, de riffs rentre-dedans et de rythmiques soutenues aux influences indus. Ici, nous avons droit à une musique plus posée, aux structures plus classiques et à une absence de vocaux agressifs avec néanmoins une prédominance totale du chant, tout en gardant une grande puissance musicale. Et, disons-le clairement, la meilleure chose que le chanteur Pete Murray n’a jamais pu faire dans toute sa carrière musicale, est de s’être centré exclusivement sur son chant. Non pas que ses vocaux agressifs au sein d’
Ultraspank étaient mauvais (bien au contraire, ceux-ci témoignaient d’une puissance et d’une rage très satisfaisantes !), mais que ses capacités vocales mélodiques sont si exceptionnelles, si polyvalentes et tellement sources de bonheur pour nos oreilles qu’il aurait été criminel de ne jamais les avoir exploitées à leur maximum. Son chant est d’une clarté et d’une puissance exceptionnelles même dans le milieu, et vecteur d’intenses émotions qui jamais ne faiblissent tout au long de l’album. On est d'ailleurs complètement emporté par les sublimes envolées vocales du refrain de « Not Me », les vocaux cathartiques de «
Sunday », la douceur touchante de la ballade « Oblivion », l’incroyable puissance vocale de « Fake » ou de « Thread » lors des refrains, entre autres. J’avais dit plus haut qu’il y avait une absence totale de vocaux agressifs, en réalité j’ai un peu menti, car les hurlements sont bel et bien là mais systématiquement mis en arrière-plan dans le mix, et uniquement en harmonie du chant afin d’en appuyer l’intensité comme dans le refrain de « Thread » ou de « Fake », pour un résultat convaincant.
Mais je crois que les performances vocales les plus marquantes sont celles des touchantes « Reach » et « Bombz ». « Reach » est une ballade où Pete Murray exploite sa voix à merveille avec une douceur émotionnelle à en donner des frissons. Le refrain nous transporte complètement dans l’univers personnel, tourmenté et incompris du chanteur ; on est touché par la douceur de la voix, noyé par les émotions et envahi par une forte empathie envers le chanteur. « Bombz » est également une ballade, plus lente mais surtout plus puissante. Débutant par du piano sur une ambiance triste et mystérieuse, rapidement accompagnée par un Pete Murray chantant lentement et qui semble confus, elle progresse vers un refrain d’une intensité émotionnelle peu commune tant sur le plan vocal que musical. Se situant comme dernière chanson de l’album, je ne pouvais imaginer une manière plus ingénieuse de le clore que celle-ci. J'irai jusqu'à dire que l’écoute de
Lo-Pro ne peut se faire sans avoir été marqué par ces deux chansons, qui se placent, à titre personnel, parmi mes ballades préférées, tous registres confondus, et parfaitement représentatives des grandes qualités vocales de Pete.
Aussi excellent soit le chanteur, le succès de cet album n’aurait pu être au rendez-vous sans ses musiciens. Comme déjà évoqué, la musique se veut plus simple dans sa structure et dans sa composition, privilégiant l’efficacité et l’accessibilité mais aussi et surtout la puissance. Forcément, une telle voix ne pouvait se contenter d’une musique légère, il lui fallait quelque chose de plus, et les riffs puissants concoctés par les guitaristes constituent de parfaits vecteurs aux émotions exprimées. Des titres comme « Not Me », «
Fuel » ou « Walk Away » n’auraient pu être ce qu’ils sont sans l’apport constant de gros décibels de la part des guitares, qui se marient parfaitement avec les envolées vocales du chanteur. Le batteur, lui, joue dans la même philosophie que les grattes et propose une section rythmique simple, rendant le tout entraînant à écouter. Quant au bassiste, il semble être un peu en retrait. Une musique donc simple et très entraînante, qui se veut propre, puissante et limpide grâce aux grandes qualités de production de Don Gilmore. Le son de chaque instrument est poussé à son maximum afin de profiter de chaque note, avec une prédominance du chant qui est particulièrement mis en avant et se veut comme un pilier de l’album, afin d’en ressentir toute la majestuosité. Toutes les chansons, sont-elles des ballades ou des chansons plus énergiques, ressortent avec le même soin sonore, conférant ainsi à l’album une puissance et une dynamique imparables.
Également, dans ce même état d’esprit simple sont les paroles, qui ne tournent jamais autour du pot en jouant sur diverses métaphores ou autres ambiguïtés lyriques, et ont tendance à être facilement compréhensibles. Les textes sont clairement très personnels au chanteur, qui y décrit ses rapports compliqués avec les autres et la société, comme dans « Reach » ou « Not Me », ou ses émotions vis-à-vis d’une personne comme dans « Oblivion » ou « Fake ». Parfois, il s’exprime sur des émotions qui semblent plus éphémères comme dans «
Sunday », où il parle de cette sensation de tristesse et de démotivation que l’on ressent les dimanches, signifiant la fin du week-end et le début des ennuis et de la routine avec la semaine qui arrive ; un sujet qui me parle énormément à titre personnel… Ces paroles simples font que les émotions sont plus faciles à ressentir et que l’auditeur peut aisément s’y identifier.
Oui, nous avons clairement ici l’un des meilleurs albums de metal alternatif du début des années 2000, surpassant à mon avis d’autres albums considérés comme des classiques de cette mouvance ; on ne peut que se prendre une claque comme je m’en étais prise une lors de ma première écoute. Je ne lui trouve aucun reproche, sauf peut-être sa relative simplicité, qui peut, à terme, rendre l’écoute plus prévisible et nous enfermer dans une formule, une formule néanmoins bien exploitée. Mais alors, comment se fait-il qu’un album aussi excellent et un groupe aussi prometteur, qui plus est avec tant de moyens déployés, soient restés dans l’anonymat, voire même dans l’oubli le plus total ? Et c’est là que l’on rentre dans la partie la moins joyeuse de la chronique...
Il y a, parait-il, une forme de malédiction qui touche tous les membres de
Ultraspank. Alors que tout semblait avoir très bien commencé pour
Lo-Pro, avec la signature dans une importante maison de disques (Geffen Records), le soutien d’un acteur important dans l’alternative metal (Aaron Lewis de
Staind) et le privilège d’avoir pu bénéficier des services d’un prestigieux producteur (Don Gilmore), tout est pourtant rapidement parti en cacahuète. Alors que le groupe débutait la promotion pour son album, voilà que les différents membres apprennent en plein tournée, littéralement du jour au lendemain, que
Lo-Pro a été viré de la maison de disques, mettant un terme immédiat à leur rapport avec Geffen Records. La raison ? Elle n’a jamais été donnée au groupe, et la réponse à cette question ne sera jamais divulguée dans le futur.
Bien de longues années plus tard, lors d’une interview du chanteur Pete Murray, ce dernier a dit qu’il avait entendu une rumeur qui courait disant que le patron de la maison de disques avait eu une très violente dispute avec leur manager de l’époque, et que, pour se venger de lui, le patron a tout bonnement décidé de virer
Lo-Pro alors que le groupe n’avait absolument rien à voir là-dedans. Les mots manquent pour décrire l’absurdité colossale et quasi-enfantine de la situation qui a ruiné la carrière de tout un groupe pour rien, si cela s’avérait être vrai. La promotion n’a pu se faire correctement ; seule la chanson «
Sunday » a bénéficié d’un clip musical et d’une sortie single, et cela résume à peu près tous les efforts de promotion effectués pour
Lo-Pro. Enfin, le chanteur regrette que la power ballade « Oblivion » n’ait pu sortir en tant que single promotionnel et ne pas avoir pu continuer à défendre comme il se doit ce premier effort malgré une tournée intense avec
Staind et
Three Days Grace.
Le groupe aura énormément de mal à se remettre de cet échec, qui en est d'ailleurs un deuxième pour Pete Murray et Neil Godfrey, ces derniers ayant déjà dû vivre celui d’
Ultraspank. Le chanteur décidera à la suite de ça, encore une fois, de se retirer du monde musical, mais cette fois-ci pour de longues années. Le groupe ne retournera en studio qu’en 2009 avec d’abord un premier EP, "
Letting Go", avant d’enfin sortir un deuxième album, en 2010, du nom de "
The Beautiful Sounds of Revenge". Le groupe ne sera malheureusement que peu actif durant les années suivant son retour, avec peu de sorties et peu de concerts donnés. Les membres du groupe s'orienteront de plus en plus vers d’autres projets musicaux, laissant rapidement
Lo-Pro de côté. Actuellement, le groupe est totalement inactif et n’a rien proposé depuis son dernier album en 2013, et rien ne semble indiquer que les choses vont bouger. Du grand gâchis.
Je ne peux que très chaudement recommander l’écoute de cette grande œuvre qu’est
Lo-Pro, qui propose un contenu qui, je pense, mérite largement l’attention, particulièrement pour les friands de metal alternatif, voire de néo des débuts 2000. Non seulement les codes y sont parfaitement maîtrisés et la qualité de production juste exceptionnelle, mais en plus l’inspiration est là, avec un chanteur tout bonnement extraordinaire. Un album à l’image de sa pochette au coucher de Soleil : contemplatif, agréable et profondément mémorable.
Merci de m'avoir fait découvrir Lo-Pro, je connaissais un peu Ultraspank, mais je savais pas qu'ils avaient continué dans une autre direction après. Et il y a tout le contexte de poisse autour, que tu as bien raconté, chapeau pour la chronique !
Salut JeanEdern ! Et moi je te remercie de m'avoir lu et pour ton commentaire encourageant ! Je ne pouvais aborder cet album sans parler de tout ce qui s'est passé autour de ce groupe et la poisse considérable qu'ils ont dû subir. Je crois qu'il était important de comprendre pourquoi un tel album et un tel groupe ont sombré dans l'oublis le plus total, surtout compte tenu de l'énorme qualité de l'oeuvre.
La direction que les ex-Ultraspank ont pris avec Lo-Pro est, je trouve, meilleur. Sachant que j'aime beaucoup ce qui a été fait dans Ultraspank, c'est dire la prouesse qu'ils ont réussi de faire encore mieux ! Il fait partie de mes albums favoris maintenant.
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