"Que nous écrivions, parlions ou simplement regardions/Nous sommes toujours inapparents/Ce que nous sommes/Ne peut être transféré dans un mot/Dans un libre/[...]Nos cœurs restent incommunicables"
Fernando Pessoa
Cette citation pessimiste ne manque pas de lucidité quant à l'échec du mot, maintes fois évoqué. Quiconque a déjà essayé d'exprimer quoi que ce soit par l'écrit se sera confronté à la difficulté de la justesse de la retranscription, de la transmission...Et si la musique réussissait là où le verbe échoue ? En écoutant sans sécurité, de manière entière comme on se jette d'une falaise, la jusqu'ici très courte (une démo et deux full-length) discographie des Texans de
Baring Teeth, une réponse organique s'impose : la musique a une âme. Du moins la leur.
«
Ghost Chorus Among Old Ruins » n'est pas un album passe-partout : ceux qui ne voient dans le metal qu'une musique simpliste, ou au contraire qu'une musique d’esthète n'y trouveront pas leur compte. « An
Illusion of Multiple
Voices » qui ouvre le disque, prend l'auditeur par le sommet du crâne, et, par ses roulements de batterie à l'énergie tribale déchirant un chorus de guitare aliéné, l'enfonce doucement mais sûrement dans l'univers torturé du groupe. J'ai hésité à employer le terme « torturé », des plus galvaudés, mais à l'écoute c'est bien celui qui saute aux yeux (ou aux oreilles) : par rapport à "
Atrophy", première claque du trio (eh ouais les mecs ne sont que trois !), on a baissé le rythme et surtout mis bien plus avant le pied dans une pénombre douloureuse....
Lacéré par des guitares aiguës et malsaines, dissonant, allié à la brutalité des genres extrêmes (surtout les blasts et les vocaux inspirés du black) le metal de
Baring Teeth repose sur une construction versatile basée sur des changements d'allure, des passages à la fois noisy et violemment éthérés, avec un jeu qui donne souvent l'impression d'écouter une séance d'improvisation. Pour mettre une étiquette, l'album se place en droite ligne, selon moi, des galettes les plus frappantes du metal d'avant-garde, dont le morceau « The Great Unwashed » est absolument représentatif.
De-ci de-là, on notera, par delà l'avant-gardisme de leur musique, des touches faisant écho à d'autres genres. Le black metal bien entendu, comme indiqué plus haut, mais aussi le mathcore avec « Moutain » qui pourrait être le point de rencontre entre le mathcore dégéneré de Dillinger
Escape Plan et celui plus faussement aérien de Viddharta, le doom, avec « The Unwilling », une composition aux quatre premières minutes lentes et lourdes jusqu'à un final saisissant où la batterie part en roue libre tandis que les autres musiciens, eux, restent sur leur rythmique doom, ou encore le dark ambient, avec « Terra Naulius » qui marque une planante et sombre pause dans l'album avant de s'énerver dans du mathcore tranchant comme de la glace (la boucle est bouclée).
Le morceau éponyme, qui conclut l'album, est un condensé de tout ce que j'ai tenté de décrire avec des mots forcément moins puissants, une sauvagerie, invoquant la technique, la pénombre, la violence de la spontanéité, et achève de placer l'album «
Ghost Chorus Among
God Ruins » parmi les exemples sonores de poésie abrasive.
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