“Un travail infatigable vint à bout de tout”
Virgile
Tout le monde sait que
Arjen Lucassen ne s’arrête jamais. Infatigable travailleur, persévérant contre vents et marrées dans un genre battu en brèche depuis des années, avec une aura et une âme reconnaissable entre mille. Acharné à défaut d’être le plus talentueux (dixit les mots du néerlandais), il cache parfois un niveau technique en deçà par une inspiration unique et surtout un entourage de musiciens prestigieux toujours impressionnant, tel un aimant insatiable de talents. Et la musique lui doit tout. Elle lui a permis de rencontrer sa femme. De lutter contre la dépression. De sortir d’un quotidien et d’un univers empreint de solitude et d’une certaine (une fois de plus, selon
Arjen lui-même) une évidente inadaptation au monde moderne et surpeuplé de l’ère numérique.
Ce n’est pas dans l’espace d’
Ayreon ou la rugosité de Star One qu’
Arjen revient cette année, ni dans les caresses d’un Gentle Storm ou un retour de
Guilt Machine. Non, Supersonic Revolution débarque dans la galaxie Lucassen et non pas sous la forme d’un projet ponctuel mais d’un réel groupe, formé de plus de façon plutôt cocasse. A la base contactés pour quelques reprises,
Arjen a tellement aimé l’ambiance qu’il a décidé d’aller plus loin avec des compagnons qu’il connait bien et dans un genre qu’il évoque avec nostalgie : le rock prog des années 70/80. Ses armes ? Timo Somers (ex
Delain) à la guitare, l’incroyable Joost Van den Broek (
After Forever et producteur avec qui
Arjen travaille depuis des années) aux claviers, le plus discret John Cuijpers (notamment entendu dans le dernier Star One) au micro pendant que le ‘sieur s’occupe de la basse.
Tout dans ce projet sent la bonne entente, le plaisir, la déconne et la nostalgie. L’artwork fantaisiste, les thèmes des morceaux (l’arrivée du glam dans les années 80, David Bowie, l’incendiaire ayant donné naissance à "
Smoke on the Water" …), les tenues … on ne ressent évidemment aucune contrainte. Que du fun.
Quand "SR Prelude" résonne, une chose est néanmoins certaine. Il s’agit bien de
Arjen. C’est incroyable comme, en quelques notes, son style, sa façon d’agencer les claviers (même quand il ne les jouent pas) lui confère une patte immédiatement identifiable. Enregistrer majoritairement sur du matériel analogique, "
Golden Age of Music" (le bien nommé) n’a pour autre ambition que faire du vieux en sonnant neuf, de rendre moderne une recette ayant entre cinquante et quarante ans d’âge. "The Glamattack" attaque pied au plancher comme si
Deep Purple,
Rush ou The Who (trois groupes bien différents vous en conviendrez) étaient de nouveau jeunes et enregistraient aujourd’hui la musique d’hier. Le tempo est plutôt rapide, l’orgue Hammond est prédominant, la basse est ronde, la batterie tape et surtout John se donne à coeur joie de faire sonner ce vieux rock comme un charme. Le solo est plein de folie entre Joost (que l’on sait de toute façon monstrueux) et Timo qui est un fin technicien et probablement l’homme le plus moderne de cette formation dans son jeu et ses inspirations (il est aussi le plus jeune).
Le titre éponyme arrive très vite et sonne de suite comme un véritable hit nostalgique, de par son titre et ce refrain qui se greffe directement dans un coin de votre cerveau. Les leads mélodiques sont lumineux, la ligne vocale incroyable de feeling (quelle voix a le bougre qui, il faut le savoir, s’occupait de faire les prémix de Russel Allen sur Star One …) et on adore littéralement toutes ces sonorités d’un autre temps dont nous gratifie Joost tout le long du titre. Une partie soliste gorgée de passion accouche d’un break savoureux avant une reprise d’un des refrains les plus emballants chez
Arjen depuis des années !
Forcément, après un tel démarrage canon, difficile de garder un tel cap et il faut bien avouer que le soufflet redescend un peu derrière, malgré de très belles sensations. On notera un très beau "Odyssey", tout en nuances et très progressif, à contrario du plus efficace "
Burn it
Down" qui rend hommage à sa façon à "
Smoke on the Water" (en évoquant l’auteur du crime dans les paroles) en cherchant presque à créer un lien avec la chanson originelle, de façon sympathique mais pas forcément mémorable musicalement. Nous aurons également le proggy et lumineux "The Rise of the Starman" et sa dynamique de batterie qui est, il faut l’avouer, plutôt rare aujourd’hui, continue d’animer avec plaisir cette fibre nostalgique ou ce sentiment vintage aussi maîtrisé qu’il est clairement sincère.
Cela trouve en revanche parfois ses limites, sur des compositions plus dispensables comme un "Flight of the
Century" qui, hormis son solo d’un autre monde (d’un autre siècle ahah) et ses claviers tirés de Star One peine à décoller par son riff trop mou et sa ligne vocale bien trop fade. "Golden Boy" n’est pas non plus un moment inoubliable et si "Came to
Mock, Stayed to Rock" tente de raviver un feeling bluesy plus dangereux avec notamment une intro à la
Paul Gilbert (on pense au Mr Big de "Lean Into It") et un premier couplet assez rentre dedans, le refrain et la progression du morceau se veulent assez chaotique et ne parviennent pas vraiment à trouver une cohérence. Comme si ce dernier titre était un jam en forme de bordel (dés)organisé qui ne parvenait jamais à réellement trouver de but.
"
Golden Age of Music" gâche donc sur sa seconde partie tout le plaisir et le feeling ressenti à l’écoute des premières compositions de l’opus. En soi, il est évident que
Arjen n’a jamais eu d’autres ambitions avec Supersonic Revolution que de se faire plaisir et d’emmener aussi loin qu’il pouvait le projet qu’il avait avec ses potes de faire revivre un son des années 70. Du haut de ses 63 ans et des nombreux chefs d'œuvres qu’il a derrière lui, ce retour à une certaine simplicité (sans pour autant parler de légèreté tant les titres restent denses) est à mettre à son crédit. Et puis, vivre un kiff égoïste après avoir autant donné dans la science-fiction et le conceptuel, c’est tout le bien qu’on lui souhaite. Enjoy Mr Lucassen !
Après un Transitus ambitieux mais en demi-teinte, le dernier Star One, et avec en parallèle le travail pour préparer la série de concerts sur l'album binaire d'Ayreon, Supersonic Revolution sonne plus comme une récréation loin de la complexité des autres projets d'Arjen. Il en résulte à mes oreilles l'un des albums les moins marquants de sa discographie mais là n'était pas le but et il faut admettre qu'en terme d'attentes, il a placé la barre très haut. L'album reste tout de même de bonne facture.
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