On ne compte plus les formations metal symphonique à chant féminin inspirées par
Nightwish au temps où
Tarja officiait en qualité de frontwoman. Et cette jeune formation russe originaire de Moscou, créée en 2008 sous la houlette de la Mezzo Alto Alexandra
Revontulet et du batteur Sergey Gorshkov '
Zorg', en fait bel et bien partie, avec pour dessein d'embrasser une carrière à long terme sur cette scène metal déjà surinvestie. C'est dire qu'il lui fallait plus d'une arme efficace et user d'astuces pour ne pas connaître le destin funeste de nombre de ses homologues générationnels. Et ce, d'autant plus qu'à ce moment-là les cadors du genre (
Nightwish,
Epica,
Xandria,
Leaves' Eyes,
Within Temptation...) n'ont eu de cesse de faire entendre leurs voix aux quatre coins de la planète. Mais le collectif russe ne l'entend pas de cette oreille et, sans complexes, sans trembler mais pas sans filets, il se lance dans l'aventure...
Aussi, prudent dans sa démarche, et aux fins d'un travail méticuleux et de longue haleine, ce n'est qu'en
2012 que sort leur premier et pénétrant single «
Eternal Autumn », un an avant un second, « Hear Me (Part II) », titre entraînant qui allait propulser le groupe dans l'arène metal locale sans jambage. Fort de ces deux impondérables hits, après quelques modulations de son line-up, ce n'est qu'un an plus tard, en 2014, qu'il accouche d'un premier et roboratif album full length dénommé « Hear Me », où s'écoulent 8 pistes énergisantes, épiques et romantiques, de durées variables, sur un ruban auditif de 54 minutes. Cette généreuse auto-production estampée metal mélodico-symphonique/opéra à tendance progressive jouit à la fois d'une excellente qualité d'enregistrement et d'un mixage parfaitement ajusté, signés Alexandra et Sergey, offrant ainsi une netteté quasi absolue de l'espace sonore et une saisissante profondeur de champ acoustique.
Pour une mise en exergue de ces inspirées compositions concoctées par la sirène, notamment pour les compléments d'arrangements, nos deux acolytes ont sollicité d'anciens musiciens du groupe, dont le bassiste Max Orlov et le guitariste Dmitriy Sakharchuk. De plus, un impressionnant parterre de musiciens et choristes expérimentés et de talent ont contribué à conférer une confondante densité et une prégnante chaleur orchestrale doublées d'un appréciable supplément d'âme à cette galette, parmi lesquels : Yuriy Leshchishen à la guitare acoustique ; Reinameron et Vladimir Ryazansky à la flûte ;
Anton 'Zeuse' Ragulin au violon ; Eugenia Striga à l'alto ; Vera
Mech au violoncelle ; Kristina Yavorskaya, Kristina Dovidaytis et Elijah Strauss-Brooks aux choeurs.
Là où le combo russe marque ses premiers points concerne ses passages entraînants délivrés en up tempo, dont la plupart seraient déjà inscriptibles dans les charts. A commencer par l'une de leurs premières ogives. Ainsi, sur l'engageant et profond «
Eternal Autumn », le collectif nous renvoie à un passé magnifié, rappelant, de fait, avoir composé une tubesque offrande, ce qui, semble-t-il, lui a réussi. Ce faisant, de caressantes gammes au violoncelle se conjuguent à une dense et rayonnante assise instrumentale, le long d'un parcours mélodique sécurisant et surtout propice à l'imparable captation de nos sens. Lorsque la sirène élève ses inflexions d'un octave et que le convoi orchestral s'emballe, le spectacle devient effervescent, jusqu'à couper le souffle. Dans cette mouvance, l'énergisant «
Infernal Angel » déploie moult arrangements et une atmosphère typiquement nightwishiens. Ce grisant up tempo ralentit opportunément la cadence sous couvert de virevoltantes envolées d'un alto en goguette pour repartir plus dopé qu'avant. C'est à une frétillante et émoustillante pièce opératique à laquelle nous convient nos compères, que n'aurait reniée ni
Xandria ni
Dark Sarah. Si les refrains catchy semblent déjà entendus, il en va autrement sur les couplets finement ciselés. A nouveau l'émotion est au rendez-vous de nos attentes.
Dans une dynamique rythmique progressive, nos compères ont également su élever le niveau de leurs exigences pour nous inviter à quelques frissonnants instants. D'une part, sur une violoneuse et aérienne assise, voguant sur de soyeuses et amples nappes synthétiques, l'altier mid tempo progressif et opératique «
Blizzard », doté d'un tapping effilé, à la façon d'
Amberian Dawn, n'aura de cesse de nous faire frissonner. Une ligne mélodique d'une précision d'orfèvre soutenue par les graciles modulations de la diva, aux faux airs d'
Heidi Parviainen (
Dark Sarah), disséminée de bout en bout du méfait, fera chavirer plus d'un cœur en bataille. L'intense charge émotionnelle transpirant par tous les pores de cette pépite s'avère, en effet, bien difficile à éluder sans que ne perle une petite larme. D'autre part, de délicats arpèges au maître instrument à touches parsèment « The Pianist of the Darkest
Night », romantique mid tempo progressif à la belle profondeur de champ acoustique, dans la lignée atmosphérique d'
Opus Doria. De fringants changements de tonalité inondent une plage interprétée avec brio par une mezzo alto bien habitée, dont les chatoyantes patines ruissellent avec un naturel déconcertant dans nos pavillons alanguis. Enfin, original mid/low tempo syncopé que n'aurait pas renié
Xandria (seconde mouture) où flamboient de souriants violons, « Velvet
Night » ravit tant par ses harmoniques que par une sente mélodique aux vibrantes oscillations. D'incessants changements de rythme infiltrent une pièce où s'épaissit progressivement le corps oratoire, nous intimant de rester scotché jusqu'au point de non-retour, l'ensemble finissant crescendo et en parfaite osmose.
Sans s'y être réduits exclusivement pour nous rallier à sa cause, nos mousquetaires ont également veillé à desserrer leur étreinte, pour nous livrer leurs mots bleus, sur un seul intimiste espace d'expression, où ils témoignent là encore d'une indéfectible inspiration doublée d'une sensibilité à fleur de peau. En effet, comment échapper à l'emprise de la touchante ballade « Suomi », elle aussi dans la veine d'un
Nightwish des premiers émois, qui, d'un battement d'aile, nous emporte loin, très loin des contingences matérielles ? Sans forcer le trait, caressante et tout en retenue, la belle, à la manière de Maire Brennan (Clannad), parvient à encenser le pavillon. Toute en nuances et en légèreté, cette enchanteresse offrande distille de subtiles variations tout en conservant un cheminement mélodique des plus exquis.
Mais, là ne s'arrête la ronde des saveurs, loin s'en faut. S'il est un domaine où nos gladiateurs se transformeraient en véritables bourreaux des cœurs, on retiendra celui des pièces en actes à orientation opératique. Dans cette veine symphonique progressive, deux piliers semblent se faire face, pour nous octroyer la quintessence d'un art qu'il ont confectionné et perfectionné au fil du temps. Ainsi, un frêle xylophone fait place aux sensuelles envolées d'un violoncelle enfiévré sur « Rainheart », fondante fresque opératique esquissée en mid tempo progressif. A mi-chemin entre la dynamique symphonique de
Nightwish, avec un soupçon d'
Opus Doria, les harmoniques de
Xandria et la touche folk de Clannad, avec un zeste de Blackmore's
Night, on pénètre en terres sereines, où une muraille de choeurs s'impose, faisant écho aux félines et captatrices volutes de la déesse. Lorsque le corps instrumental gagne en intensité et en pugnacité, il devient alors illusoire de chercher son salut dans une quelconque forme de résistance, tant la charge percussive juxtaposée à d'élégantes modularités mélodiques déferlent sans ménagement et ainsi se font prégnantes au point d'en devenir indélébiles jusqu'à l'ultime souffle de l'effort. Et que dire de l'outro de l'opus qui, du haut de ses 15 minutes, semble toiser sa rivale, telle une inébranlable tour d'ivoire ?
Le pléthorique et flamboyant « Hear Me » se poserait comme la fine fleur des fresques de metal mélodico-symphonique progressif à chant féminin. Digne héritière de « Oceanborn » de
Nightwish de par son atmosphère radieuse, un poil feutrée, et la puissance magnétique de son empreinte orchestrale qui, virevoltant à l'envi, octroyant une élégante progressivité de son intensité rythmique, séduit d'un battement de cils, cette pièce en actes à visée opératique s'offre telle un moment solennel touché par la grâce. Dans cet océan de félicité sous-tendu par un délectable et lévitant spectre violoneux, se déploient les profondes et hypnotiques patines oratoires de la maîtresse de cérémonie. Aussi bien sur les couplets, enjolivés par une chorale qui lentement et délicatement charge l'espace oratoire, que sur les refrains immersifs à souhait, entonnés par une interprète au faîte de son art, notre fibre émotionnelle sera ébranlée. De plus, breaks opportuns et reprises spectaculaires abondent tout comme les changements de tonalité, nous faisant passer un quart d'heure épique et romantique des plus infiltrants, sans temps morts ni espaces de remplissage, chaque mesure investie ayant sa raison d'être. On comprend alors que l'on a affaire au diamant de l'opus.
Fait suffisamment rare pour être relaté, force est d'observer que, dès les premières effluves, le collectif russe assoit son autorité. Même si les sources d'influence ne sont guère bien loin eu égard aux séries d'accords esquissées, l'épaisseur artistique du projet ne saurait être éludée. En outre, une solide cohésion groupale et une confondante harmonisation entre instrumentation et champ oratoire se cristallisent à l'aune de ce galvanisant brûlot. Diversifié dans ses atmosphères et ses champs rythmiques, techniquement efficient, témoignant d'harmoniques bien distribuées et d'un sens mélodique semblant inné, octroyant des compositions bien inspirées et judicieusement articulées dans la tracklist, jouissant d'une production particulièrement soignée, on subodore que ce premier effort ne laissera pas indifférents les aficionados des maîtres inspirateurs de la jeune sarabande. Selon votre humble serviteur, on peut arguer que nos acolytes n'en resteront pas là et que, d'ici peu, ils feront planer une menace sérieuse pour leurs homologues générationnels. On attend dès lors, et non sans une pointe d'impatience, conformation de ce potentiel à l'aune d'un seconde album full length.
Revontulet, si vous nous entendez...
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