Un feu follet à la lueur glauque survenu aussi soudainement que disparu … Voici comment l'on pourrait qualifier en une phrase le bref passage des norvégiennes de
Aghast sur notre Terre, matérialisé par le dénommé "Hexerei im Zwielicht der Finsternis".
Un feu follet nous conduisant directement, infortunés voyageurs nocturnes, dans l'antre de Nacht et
Nebel, adeptes de sorcellerie terrées au plus profond d'une contrée reculée, loin, très loin du monde des vivants, aux tréfonds d'un bois hanté dissimulant un lieu de culte maudit dont les portes s'ouvrent avec les nappes et notes minimalistes mais néanmoins inquiétantes de "Enthrall" sur l'effroyable vision d'un autel où se tiennent les deux prêtresses, entamant par leurs gestes sacrificiels et leurs incantations solennelles l'étape initiatique d'un rituel shamanique voué aux esprits damnés des défunts en proie à un maelström de peine et de tourments ("
Sacrifice").
Invoquant les plus pernicieuses puissances par son dark ambiant résolument enraciné dans un occultisme païen,
Aghast déploie son art en une aura profondément sinistre et glaçante. Loin des gimmicks introspectivo-contemplatifs que produisent la majorité des artistes du genre, la singularité de la chose stupéfie de prime abord, de même que l'usage des voix, non pas en simple juxtaposition du substrat instrumental, mais en faisant totalement corps avec lui.
Non pas des voix, le terme en serait bien trop revêtu d'une apparence humaine … non, "phonations" serait plus juste … des phonations jouant bel et bien le rôle d'instruments d'angoisse et de supplice, se faisant soupirs mortuaires ("Enter the Hall of Ice"), ricanements perfides dépeignant les plus diaboliques intentions ("Das Irrlicht"), susurrements rauques manifestant l'irrépressible désir de sang et de chair rongeant les créatures qui les exhalent ("The Darkest
Desire"), psalmodiant mille et un sortilèges en des clameurs lancinantes ("Call from the Grave") ou impérieuses ("Das Irrlicht").
Le charme sépulcral agit insidieusement jusqu'à culminer sur l'état de transe de "
Totentanz", où les cris d'exaltation s'élèvent de toutes parts et se mêlent aux battements caverneux d'un tambour mortuaire, intensifié par des résonances naturelles résultant de l'usage adapté du field recording et produisant l'effet de se sentir cerné par un souffle d'outre-tombe, englouti en des ténèbres insondables ne laissant aucune échappatoire si ce n'est le vide … le néant … la seule issue lorsque se volatilisent les ultimes crissements éraillés d'un violon plaintif, tandis que se referment les portes du lieu maudit, tels les battants d'un caveau suffoquant ("
Ende").
Possédée par une entité éminemment malfaisante, des tréfonds de son cortex jusqu'au bout de ses crocs acérés comme des lames de poignard, l'hydre bicéphale
Aghast injecte son venin d'un noir de jais et, sans employer la moindre corde de nature électrique, pourrait bien parvenir à méduser certains adeptes de black cru et primitif par ses sonorités organiques et ses textures altérées, suintant une pure authenticité sans aucune once de surfait.
Après avoir scellé en 1995 cet unique pacte avec Roger Karmanik, gourou de
Cold Meat Industry et grand spécialiste du genre dark ambiant, accouchant d'une perle rare n'ayant que peu d'équivalents (si ce n'est les travaux de Wilt,
Profane Grace ou les premiers
Archon Satani), Tania "Nacht" Stene concentrera son influx créatif sur ses chères expérimentations electro, tandis que Andrea "
Nebel" Meyer Haugen établira les dogmes de son projet pagan folk
Hagalaz' Runedance, laissant pour seule marque de leur alliance un pur cauchemar comme il est rarement donné d'en connaître.
Une œuvre obscure, dont chaque nouvelle écoute produit la sensation d'exhumer un antique grimoire, d'en décrypter les formules sibyllines, révélatrices des plus terribles secrets, enterrés et condamnés à l'oubli des siècles durant …
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