Lorsque l’on parle de la scène metal hollandaise, on pense en premier lieu au death metal, avec les pointures que sont - ou qu’étaient ! -
Pestilence,
Asphyx,
Sinister ou
Gorefest, à la scène grind représentée par les Last Days of Humanity,
Inhume et autres
Rompeprop, et à l’opposé, au metal symphonique à chant féminin, avec les
Orphanage,
Within Temptation,
After Forever et
Epica qui règnent – ou ont régné !- en maîtres incontestables du genre.
Bien souvent, on oublie injustement le microcosme black metal, qui, bien qu’assez peu représenté par rapport à celui des voisins scandinaves ou teutons, n’en regorge pas moins de formations de qualité à la personnalité marquée : outre les reconnus
Carach Angren, des groupes comme Deynonichus,
Urfaust,
An Autumn For Crippled Children ou
Dodecahedron se sont toujours appliqués à sortir des sentiers battus pour proposer une vision singulière et unique de l’art noir.
C’est précisément dans cette catégorie de groupes que se range
Wederganger, petite formation totalement inconnue réunie en 2013, et dont le premier album au titre imprononçable,
Halfvergaan Ontwaakt, sort en juillet 2015 sur Van Records. A l’écoute de ces 43 minutes, un constat s’impose : la musique des Bataves ne rentre dans aucune catégorie de black à proprement parler, empruntant autant au true black qu’à la scène orthodoxe ou à certains combos qualifiés d’avantgardistes, et
Wederganger ne ressemble finalement qu’à lui-même, même si on décèle quelques influences évidentes de quelques groupes norvégiens et des compatriotes d’
Urfaust.
Non, tout l’intérêt de ce premier album, c’est qu’il parvient à imposer un son et un savoir-faire assez originaux tout en reposant largement sur une base black mid tempo et dissonante pourtant loin d’être révolutionnaire dans le genre.
Prenons par exemple Dwaallichtbezwering, excellent titre qui entame la galette : commençant par des arpèges torturés et glauques, le morceau vient nous happer via un riff lent et traînant simplissime dans lequel on s’englue lentement, comme empêtrés dans une toile d’araignée qui se resserre sur nous à mesure que notre malaise nous pousse à fuir. La batterie rythme le tout machinalement d’un mid tempo ultra basique, et ces leads désaccordés du début viennent surnager sur ces grattes distordues à la profondeur immersive, tandis que ces vocaux secs et ignobles, comme vomis par un gosier au bord de l’asphyxie, doublés de chœurs graves à la solennité presque déplacée dans ce contexte sombre et décadent, viennent imposer une note à la fois macabre et baroque à l’ensemble. Puis en milieu de titre arrive un blast sur un hurlement décharné, pile au moment opportun, histoire de remonter d’un cran l’intensité d’un morceau qui s’achève sur ces arpèges mystérieusement inquiétants et ces chœurs moribonds. Une piste qui se fait finalement plus atmosphérique que réellement violente, mais qui est définitivement noire, très noire.
Gelderse Drek enchaîne sur un riff robotique et sifflant, presque indus dans son rendu dissonant, toujours sur ce mid tempo basique et entraînant, et on constate alors que
Wederganger fait à merveille ce que peu de groupes savent réaliser : composer d’excellents morceaux avec une base on ne peut plus simple. En effet, le mélange parfaitement dosé entre riffs velus et chtoniens et petites notes de guitares pernicieuses – certaines sonorités, désaccordées et bancales, flottent dans l’air vicié comme des airs lugubres de fête foraine hantée - appuyé par une rythmique accrocheuse et dynamique et quelques accélérations quand il faut histoire de ne pas s’endormir, fonctionne à merveille. Une fois encore, ces chœurs maudits nous plongent en plein opéra fantôme pour un rendu qui peut faire penser à certains groupes norvégiens,
Tulus et
Slagmaur en tête. Schimmenspel, superbe interlude au piano de presque quatre minutes, à la mélodie directe et entêtante, renforce encore ce côté à la fois sombre, théâtral et hanté, surtout avec ce bourdonnement de mouche en fin de pièce qui vient envelopper le tout d’une aura morbide et décomposée.
Vu sous cet angle,
Halfvergaan Ontwaakt a tout de l’album parfait. Pourtant, les Hollandais ne parviennent pas à éviter certains écueils, et l’album reste inégal dans son ensemble, avec des morceaux manquant de mordant, de dynamisme et de variations.
Valmend Graf, s’embourbe dans un low tempo pataud et bancal, et malgré son accélération centrale, reste trop quelconque, englué dans un enchaînement de riff trop binaires sur lesquels la magie noire des guitares n’opère que difficilement. De même, le trop long Dodendans de 7,49 minutes joue sur l’effet de répétition à outrance mais, en dehors de ce riff lancinant d’ailleurs plutôt bien trouvé et de ce chant baroque suintant la décadence et le désespoir, qui renvoie de façon évidente aux compatriotes d’
Urfaust, n’a pas grand-chose à proposer. Dans le même genre, Vlammenvonnis est bien plus convaincant, avec ce chant habité, ce riff malade et agonisant qui se désagrège au fur et mesure que les enceintes le crachent, et ce rythme mort-né, ce raclement de gorge proprement abject rajoutant au côté macabre et horrifique de cette représentation maudite.
Autant
Wederganger peut nous toucher et nous entraîner dans des abysses d’une profondeur vertigineuse, autant sur certains morceaux, on reste de glace, même si paradoxalement, la recette ne change pas vraiment, avec ces guitares sifflantes et traînantes, et ces rythmes officiant entre le low et le mid tempo, question de ressenti sans doute.
En tout état de cause, ce premier album de la formation hollandaise vaut sacrément le détour pour quiconque s’intéresse à la musique sombre, décadente, malsaine et originale. Si
Halfvergaan Ontwaakt n’est pas encore un chef-d’œuvre et ne fait pas office de pièce indispensable car parfois inégal et grevé de quelques longueurs, il possède des qualités indéniables, une ambiance vénéneuse, oppressante et théâtrale qui nous entraîne dans les coulisses poussiéreuses d’une représentation fantôme sur quelques titres réellement inspirés, et il a le mérite de nous présenter un groupe au potentiel plus qu’intéressant qui pourrait devenir réellement énorme.
Alors, en attendant Sa venue, servez-vous une Heineken bien chaude et allumez-vous un spliff d’Amnesia, le Diable est définitivement hollandais.
Très bonne chronique mais ma note est autrement plus généreuse! Ce cd est d'ailleurs entré dans mon top 20 absolu tellement il me prend aux tripes! Il faut écouter ce cd en se promenant dans les polders brumeux proches de notre mer du Nord (Belgique) ou en fôret et là tu pourra les apercevoir ces ignobles créatures phantomatiques ... Le raclage de gorge est démentiel, les émotions distillées sublimes avec cet aspect théatral/folk qui colle parfaitement à l'ambiance. Le nombre de couche de guitare est parfois saisissant et les morceaux évoluent comme des ghoules ... Malheureusement le groupe ne sera jamais énorme puisqu'il a splitté en 2018 après avoir sorti 2 splits avec Urfaust et Kjeld. 3 des membres (Onmens, MJWW et Alfschijn) ont alors formé Bezwering pour prendre la suite, un 1er full ayant déjà vu le jour (Aan de wormen overgeleverd), bon mais n'arrivant pas au niveau de Halfvergaan ontwaakt ... A découvrir ABSOLUMENT pour ceux qui aiment sortir des sentiers abttius .. et se perdre.
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