Le public discute allègrement. Les conversations sont floues, inaudibles, mais entraînantes. Puis au fond de ce brouhaha résonnent des coups de bâtons, sonnant d’ici quelques instants, à la fin de ces trois frappes, le début d’une nouvelle histoire macabre racontée par la voix déchainée, criarde, hystérique et surtout charismatique d’Alain Germonville et la soprano Laura Kimpe.
Akroma est un groupe de Black
Metal atypique, puisant dans le Progressif et le Symphonique pour raconter les sombres chapitres de la Bible. Il y a eu tout d’abord les
Sept pêchés capitaux dans «
Sept »,
Sept morceaux de
Sept minutes chacun. Puis il y a eu «
Seth », ce Dieu Egyptien ayant propagé les fameuses dix plaies d’Egypte. Il y a maintenant «
La Cène », le dernier repas de Jésus-Christ avec ses douze apôtres le soir du Jeudi Saint. Son arrestation, sa crucifixion, sa résurrection. Avec les informations de l’Abbé Pierre Rinsinger,
Akroma se veut le plus crédible possible dans sa manière de raconter l’histoire d’un homme qui, dans son désir de vengeance, a recréé le dernier repas du Christ. «
La Cène » vous plongera durant plus d’une heure et quart dans une atmosphère horrifique, poétique, déjantée et malsaine du plus bel effet.
Pour recréer ce repas, il fallait, en plus de ce messie encombré de haine qu’est Alain et la grandeur de Laura, les douze apôtres. C’est ainsi que douze chanteurs extrêmes Français ont répondu à l’appel, chacun interprétant le personnage dont le prénom donne le titre des pistes. Le casting est gage de qualité, ainsi Philippe Courtois (
Misanthrope) sera « Pierre », Matthieu Cigalou (
Grazed) interprétera « Thomas », Frank Leprévotte (
La Horde) jouera « Jacques »,
Black Messiah (
Seth) donnera la réplique à « Barthélémy », Kamell Guellil (
Overload) sera dans le rôle de « Matthieu », Laurent Gisonna (
Deficiency) pour « Jude », Patrick Germonville (
Mortuary), déjà présent sur le disque précédent, rempilera pour « Simon », Nico Calnibalosky (
Funeral Down) est « André », Sotää (
Odium)prendra « Jean », Sébastien Daspet (Veils Of Perception) avec « Philippe », Emmanuel Starczan (
Avalon) s’occupera de « Jacques, Fils d’Alphée » et enfin Emmanuel « El Worm » Levy (
Wormfood,
Erdh) s’occupera d’endosser le costume du traître « Judas ». Chacun dans leurs domaines offriront une très belle diversité vocale à l’ensemble.
C’est d’une âme tourmentée que « Pierre » sonne l’ouverture de la pièce. Alain y apparaît déjà complètement dégénéré, ses hurlements faisant écho à cette lourde base rythmique. Tout au long de ces huit minutes, le titre se fait rapide et angoissant, respirable le temps d’un court passage plus acoustique, tremblant d’une symphonie céleste en réponse à une agression constante des musiciens, opposant blast et lourdeur suffocante. Quand Philippe prend la parole, ce n’est que pour nous faire frissonner davantage avec son chant clair terriblement malsain et dément. Lorsque les blasts soutiennent la voix aérienne de Laura, l’atmosphère sombre ne prend que plus d’ampleur.
Le travail sur cet album est tout simplement colossal, égalisant à la perfection la base rythmique
Metal et la dimension orchestrale du tout (qu’elle soit créée par synthétiseur ou par instruments) de manière à bâtir un tout extrêmement cohérent. Deux réserves, tout de même. Petit bémol concernant la basse, trop souvent effacé et pas suffisamment décisives sur ces interventions. Deuxième problème et non des moindres, l’égalisation sonore a tendance à rendre trop souvent les paroles inaudibles. Or, les textes étant en français et l’histoire complexe, on aurait aimé pouvoir la suivre sans avoir les yeux rivés sur le livret. Il ne s’agit toutefois que de problèmes relativement mineurs et non gênants pour savourer cette pièce grandiose.
Si le rythme se veut intense sur toute la durée de ce repas, le groupe n’oublie pas d’incorporer de courts moments reposants, mais éloquents. La sublime « Jacques » appose, entre ces parties Black Symphonique épiques et somptueuses de beauté et des moments de sauvageries intenses, des moments de dialogue extraordinaire, entre Alain et Laura pour un échange cri et soprano tout d’abord, puis entre Alain et Franck pour une discussion entre deux personnes profondément dérangées et dérangeantes. « Simon » se veut également dans cette mouvance épique et furieuse, les chœurs apposant toutes leurs émotions sur ces riffs rapides alors que la voix ne fait qu’un avec cette violence ambiante. Les parties acoustiques nous permettent d’écouter une Laura dans un registre plus clair et somptueux ou encore un Alain extrêmement dérangé sur des rythmiques ultra-rapides en dualité avec un Patrick au growl massif. La toute aussi épique « Jean », climat strident et cri monocorde en tête nous offrent là aussi une respiration acoustique/piano, simple rappel avant de replonger en eau sombre et brutale. L’autre « Jacques, Fils d’Alphée » et son atmosphère mélodique et héroïque nous offrira de somptueux break où la voix touchante de Sophie Habert se fera narratrice d’un destin tragique. Les cris de souffrance d’Alain en réponse seront bouleversants de justesse et d’émotion.
Ce qui caractérise essentiellement ce disque, c’est l’impressionnante diversité de son Black
Metal. « Thomas » surprend dans son démarrage presque Heavy/Thrash, ode d’atmosphère plombée, malsaine, lourde et entêtante, même Laura ne nous permet pas de respirer avec ses vocalises complètement schizophréniques. « Philippe » et sa rythmique Rock, mélodique et stressante, déballe un nouvel environnement de cri vomissant et des growls de Sébastien faisant corps avec la double sur des murs successifs des guitares. Il en va ainsi de même pour un « Matthieu » à l’ouverture plus lente, où les chœurs y semblent annoncer la colère à venir. Des parties Black se voient ainsi succéder à une rythmique parfois martiale ou bien à des cuivres guerriers, une atmosphère enivrante se dégageant de ses attaques. Tantôt plus lents, souvent plus massifs, la rythmique se fait violence pour notre plus grand bonheur. Violence qui perce le rideau de douceur des violons d’introduction de « Barthélemy », l’agression sonore démente se fait plus pressante alors que Laura tempère à sa manière la brutalité ambiante, à laquelle la symphonique céleste ne donne que plus de pouvoir.
« Jude » nous crache une violence à la fois guerrière et atmosphérique, les voix batailleuses et les orchestrations massives se mariant à la perfection, au même titre qu’un Laurent Gisonna à la voix superbement folle et sombrement menaçante, certains passages empruntant même parfois à cette dimension épique du
Power. Même la symphonie de « André » et ces riffs mélodiques et sublimes n’empêcheront pas Alain de nous cracher sa haine tout en mélangeant sa colère avec une tristesse ambiante relayée à la perfection par les opérades de Laura. Le bouquet final « Judas » : une écrasante rythmique Black, sombre, violente, empli de blast haineux. Ici encore, la musique fera corps pour ralentir le tempo en alourdissant l’air pour nous faire ressortir une dimension atmosphérique sublimée par ces célestes chœurs. La dimension mélodico/atmosphérique (et encore une magnifique prestation de Laura) est des plus intéressantes lorsque l’intensité violente du morceau grandira crescendo, encore plus lorsque la voix claire si reconnaissable et angoissante d’Emmanuel portera à elle seule cette symphonie noire.
«
La Cène » transpire d’un éprouvant travail depuis plus de quatre ans. Grandiose, époustouflant et dantesque, porté par une sublime production et d’un orchestre positivement grandiloquent, il fait partie de ces œuvres uniques comme les grands artistes n’en sortent qu’une dans toute une carrière.
Akroma délivre un troisième concept-album riche et résolument indispensable, à l’intelligence de composition folle vous faisant continuellement découvrir de nouveaux détails. Quand la noirceur se voit mise en scène avec une hargne d’une telle beauté, il ne reste plus qu’à nous incliner devant la puissance de cette Opéra-Black. Monumental.
# http://www.justanellipsis.fr/akroma-la-cene #
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