Le drone est un espèce de point d'interrogation qui a éclaté à la face du metal au début des années 90. Certes, les piliers du genre, les inévitables sunn O))) ont germé un peu plus tard au début des années 2000, de même que leurs innombrables projets parallèles ou encore les japonais de
Boris et les canadiens de
Nadja. Mais les grands précurseurs
Earth étaient présents bien avant, sortant leur premier album dés 1993.
Certes, cette musique n'était pas sortie du vide et s'était nourrie de tout un pan de la musique expérimentale variée, d'Yves Klein à Kraftwerk, de Coal à Eliane Radigue en passant par Tangerine
Dream mais il n’empêche que la transvasation de cette myriade d'influences au sein du doom metal avait créé un résultat détonnant et qui tranchait et tranche toujours avec l'autre pan expérimental présent dans le metal, bien plus expansif dans sa folie, à l'image des Mr. Bungle et autres
Fleurety...
A l'heure actuelle, l'étiquette drone reste une sorte de refuge pour les groupes qui mixent ambiant, sonorités lentes et étranges voir dérangeantes, qui au final ne peuvent être assujettis au black metal avant-gardiste, au doom, au progressif, au post-hardcore, au sludge, etc.
Il s'agit généralement d'une musique assez touffue et difficile d’accès, au final assez peu populaire au sein des métalleux qui la trouve souvent soit trop peu mélodique, soit trop barrée... D'un autre coté, certains de ces groupes parviennent également par ce biais à capter certains fans issu de toutes autres scènes, à la recherche d'esthétiques particulières.
Locrian est un groupe qui commence à avoir un peu de bouteille, même si je dois avouer que leur nom m'était jusqu'il y a peu relativement méconnu, quand bien même ils ont un nombre raisonnable d'album et une petite renommée sur la scène. Classé un peu partout au fil du temps : post-black, noise, expérimental, indus..., le groupe a su tracer sa route jusqu'à attirer l’intérêt de Relapse Records pour leurs deux derniers albums, un choix pas forcément si étonnant qu'il en a l'air, puisque loin de son image axée musique extrême, l’intérêt de son créateur Matt Jacobson pour les musiques ambiantes ne date pas d'hier, preuve en est la succursale Release Entertrainments créée dés 1992 et qui avait pour objet de produire de nombreux groupes expérimentaux...
Ce qui est frappant chez
Locrian dés les premières minutes de l'écoute de cet album, c'est à quel point la conception de la musique est différente de ce qu'on a l'habitude de nous offrir... Ce ne sont pas tellement les éléments en eux-même qui déparent à l'inverse par exemple d'un
Aluk Todolo, puisque pris en temps que tel et de manière indépendante pourraient coller à des groupes connus, des passages ambiant-indus à la
Ulver, une noirceur à la
Sunn O))), parfois des passages post-black pouvant rappeler
Deafheaven, des passages plus post-rock à la
God is An Astronaut ou Caspian, sauf que leur agencement et les liens intrinsèques font que l'on ne se sent presque jamais en sécurité musicalement parlant et que tout y est froid et intriguant, tirant vers le malsain, à l'image de son artwork extrêmement brillant.
A ce sujet, je n'ai d'ailleurs pas le souvenir d'avoir si souvent que ça vu des pochettes correspondre aussi bien à l'âme d'un album. Cette sorte d'insoutenable création est «
Infinite Dissolution » et l'album est cette forme curieuse et paradoxale, froide sans être noire, agencée au millimètre mais certainement pas connue ni rassurante...
Dans un certain sens, on peut voir cet album comme une sorte de passerelle entre plusieurs mondes qui permet d'accueillir un certain nombre d'influences sans se chercher une ligne directrice. « The Future of Death » ainsi, pourrait difficilement passer pour du drone au sens où on l'entend d'ordinaire, hormis pour les bruitages noise du début et de la fin du morceau, puisque par ailleurs c'est une sorte de thème indus qui accompagne un riff post-hardcore plutôt entraînant en soi voir légèrement lumineux, bien trop en avant pour du drone pur. La voix qui l'accompagne, hurlement inhumain produit un peu le même effet décalé que les screams de Neige sur certains morceaux d'
Alcest. A l'inverse un titre comme « An Index of Air », celui que le groupe a sélectionné comme porte-étendard pour être disponible sur youtube, est bien plus complexe d’accès, avec des bruitages assourdissants soutenu par une rythmique volontairement monotone de batterie pendant quasiment la moitié du morceau, par une sorte d'harmonie entêtante jouée à la guitare (chez un groupe comme
Locrian, le terme de mélodie est quasiment hors de propos...) avant qu'une voix de femme ne vienne déposer les ultimes sentences. Contrairement à la majorité des groupes ambiant, la seconde partie de la chanson est d'ailleurs très enlevée avec une batterie très présente.
Locrian n'est d'ailleurs pas considérable comme un vraie groupe d'ambiant à l'image des passages blastées à la fin d'un «
Arc of
Extinction » très rentre-dedans, rappelant ce que proposait Liturgy sur l'album « Aesthetica ».
Quelques instrumentaux pseudo-ambiants viennent proposer des transitions relativement transcendentales, à l'image de KXL II, qui juxtapose sans logique extrinsèque bruitages électroniques éprouvants, rythmique indus binaire et chants d'oiseaux. « Heavy Water », petit bijou de 4 minutes, montre ce que pourrait faire
Locrian s'ils étaient un groupe d'ambiant, avec des magnifiques passages joués à la guitare claire sur des synthés intenses et par moments des percussions soutenus, marque de ce qu'a apporté l'arrivée il y a cinq ans maintenant de Steven
Hess, lui qui est venu avec brio soutenir derrière les fûts organiques et électroniques, le duo initial André Foisy-Terence Hannum.
A l'image de son nom (le mode locrien, mode de si, est l'un des modes dissonants les plus difficiles à utiliser en musique « classique »),
Locrian n'est pas un groupe facile à suivre ni facile à apprécier... Il faut savoir prendre le temps d'apprivoiser les aspérités de style avec cet obstacle qui n'est pas à l'image d'autres groupes le son en lui-même mais plutôt la manière d'agencer, de tisser, de déconstruire, une toile abstraite faite d'éléments connus, de modernisme, de patrimoine, de références... Les américains ne sont personne, ils sont eux-même. Leur musique est brillance, leur musique est poussière. La réfléchir, c'est lui donner corps, trop la réfléchir, c'est lui ôter l’intérêt. Elle est éthérée et furtive, elle est oppressante et néfaste. Nombre d'auditeurs n'y comprendront rien mais pour les autres, rien ne sera plus pareil...
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