Généralement, quand on poste une première chronique sur un site, on chronique un album connu, histoire de marquer le coup. Au lieu de ça, je me retrouve à chroniquer la (toute petite) démo au titre à coucher dehors d'un obscur groupe haut-alpin, allez savoir pourquoi.
Imaginez que vous discutez avec quelqu'un qui, pour faire le malin, clame haut et fort être chanteur et guitariste dans un groupe de black metal et qui se met ensuite à dessiner le logo sur un papier l'air de dire "Tu vois, je te donne le nom ; maintenant, va écouter". À partir de là, quand on n'y connaît pas grand-chose, il est facile d'imaginer quelque chose comme un groupe ne comptant pas plus de trois musiciens qui peuvent ressembler à ça : un batteur faisant des bruits de vaisselle en tapant sur ses fûts, un bassiste noyé dans la masse et un chanteur/guitariste braillant des trucs incompréhensibles en jouant un riff à trois notes, tous en corpse paint. Puis, la curiosité l'emportant et Internet aidant, difficile de résister à l'envie d'aller voir de plus près ce que ça donne "en vrai". Me voilà donc à écouter tout ce qui m'est tombé sous la main (ou plutôt sous la souris) après avoir entré le nom de
Saurus sur un célèbre moteur de recherche. Et me voilà à constater que j'avais été baratinée sur la marchandise.
Saurus, du black metal ? Non.
Comme le souligne le nom de sa page Facebook,
Saurus se définit comme étant avant tout un groupe de death metal. Et en effet, nous retrouvons dans ce petit skeud bon nombre d'éléments caractéristiques de ce genre, tels que le growl bien grave, les cordes en si, les gros riffs péchus et lourds, les changements de tempo, les blast beats et les structures narratives. Cependant, force est de constater que plusieurs caractéristiques du black metal viennent bel et bien se taper l'incruste ; notamment le fait que les deux paroliers ait privilégié leur langue maternelle pour les textes (ce qui reste plus courant dans le black metal que dans un genre comme le death metal, très majoritairement anglophone), les mélodies de "
Pluie de Crystal" (pour info, la faute n'est pas volontaire), l'aspect self-made caractérisé par la pochette réalisée à la main et couverte de fautes d'orthographe ainsi que par l'auto-production, l'usage de pseudonymes (excepté pour le batteur, qui visiblement n'a pas réussi à en trouver un), les blast beats, les structures narratives... et la façon de procéder pour l'enregistrement, qui sera décrite de façon plus détaillée plus loin. Vous l'aurez peut-être remarqué : j'ai cité les blast beats et les structures narratives deux fois ; et ce dans le but de montrer que death et black se marient à merveille et que l'opposition manichéenne qui est parfois faite entre les deux genres n'est pas toujours justifiée.
Venons-en à présent au fait : la démo en elle-même.
La chanson que l'on trouve en premier en cherchant sur Youtube, donc la première que l'auditeur lambda écoutera, est la seconde piste, c'est-à-dire "
Pluie de Crystal". Agréable surprise. Elle est magnifique. La guitare lead donne l'impression de chanter ce qu'elle a à dire en jouant, on entend la basse, le texte est plein de poésie, la maîtrise est présente et c'est bien plus mature que ce que l'on peut imaginer venant d'un groupe amateur. Elle vient du cœur et ça se sent.
Puis, à défaut d'écouter la chanson d'amour ou bien l'hymne punk "démolitionnaire" qui figurent sur la chaîne du groupe, on peut écouter l'autre piste, à savoir "
Apophis Victorieux". Bien plus death dans ses riffs ainsi que dans son esprit, c'est elle qui fait prendre conscience de l'arnaque "
Saurus = black metal". En vérité, il s'agit de la chanson la plus représentative de ce que fait et cherche à faire
Saurus, à savoir du death metal old-school, notamment par les influences
Nile omniprésentes ; mention spéciale à l'expressivité du peu de notes qui composent le solo.
Autre mention spéciale pour le bassiste, qui fait ici montre d'une maîtrise incontestable de son instrument ainsi que des morceaux et qui possède le son le plus épuré du mixage.
Après tous ces éloges, on me demandera peut-être alors "Mais pourquoi n'avoir noté ce disque que 12/20 ?" Les raisons sont simples.
En vérité, beaucoup de reproches peuvent être faits à cette première production de
Saurus. En premier lieu, le son. En effet, il serait mensonger d'affirmer que la première impression que laisse "
Pluie de Crystal" est d'être magnifique, et ce malgré tout le charme qu'elle peut avoir. La vérité est que ce que l'on constate en premier, c'est que la gestion du mixage est absolument dégueulasse : voix presque inaudible par moments, batterie étouffée, guitare rythmique noyée dans le mix, son des guitares ressemblant à un grésillement de radio... Au final, seule la basse n'a pas pris trop cher. Il paraît facile de relativiser en se disant que ça doit être volontaire, groupe de "black" oblige ; cependant, quand on sait qu'en réalité, le problème vient du fait que le mixage ait été fait au casque, cet argument ne tient plus la route. Conséquence : si vous écoutez cette démo et que vous vous dites que c'est dégueulasse, mettez un casque, ça ira tout de suite un peu mieux. Juste un peu, hein. Mais ça ira mieux.
Pour rester dans le sujet du son, parlons un peu d'un élément ayant subi bon nombre de retours négatifs : la voix du chanteur Mordecai. Peu puissante, souffrant d'un manque d'articulation rendant difficile la compréhension du texte, moins expressive que la guitare...
Pas de la meilleure qualité, on l'aura compris. Et c'est là que j'en viens à un sujet évoqué précédemment : la façon de procéder pour l'enregistrement, peut-être un peu trop "true black". En effet, non contents d'avoir recruté un batteur de reggae dans leur groupe de death metal, les membres de
Saurus décidèrent un jour d'aller chercher un clubber, de le convertir au metal et de le faire enregistrer à peine recruté. Et quand je dis "à peine", c'est vraiment "à peine" : lors de ses enregistrements, Mordecai savait growler depuis environ une heure. Ce n'est pas une exagération, c'est la vérité. Et avec le recul, l'idée n'était peut-être pas si bonne que ça. Foncer dans le tas et vouloir faire ce qu'on veut sans vraiment se préoccuper des inconvénients, c'est bien, mais ne pas aller trop vite en besogne, c'est bien aussi, en particulier lorsque l'on aspire à faire du death metal.
Dernière raison, et non des moindres, pour laquelle cette démo ne vaut selon moi pas plus de 12/20 : le manque de contenu. Parce que mine de rien, deux titres, ce n'est pas beaucoup. Mais alors, vraiment, vraiment pas beaucoup. Même quand l'émotion est là. Surtout quand on a un potentiel comme celui de
Saurus et qu'en plus la démo aurait dû à l'origine contenir plus de titres ; cinq, plus précisément. Le premier et le dernier auraient été une intro et une outro typées ambient, passées à la trappe parce que personne n'avait pris le temps de les faire. C'est dommage, certes, mais moins que pour la troisième chanson qui aurait dû figurer sur la démo, intitulée "Les bois de l'éternité".
Plus vieux morceau de
Saurus (composé en 2009, avant même la formation du groupe), cette chanson aura connu bien des déboires : outre les nombreux changements de titre (de "La rodeuse" à "La rodeuse aux dagues d'argent" à "Les bois de l'éternité", et encore, il en manque peut-être), elle souffre d'une absence de texte sur plusieurs passages ainsi que d'un paragraphe dit "maudit" car n'ayant jamais été placé correctement lors d'une représentation live... Ce passage fut d'ailleurs le sujet d'une controverse qui causa le départ de Mordecai et qui ne sera pas détaillée ici. Suite à cette séparation, le guitariste
Saurus Devlétian enregistra les parties vocales à la place de Mordecai, cependant, le mastering de cet enregistrement ayant été finalisé trop tardivement, le morceau ne put figurer sur la démo. Voilà qui est fort bête, parce que "Les bois de l'éternité" est probablement un des meilleurs titres de
Saurus. Heureusement, il est depuis peu disponible sur Youtube, ici : http://www.youtube.com/watch?v=18Ae3VfHtkI
En résumé, pour sa première production,
Saurus nous offre un brûlot fort sympathique et faisant preuve déjà d'une certaine maturité autant dans les compositions que dans les thèmes abordés dans les paroles ainsi que dans l'impact émotionnel, mais malheureusement trop vide et trop plein de défauts pour être qualifié de réellement bon. Ceci dit, comme je l'ai souligné précédemment, il y a un énorme potentiel, et celui-ci ne demande qu'à être exploité au maximum dans la prochaine production, celle-ci arrivant certainement bientôt.
En tout cas, espérons que Neige, possesseur de l'unique exemplaire physique de "Il n'y
Aura pas d'Aube" ait apprécié cette dernière malgré tout...
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