Prohod m'était totalement inconnu jusqu'à ce que Moga, l'artiste derrière Kogaion Art, m'introduise à ce projet, pour lequel il prête tout son talent et sa patte graphique. Car, pour mémoire, Kogaion Art a fourni bon nombre de visuels pour des groupes non moins prestigieux, tels que
Winterfylleth,
Absurd,
Hate Forest,
Rauhnacht, et j'en passe. Ayant déjà eu l'occasion de m'entretenir avec le bonhomme, c'est avec grand plaisir que j'ai répondu à sa demande : celle de rédiger une chronique du premier album de Prohod, "Hotarul Imbrelor", à paraître chez Totemic
Forest sous peu.
Indépendamment de la sympathie et du respect que j'ai envers Kogaion Art, Prohod, sur le papier, avait absolument tout pour me plaire. Formé fin
2012, la formation propose un Black
Metal atmosphérique aussi inspiré que prenant, témoignant de la beauté de la nature et des bonnes relations entre les êtres, de l'amour de la vie, bref, bien loin des thématiques développées habituellement dans le Black
Metal. Fort de la maîtrise musicale de ses membres, Prohod tisse, au travers de ses compositions, le portrait d'une nature sauvage et de l'amour profond pour ses racines roumaines.
Je passerais sur l'artwork somptueux de la pochette : étant coutumier de l'excellent travail du graphiste roumain cité plus haut, je préfère attendre d'avoir le support physique en main pour en témoigner. Sobre, épuré, il a le mérite d'attirer le regard du curieux - même s'il ne colle pas particulièrement à certains titres, comme nous le verrons plus loin.
Musicalement, les bouchées doubles ont été mises sur la production : l'envie de ne rien traiter à la légère et de proposer une première sortie aussi professionnelle que possible est bel et bien palpable. Les guitares sonnent très bien et sont correctement mixées à l'ensemble, la basse vrombit délicieusement, apportant un peu de chaleur et d'épaisseur aux différents titres. Les instruments folkloriques sonnent assez bien, dès lors qu'ils ne sortent pas des entrailles d'un clavier : malheureusement, certains passages sonnent vraiment beaucoup trop "informatique" pour être clairement convaincants.
En témoigne le titre "Din Sihle Pustii" et son espèce de clavecin, où l'on entend clairement les coupures dans les samples utilisés - néanmoins, je ne crache pas dans la soupe : la pièce comporte une partie très contemplative toute en mid-tempo en milieu de titre vraiment excellente. Une partie qui aurait clairement été sublimée par l'usage d'une vraie batterie et de vraies cymbales d'effets. Dans l'ensemble, le son est très léché, même s'il manque parfois un peu de "percutant" - ce qui est normal, considérant le fait que "Hotarul Imbrelor" est la première production de Prohod. A titre personnel, je regrette un peu que la voix ne soit pas mise un peu plus en avant : elle est mixée très en retrait, masquée par bon nombre d'effets d'écho qui la font sonner "fantomatique", ne collant pas vraiment à l'ambiance véhiculée par les titres.
Car le plus gros point faible de cet album, en réalité, c'est ce son de boîte à rythme, proprement insupportable aux oreilles d'un batteur. Tout est lissé, les blasts sonnent affreusement mal, et en viennent presque à dénaturer le reste des instruments, qui peinent à se creuser une place digne de ce nom dans ce marasme de percussions informatiques (le gros blast du titre "Vrajba" est d'une laideur incroyable - quel dommage au vu du démarrage du titre, tout en finesse et en violons déchirants). On en avait eu la preuve sur le "Fünf Jahre
Kulturkampf" de
Kroda : l'utilisation d'une vraie batterie avait véritablement transcendé leurs vieux titres. "Hotarul Imbrelor" aurait gagné en force et en intensité avec un batteur en chair et en os.
Globalement, la galette reste de très bonne facture, malgré quelques longueurs éparses. Le riffing est très inspiré et épique, faisant la part belle au trémolo-picking, certains titres me rappelant furieusement le côté solaire et éthéré de Fanisk et d'
Eldrig (comme "Sacrilegiu Sfetnic"). D'autres titres sont malheureusement moins inspirés, comme "Vrajmas Zamislit", qui, hormis une utilisation judicieuse du violon, sonne comme un gros patchwork, assemblage décousu d'un piano massif et de riffs qui ne collent pas vraiment à l'ensemble, alternant maladroitement des breaks que n'aurait pas renié
Carach Angren avec des parties presque dansantes, dénaturées par toujours cette affreuse boîte à rythme.
Les compositions restent plutôt bien construites, certaines sont parfois assez surprenantes : "Blesteme Peste Veacuri" et son espèce de cornemuse/flûte/téléphone portable (entourez la bonne réponse) qui fera tiquer les tympans de n'importe quel mélomane en puissance. Malgré un ralentissement de tempo très accrocheur au cours du titre et un riff surpuissant pour le clore, on garde dans la bouche une amère saveur de "décousu" : il n'y a en effet pas de réelle unité dans les titres, malgré une envie évidente de tout donner de la part des musiciens. "Vrajba", titre très réussi avec des guitares déchirantes et un riff über-efficace, souligné par des petites flutes de pan en atmosphère, est un bon exemple de ce à quoi le groupe aurait du se tenir tout au long de ce "Hotarul Imbrelor".
Piochant aussi bien du côté de
Negura Bunget ("Al 'Naltului Prohod" et son introduction folklorique soulignée par des choeurs masculins du plus bel effet) que de
Kroda où encore Fanisk - ce qui, ma foi, est loin de me déplaîre - , Prohod propose un premier essai efficace, certes, mais qui aurait gagné en puissance et en intensité en évitant de vouloir "trop bien faire" : en superposant les couches mélodiques jusqu'à l'indigestion, les musiciens en sont parvenu à dénaturer la force indéniable de certains de leurs titres. Ce qui est dommage, car certaines pièces sont de véritables morceaux de bravoure, d'une qualité indéniable.
En résumé, "Hotarul Imbrelor" reste de très bonne facture pour une première sortie - qui aurait gagné à être amputée de plusieurs minutes malgré tout. Les quelques excellents titres qui y figurent me laissent présager le meilleur quant au futur de la formation, sous réserve qu'ils digèrent un peu plus leurs influences et surtout, apportent plus de cohérence et d'unité à leurs morceaux. Il manque à ce disque un petit quelque-chose pour le rendre réellement accrocheur. Affaire à suivre, donc, et une première sortie encourageante qui, malheureusement, laisse un arrière-goût un peu désagréable en bouche.
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