Liste des groupes Hardcore Noise Watertank Liminal Status

Parfois il est bon de s'emballer un peu, même lorsque la raison recommande de ne le faire qu'une fois la galette duement consommée. Lorsque j'ai écouté les premiers singles extraits de "Liminal Status", j'ai retrouvé un peu de ce frisson que j'avais eu avec ma découverte du fantastique album "Slip" de Quicksand, en 1993. Une sensation d'évidence qui a fortement titillé ma curiosité à l'endroit de ce combo nantais. Formé en 2004, Watertank a sorti trois albums, "Sleepwalk" en 2013, "Destination Unknown" en 2015, "Silent Running" en 2020, avant ce "Liminal Status", paru chez Atypeek, le 5 avril 2024.
Leur line up a pas mal changé en cours de route : autour du plus ancien membre rescapé, le guitariste chanteur Thomas Boutet, on trouve depuis 2020 Romain Donet à la guitare, Willy Etié à la basse, et Mathieu Bellemere derrière les fûts.

Composé à quatre, l'album a été enregistré live en trois sessions entre octobre 2022 et avril 2023, mixé par Christophe Hogommat (20 Seconds Falling Man, Mad Foxes, etc...), puis masterisé par Thibault Chaumont.


Le moins qu'on puisse dire, c'est que le combo nous tire par le colback trente ans en arrière, dans les poisseuses années 90 : l'adulescence d'un Smashing Pumpkins, la fougue et le côté diablement efficace et concis d'un Quicksand se mélangent sur "Cut Gum". Le riff dépressif de "Sneeze Season" vous prend à rebours, lentement mais sûrement, la signature rythmique impaire donnant un effet de disque rayé hypnotique. "Liminal Status", le morceau qui a donné son titre au disque, possède une lourdeur qui n'est pas sans rappeler le premier album d'Alice In Chains. La batterie de Mathieu Bellemere se faufile entre les riffs plombés telle un serpent ondoyant, groovy, déstructurée, ou binaire et minimaliste ("Liminal Status").

Le chant de Thomas Boutet personnalise toutes les indolences de l'état dépressif, le temps qui se distend, l'enfant intérieur qui boude avec un air buté, regardant ses pieds et les nuages dans le ciel. Sa voix, majoritairement claire , navigue entre celles de Page Hamilton (Helmet), Kurt Cobain (Nirvana) et Walter Schreifels (Quicksand) .
Watertank se montre très organique, efflorescent, dans les structures, qui se développent comme des arbres, mais aussi avec la couleur qui émane de ses atours. La production sonore est grasse à souhait, avec une basse saturée bien présente, et des guitares aux sons chauds, que ce soit dans le crunch, ou la distorsion procurée par un fuzz épais. Cela donne une petite coloration stoner à l'ensemble, qui rend plus singulière sa musique.

Au bout des quatre premières pistes où le groupe se concentre sur une poignée d'idées de riffs lumineux, qu'il fait intelligemment germer et croître, je m'attendais à ce que la recette se reproduise jusqu'au bout, mais Watertank ne s'est pas satisfait de la facilité. Il laisse le rythme retomber au milieu de son album, semblant dériver au gré de l'inspiration sans s'occuper des basses considérations mercantiles. Cela donne un surprenant et minimaliste "Dream Logic" à la manière de la New Wave ou du rock du début des années 80, à mi-chemin entre U2 et The Cure, mais avec ce son de gratte gras et fuzzy, accordé bien grave... mais aussi des morceaux moins impactants et même nonchalants comme "Skyward" et "Solely Mine". Certains enchaînements de notes cultivent l'étrangeté, comme celui de "Clean Shot", qui obeirait à une logique viciée et ouatée par les anxiolitiques.

Pour ceux qui les connaissent déjà, cet album ne sera pas une surprise, car il est assez proche du précédent, "Silent Running", et il faut dire que la musique du groupe n'a pas trop changé depuis son premier album. A ceci près que "Liminal Status" a gagné en maturité, avec en plus la patine de la production de Christophe Hogommat qui lui va à merveille.

On peut dire que Watertank est une madeleine de Proust des nineties : s'il s'inspire largement de cette période , et procure à chaque disque son petit shoot de nostalgie, son petit grain d'imprévisibilité et de prises de risques font que loin de ressasser, il perpétue l'essence et l'héritage de ce temps perdu.