Parler de
Eden Weint Im Grab, c'est quelque part faire le bilan de ce qu'il reste de la scène
Gothic Metal en 2014. Elle n'est, soyons honnêtes, plus que l'ombre d'elle-même après avoir été littéralement phagocytée par la scène Sympho. Après une longue traversée du désert,
Moonspell et
Paradise Lost ont su rebondir, mais ils sont bien les seuls. La scène finlandaise s'est effondrée sous l'avalanche de mauvais clones de H.I.M., dont peu méritent qu'on s'intéressent à eux. Pour le reste, il faut aller chercher dans l'Underground, parfois profondément, pour trouver quelque chose qui en vaille la peine.
A quoi la faute? On peut tabler sur un manque d'imagination de la part de nombreux groupes : pourquoi travailler sur des références littéraires quand il est si facile de sortir des textes semi-porno en singeant Ville Valo (n'est ce pas
Poisonblack?) ou de recruter une chanteuse recalée à l'opéra en espérant devenir le prochain
Nightwish? Du coup,
Eden Weint Im Grab se retrouve être un groupe totalement à part dans le paysage
Gothic Metal actuel, alors qu'en
1994/5 il aurait été acclamé comme un des pionniers du genre. Mais cela ne semble pas gêner le maître d'oeuvre Alexander Peter
Blake, qui semble content de sortir des albums tranquillement depuis 14 ans entre auto-productions diverses et labels souterrains.
Alexander Peter
Blake est peut-être plus connu des lecteurs de cette chronique pour son très intéressant autrefois éponyme projet solo de Folk/Black
Metal (rebaptisé depuis
Aethernaeum) dont les influences sont les mêmes que pour
Eden Weint Im Grab : le Romantisme Noir allemand, celui de Goethe et Hoffmann. C'est le seul point commun entre les groupes, car musicalement on pourrait difficilement trouver deux projets plus aux antipodes l'un de l'autre (sauf si l'on se souvient de la période où
Nuclear Holocausto Vengeance s'était exilé à Goa pour faire DJ
Trance pour des hippies pleins aux as sous le pseudo de DJ
Gamma-G, et avait fortuitement oublié qu'il avait un jour fait partie de
Beherit). Pour s'en convaincre, il suffit d'écouter cet album.
Qualifier "
Geysterstunde II" est un exercice en réduction à rendre jaloux un sorcier embaumeur de têtes jivaro. Toutefois, les deux éléments sont là : c'est relativement
Metal, et clairement très gothique. Et ça ne ressemble à rien de ce que l'on a entendu dans le genre, du moins sur la durée d'un album. la seule analogie qui vient à l'esprit serait
Notre Dame, car les allemands partagent avec l'ex-projet de Snowy Shaw le même goût pour le jusqu'au-boutisme théâtral, n'hésitant pas à recourir aux samples et aux manipulations sonores pour appuyer son propos (la première moitié de "Mein geysterhaftes Grammophon" est un véritable cas d'école sur l'art de créer une ambiance macabre à peu de frais). Pour le reste,
Eden Weint Im Grab pioche indifféremmment dans le Neue Deutsche Todeskunst ("
Die Jenseitsflugmaschine" et son phrasé à la Bruno Kramm), le Folk Rock ("Nachsterben" et son refrain imparable à en faire rougir de honte The Levellers), le Neue Deutsche Härte ("Leuchtturm", sorte de mélange bâtard entre
Rammstein et New Model Army), le
Dark Cabaret ("Tanz auf dem Quija-Brett" ou encore "Wesen aus dem Nichts"), le
Dark Ambient lorgnant sur le Harsh Noise ("Radio Totenfunk"), le Punk matiné de Thrash ("Nachtexpress nach Nirgendwo") et même le Death symphonique à la
Atrocity ("Aurelia") et même quelques éclairs de l'Horror metal tel que le pratiquait des groupes comme Grand Guignol ou
Morgul (mais sans jamais tomber dans le pur Black horrifico-symphonique à la Carach angren ou
Cradle Of Filth).
Cette manie de ne jamais être là où on attend le groupe d'un morceau à l'autre est à la fois la plus grande force du groupe (c'est original de bout en bout) et sa plus grande faiblesse (il n'y a aucune homogénéité musicale, c'est la seule personnalité du groupe qui permet de ne pas se perdre en chemin). Paradoxalement, ce sont les morceaux les plus
Metal qui sont les moins intéressants de l'album (le très mou "Nachsterben"). Non pas qu'ils soient mal composés ou interprétés, ils sont juste plats et ne proposent rien de meilleur que ce que l'on peut trouver chez d'autres groupes non-signés du genre. C'est louable de voir Alexander Peter
Blake vouloir rendre hommage à ses influences
Metal, mais ce serait bien plus sympathique si ils étaient mieux composés. En rajoutant à cela la durée assez élevée l'album (1h10 au compteur), on est bien obligé de reconnaître qu'il faut un nombre conséquent d'écoutes pour digérer la bête. Et pourtant, aussi difficile à assimiler qu'il soit, "
Geysterstunde II" n'est jamais chiant. Parcourir cet album revient à parcourir un vieux musée, ou un cabinet des curiosités, et à regarder les squelettes exposés dans des vitrines, écouter de vieux disques sur un antique gramophone, ouvrir un livre couvert de poussière. On est projeté dans le temps vers le milieu du XIXème siècle, on devient protagoniste d'une histoire de Montague R. James. C'est cette ambiance purement gothique, superbement rendue, qui permet à "
Geysterstunde II" de sortir du lot.
Traçant son chemin de manière bien solitaire dans le paysage
Gothic Metal actuel,
Eden Weint Im Grab vient d'accoucher d'un album exigeant. C'est rare, autant que ce choix d'assumer que l'auditeur sera aussi cultivé que l'artiste pour saisir toutes les nuances. Si seulement le disque avait été moins long d'au moins vingt minutes, et les morceaux
Metal mieux composés, on aurait tenu là un chef d'oeuvre du genre. En attendant, et compte tenu de l'état de délabrement de ce qui fût l'un des genres majeurs de la fin des années 90, "
Geysterstunde II" contient suffisamment de très bons moments (sans parler de l'ambiance superbement recréée) pour en justifier l'achat.
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