On ne le répètera jamais assez, notre scène black française regorge de groupes de talent et n’a pas à rougir face à la concurrence internationale. Parmi ces gloires qui portent fièrement l’étendard tricolore, impossible de passer sous silence Sühnopfer, one-man-band qui brandit comme un héraut la langue de Molière pour nous plonger dans le passé et nous conter l’histoire de son Auvergne natale. Déjà fort d’une flopée de démos et de deux full length, la réputation du combo n’est plus à faire, et cela faisait quatre ans et demi que les amateurs d’Ardraos attendaient le successeur d’
Offertoire. Voilà donc le bien nommé Hic Regnant Bourbonii
Manes désormais soutenu par Debemur Morti Productions, et une chose est sûre : on va encore s’en prendre plein les oreilles.
Invito Funere est un prélude aux accents symphoniques et grandiloquents qui introduit Pénitences et Sorcelages, porté par un roulement de batterie et déversant une pléthore de riffs ébouriffants et mélodiques et de blasts assassins qui nous bousculent et nous désarçonnent. Le tout est d’une intensité saisissante, bardé de blasts, de cassures de rythmes et de changements d’accords fréquents qui annoncent bien la couleur de l’ensemble : ce nouveau cru sera rapide, conquérant et complexe ou ne sera pas.
Hic Regnant Borbonii Manes est incontestablement une pièce de qualité avec un riffing très travaillé, plusieurs couches de guitares se superposant pour créer un enchevêtrement prolixe mais toujours mélodique. Les parties de batterie sont dévastatrices – ça fait déjà un petit moment qu’on sait qu’Ardraos n’a plus rien à prouver dans ce domaine mais il est toujours bon de le rappeler – , balançant des tempi majoritairement très rapides et force roulements phénoménaux qui, avec ce chant toujours aussi intense, haineux et agressif, achèvent d’instaurer une ambiance particulièrement vindicative. Effectivement, ces 51 minutes sont bourrées ras-la-gueule de blasts effrénés et de cavalcades guitaristiques épiques et étincelantes qui forment de belles parties gorgées de cette fureur guerrière et de cette noblesse chevaleresque si chères au one-man-band (l’entame grandiose du morceau éponyme, l’ouverture de Je Vivroie Liement, la fin de l’Hoirie de mes Ancêtres avec ce superbe tapping incandescent), et à plusieurs reprises, si l’on ferme les yeux et se laisse porter par la musique, on peut facilement s’imaginer en chevalier solitaire galopant ventre à terre sur un champ de bataille calciné et jonché de cadavres, la bannière sanguinolente de la terre que l’on s’est battu pour protéger flottant glorieusement au vent.
Un album violent donc, mais pas pour autant bas du front, avec de longues compos peaufinées et complexes qui font de ce troisième full length un album riche à la durée de vie appréciable se décantant et se savourant au fil des écoutes. Les quelques passages plus calmes sont d’autant plus appréciables qu’ils se font rares (le court break acoustique sur La Chasse Gayère, le passage central acoustique de Je Vivroie Liement, très réussi, et rehaussé de chœurs moyen-âgeux, on en aurait aimé plus des comme ça!) et permettent de souffler au milieu de ce déferlement de fureur.
Car c’est à mon sens justement là que le bât blesse et empêche Sühnopfer d’accéder définitivement à l’excellence : Ardraos veut trop en faire et perd en accroche, ne parvenant pas à retrouver la balance idéale entre déflagrations de blasts et passages plus mélancoliques ni la simplicité mélodique qu’il y avait sur
Nos Sombres Chapelles qui, pour moi, reste le meilleur album du groupe, plus direct et spontané. Ici, les mélodies nous assaillent de toutes parts, virevoltantes et virtuoses, mais trop volatiles pour vraiment faire des dégâts et s’incruster durablement dans notre oreille, manquant sensiblement d’accroche malgré leur qualité incontestable ; l’ensemble est profus, les lignes de guitare partent en tous sens et ne prennent pas le temps de se poser et d’imposer leurs motifs - comme des purs sangs rétifs qui viendraient de retrouver la liberté – conséquence, on a parfois du mal à digérer cette avalanche de décibels et on ne peut s’empêcher de ressentir un léger sentiment de frustration. Pour faire une comparaison aussi facile que logique, on préfèrera nettement le dernier
Aorlhac à cet album, plus direct et accessible dans ses mélodies.
Finalement, l’ensemble est très bon, mais laisse trop peu de respirations et a tendance à nous noyer sous une profusion de riffs et de blasts, faisant de
Hic Regnant Borbonii Manes un album intense et exigeant, qui, avec ses 51 minutes au compteur, est difficile à s’envoyer d’une traite. Il faudra donc être patient pour que les trésors de musicalité qu’il recèle se dévoilent petit-à-petit à nous…
Pour conclure, ce troisième opus longue durée est une très bonne réalisation et constitue une suite logique d’
Offertoire, mais reste assez difficile d’accès à cause d’un riffing changeant et complexe et d’un blast dominant très rapide qui peut lasser. Ceci dit, on peut supposer que cela correspond à la volonté de son auteur qui n’a jamais voulu faire dans la facilité et qui compose une musique fière, sauvage et grandiloquente qui doit se mériter et se conquérir : comme le diraient les preux, à vaincre sans péril, on triomphe sans gloire…
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