Eteignez les lumières, isolez-vous dans une pièce sombre et calme loin de la rumeur et de l’agitation du monde extérieur, asseyez-vous au centre de la pièce, fermez les yeux et videz votre esprit. Vous y êtes ? Parfait. A priori, vous êtes dans les meilleures conditions pour profiter au mieux de l’expérience
Hvísl Stjarnanna.
Oui, vous l’aurez déjà compris si vous êtes linguistes, mais on va encore parler de l’Islande.
Pas forcément dans les termes habituels ceci dit, puisque avec son excellent EP
Within the Weaves of Infinity sorti en 2017,
Sinmara avait déjà affiché une certaine volonté de se détacher des tendances dominantes d’une scène black nationale particulièrement chaotique, dissonante et schizophrène. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que son deuxième full length,
Hvísl Stjarnanna, sorti le 8 mars sur Van Records, poursuit dans ce sens, s’illustrant dans un registre plus langoureux et atmosphérique que sur son premier album sans pour autant délaisser la noirceur hypnotique qui en fait la profondeur spirituelle et l’ancre profondément dans la scène extrême.
Apparitions nous convie d’entrée à cette cérémonie hallucinée dont la noirceur nous happe dès les premières secondes : un bourdonnement sourd qui se mêle sournoisement à un clavier éthéré, une note vibrante de guitare qui se dissout dans le néant avant de s’amplifier lentement, danse de cordes grondant en sourdine et guidée par le jeu de batterie tribal et hypnotique de Bjarni Einarsson ainsi que les plaintes lugubres de la basse qui, à 1,3 minutes, viennent nous fouiller les entrailles de leurs doigts glacés… Angoissé, on devine la bête innommable tapie dans un coin d’ombre et on attend le moment où elle va bondir… Et effectivement, un blast prédateur jaillit et nous saute à la gorge à 2,23 minutes, guidé par le chant rauque de Ólafur Guðjónsson et appuyé par un coulis de grattes en fusion qui nous sert un black metal post apocalyptique sourd et dissonant assez typique de la scène islandaise.
Ceci dit, plus on avance dans ces 42 minutes, plus
Sinmara parvient à s’affranchir des codes musicaux déjà établis de la jeune scène black nationale : Mephitic
Haze nous inocule dès les premières notes cette mélodie belle et triste dans les veines, mêlant grandeur désabusée et mélancolie morbide en un conglomérat inextricable qui fait définitivement l’identité et la force de cet album, alors que le morceau éponyme qui clôt l’album est plus aérien que jamais. Oscillant entre l’intensité rythmique et l’opacité d’un true black – surtout au début- et une sensibilité mélodique presque atmosphérique,
Hvísl Stjarnanna est un album à l’identité forte, qui sert une musique à la fois unique et polymorphe aux variations insaisissables, se détachant finalement assez nettement du chaos orchestré et magmatique des Svartidaudi, Misþyrming et autres
Carpe Noctem.
Le quintette pratique une version plus aérée et moins erratique de l’art noir, mettant largement en avant ces ambiances vaporeuses et ces mélodies qui servent de liant à une musique complexe à la polyrythmie toujours aussi fouillée mais qui heurte moins les repères de l’auditeur. L’ensemble se fait plus fluide, moins schizophrène, les éléments opposés cohabitant au sein d’un même morceau avec une cohérence savamment orchestrée, et les parties purement violentes sont finalement assez rares, avec des blasts plutôt en retrait qui laissent plus d’espace à un mid tempo quasiment mystique. Ce sont finalement ces parties atmosphériques et brumeuses qui dominent, tissant un canevas musical propice à une sorte de méditation tranquille (la fin de Mephitic
Haze, Crimson Stars, le magnifique Úr Kaleik Martrað, étonnamment mélodique). Les six longues pièces de ce deuxième album nous invitent à une cérémonie dont nous sommes à la fois acteurs et spectateurs, celle de notre élévation spirituelle à travers une chute dans des ténèbres sans fin mais rarement menaçantes. La lumière noire qui nous guide est attisée par le souffle rougeoyant des guitares et le râle monocorde de Guðjónsson qui finissent par s’unir en une sorte de mélopée qui, sur les deux derniers titres, en vient presque à nous bercer.
Islandais dans ses sonorités mais moins convulsif et chaotique que la majorité des groupes phare de cette scène,
Sinmara continue donc à creuser le sillon atmosphérique initié sur
Within the Weaves of Infinity sans pour autant se départir de sa noirceur et de ses vapeurs de soufre. Si vous aimez les mélodies sombres et tordues ainsi que les circonvolutions musicales complexes et exigeantes enveloppées d’atmosphères brumeuses,
Hvísl Stjarnanna est fait pour vous. Une nouvelle perle pure et unique qui nous vient d’Islande, une fois de plus. Bon voyage au pays des glaces…
Superbe chronique, le fait que ce disque t'a pris aux tripes est palpable tout au long de ton texte. Je me suis jeté sur Mephitic Haze, très bon titre. Je pars à la recherche de cet album.
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