"La satisfaction intérieure est en vérité ce que nous pouvons espérer de plus grand."
Baruch Spinoza
J'ai une tendresse toute particulière pour les "groupes d'une personne" (je fais de goog-traductions quand ça me prend), qui proposent souvent un univers personnel et sortant des canons trop calibrés du metal. De plus, à
Spirit Of
Metal, il arrive que nos forumeurs fassent partager leurs créations, dont certaines qui méritent d'être découvertes et dûment chroniquées, comme Mehen et
Emperor Ov Larvae, récemment. Et maintenant Spinozarre, one man band de metal instrumental d'Angers.
Comme c'est le cas avec beaucoup de One Man Bands, on sait peu de choses sur Alexandre Guérin ; l'artiste s'efface derrière sa création. Avec un patronyme comme Spinozarre (inspiré de Baruch Spinoza, philosophe pionnier du XVIIème siècle), on devine qu'il s'intéresse aux méandres de l'âme. La guitare huit cordes semble être son instrument de prédilection, et laisse présager un accordage gravement moderne, comme le montre une photo glanée sur le net. Il est arrivé de nulle part, mettant en ligne un premier morceau, puis dévoilant tout le reste de son premier album autoproduit deux jours plus tard, le 14 octobre 2020.
Le titre de l'album "
Hypokaïmenon", n'est pas un nom de pharaon, mais un terme de philosophie grecque (hypokeimenon). J'aimerais bien essayer de vous l'expliquer, mais je me suis fait une luxation du cerveau essayant de comprendre la définition. En gros, en simplifiant à mort, ce serait quelque chose qui échappe à toute définition et qui change de forme. Le premier qui dit un blob sort par la porte du fond. L'artwork éthéré montre un cercle solaire plongé dans une jungle abstraite d'aquarelle, qui est surmonté d'un minuscule chat noir paresseux gardant sous sa patte une baballe, épaissit encore le mystère.
Trêve de digressions, il est temps d'y aller avec les oreilles. Passé une longue minute bruitiste, on découvre une succession d'accords tordus et énigmatiques à la
Gojira, d'une lourdeur majestueuse. Le son concocté par Alexandre Guérin assisté de Maxime Touchon pour le mix et le mastering, est clair, puissant et particulièrement ample et flatteur dans les hautes fréquences. Et puis c'est louuurd : on le sent bien, le gros son de huit cordes qui bétonne des gros riffs syncopés sur "Dans un Recoin du Monde", "Pendula Rosea", ou "Jormundangr". La batterie est bien mise en valeur et en avant, d'autant plus qu'un vrai manieur de baguettes, Romain Sauvestre, a été appelé à la rescousse sur ces deux derniers titres.
Puisqu'on parle de la batterie, le contenu rythmique de cet album est foisonnant, avec des patterns pleins de contretemps, de cassures, qui renforcent la complexité des structures. Les compositions sont longues, majoritairement entre cinq et onze minutes pour les "vrais" morceaux, et donnent une dimension clairement progressive à la musique de Spinozarre. Sur les deux morceaux joués par Romain Sauvestre, il arrive encore à monter le niveau technique, avec des parties aussi brutales qu'explosives.
On peut dégager quelques influences évidentes, comme
Meshuggah,
Animals as Leaders, ou les instrumentaux de Misha Mansoor (
Periphery). Spinozarre évite cependant l'écueil de sonner "comme du Djent", en évitant d'abuser des riffs monocordes, et surtout avec des choix d'accords et de mélodies très singuliers, mélancoliques et parfois… bizarres, comme c'est bizarre. On trouve ainsi des dissonances inusitées entre certaines couches de guitares saturées et aériennes. Saluons l'énorme travail sur les arrangements, avec des effets aussi justes que luxuriants, comme sur "Shimmer" (qui est aussi une sorte d'effet "de l'espace" avec plein de delay et de reverb).
Il y a de gros contrastes entre lourdeur, saturation high gain, d'un coté et des mélodies très soignées et denses en guitare claire ou crunch, de l'autre coté qui m'ont rappelé les anglais d'Oceansize -qui jouent à trois guitares. En outre, l'intensité varie beaucoup entre passages brutaux et calmes, de manière bien amenée, qui raconte une vraie histoire musicale.
Là où j'ai été le plus bluffé, c'est par la beauté de certaines mélodies qui se posent comme des papillons multicolores sur une scène de ruines : la fin cristalline de "Jormundangr" est de toute beauté, les guitares claires continuent à s'envoler sur l'intermède "Couleur", et "Le Vent se Lève, il Faut Tenter de Vivre".
Avec "
Hypokaïmenon", Spinozarre propose une petite perle de metal progressif moderne, sur laquelle j'ai souvent envie de revenir, car elle ne ressemble à aucune autre…
Merci pour la chronique, qui m'a donné envie de jeter une oreille !
Bon alors comme je m'y attendais un peu, on est clairement dans un style avec lequel j'ai un peu de mal (metal moderne/djent instrumental à la Animals As Leaders ou Periphery). Après comme tu le précises judicieusement, j'y trouve quand même pas mal de recherche mélodique plus "émotionnelle" que les ténors du style (dont je trouve en général les mélodies plutôt stériles et pas du tout prenantes).
Le son aussi est un peu moins grave et compressé que les classiques du genre, et c'est tant mieux, ça donne une vraie patte à l'album. Par contre je mettrais quand même un bémol sur le son de la batterie/BAR (y a les 2 suivant les morceaux c'est ça ?), qui claque trop sur les mediums/aigus, ce qui casse un peu la lourdeur et le groove je trouve.
Bref, agréablement surpris pour un album d'un style avec lequel j'ai habituellement du mal.
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