Il y a ces coups de cœur que nous n’attendons pas. Ces artistes qui déboulent de nulle part et qui parviennent, en quelques instants, à canaliser toutes les influences, toutes les émotions et l’essence même de ce qui peut nous toucher en matière artistique. Ces coups de cœur sont rares et deviennent, avec le temps, plus sporadiques encore au fur et à mesure que le temps avance.
C’est pourtant ce qui est arrivé lorsque j’ai écouté Vestige pour la première fois.
Je me souviens encore, ces dernières années, des premières écoutes de groupes comme
Hypno5e,
My Own Private Alaska, Zeal & Ardor ou encore
Sleep Token. On se surprend à justement être surpris (pléonasme) encore, après des centaines, des milliers d’albums écoutés. A se dire que non, la musique n’a pas encore tout dit et qu’il reste des histoires à raconter, des émotions à ressentir.
Vestige est un être hybride qui puise son inspiration dans une profonde mélancolie, en y incorporant des étincelles de brutalité dans des paysages atmosphériques qui évoquent inéluctablement leurs compères de
Alcest.
Hypno5e n’est pas en reste dans l’écriture progressive du combo, tout comme nous pourrions penser à un
Psygnosis plus lumineux dans les phases les plus intimistes et instrumentales.
Excellent produit par le groupe lui-même et mastérisé par Acle Kahney (TesseracT), "
Janis" nous embarque dans son univers dès les premiers accords de "Différent", introduction tout en délicatesse. Si les titres des morceaux sont en français, ce n’est pas toujours le cas des textes qui s’expriment en anglais, pour une plus grande universalité. Le début de "Deviens la Nuit" laisse apercevoir l’aspect shoegaze décrit par le groupe, cette délicatesse, cette sensualité presque du chant de Théodore Rondeau qui explose en un chant black metal écorché s’inscrivant dans une optique post-black comme Regarde les Hommes Tomber par exemple. Il se dégage également des riffs une vision plus moderne, proche parfois d’un metalcore progressif (TesseracT justement n’est pas si loin, ou
Textures sur les passages plus syncopés) mais ce qui impressionne, c’est la maturité ressortant de l’ensemble et formant une réelle personnalité. Le résultat pourrait laisser craindre un flot d’influences indigeste et maladroit mais il n’en est rien tant l’univers du groupe est déjà marqué, profond et personnel.
Un morceau comme "Océan" marque par sa violence, la brutalité de son attaque vocale, la rugosité de ses riffs mais se confronte constamment à cette dichotomie atmosphérique, matérialisé par la palette vocale du vocaliste qui, s’il est parfois “léger” dans son expression claire, n’en demeure pas moins habité par son interprétation. Une interprétation qui fait vivre un morceau comme "Automne", divisé en deux parties, et se permettant d’inviter Neige sur la seconde. L’influence d’
Alcest apparaît évidente ici (le vieux
Alcest dirons-nous), autant dans les passages en blast que dans les mélodies vocales éthérées qui incitent à la rêverie et la méditation. La première partie monte en intensité musicalement pour exploser sur une libération cathartique se poursuivant dans le second acte où les deux voix vont s'entremêler dans une osmose aussi naturelle que parfaite, formant ainsi une fresque de plus de dix minutes. Difficile de ne pas évoquer "Appel de l’Âme" qui, quant à lui, amène l’auditeur dans un paysage aride de riffs syncopés et dans une noirceur beaucoup plus poisseuse. La section rythmique, impeccable, martèle un rythme plus mathématique et anxiogène pour servir de support à des riffs d’une épaisseur et d’une agressivité rappelant clairement les meilleurs moments de
Hypno5e, avant un final au tapping absolument merveilleux (grand moment du disque).
"
Janis" nous emporte avec lui durant une heure, avec ses instants de pure poésie ("Corrosion", "Avant la Fin") ou d’effusions volcaniques ("Stigmates du Temps" et son ouverture à la
Devin Townsend, "Démence de l’Âme" et sa structure très progressive). Il confirme sur toute sa durée tout le bien que l’on pense de lui et l’accueil très positif qu’il déclenche depuis sa sortie. Season of
Mist ne s’y est d’ailleurs pas trompé en le signant et proposant déjà de très beaux packaging pour sa visibilité.
Vestige tape fort pour un premier essai et génère déjà de l’attente pour un second disque qui devra non seulement confirmer son talent mais étoffer son identité pour ne pas se répéter et sortir de certaines influences évidentes. En attendant, délectez-vous de ce premier nectar.
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