Je n’explique pas cette magie, cet attrait que je porte à la musique de
Sapaudia.
Black tristounet, extrêmement glauque, empreint de mélancolie, malheureux à souhait. Nous avons ici affaire à un univers complet, à un son reconnaissable propre au groupe, à une façon de faire différente de ce que j’ai pu connaître jusqu’alors dans le BM.
L’album «
Furvus Spiritus Ancellus » a cette particularité d’être prenant du début à la fin, d’inspirer des images subconscientes sorties de notre enfance.
Il est ce conte d’Andersen, « La petite fille aux allumettes », la petite lueur du souffre craqué réchauffant le cœur de la pauvresse plus que ses doigts qui, seule dehors, par une glaciale nuit de décembre, va s’éteindre au fur et à mesure que ses allumettes vont se consumer (comme sur « Isögd » s’étalant peu à peu jusqu’au point de rupture). Tout dans cet opus me rappelle cette histoire ; il a la saveur de la nostalgie, la couleur des flocons tombant dans les rues d’une grande ville de la fin du XIXe siècle sous la lumière de vieux lampadaires, il dégage l’atmosphère d’un Noël spectral immortalisé sur des photos sépia.
Il est indéniable que
Sapaudia aime à tourner autour du thème et des ambiances hivernales, des maux de l’enfance, des giboulées de neige, de la pauvreté face aux grands froids, etc… la synthèse de tous ces éléments combinés se retrouve sur le titre « Ett Kallt Öde, en Värme för den Döde », certainement la pièce maîtresse de l’œuvre en ce sens qu’elle est la parfaite symbiose de tout ce que l’album propose de bon et d’innovant. Ce faisant, l'empreinte vocale, tantôt narrée, tantôt chantonnée, tantôt hurlée, renforce la dimension nostalgique des chansons de par l’intensité du chagrin exprimé. De même, sur le plan instrumental, les guitares, funèbres, sinistres, prennent aux tripes, elles viennent résonner dans l’âme de l’auditeur pour la glacer, lui infliger des engelures. S’ouvrant sur un enregistrement de « Petit papa Noël » (est-ce Tino Rossi ?), se terminant sur « Douce nuit » dans une version chantée par une chorale de la nativité, « Ett Kallt Öde, en Värme för den Döde » est la porte d’entrée pour qui ne connaît pas
Sapaudia.
Le disque, dans son intégralité, est sur une constante. Il est teinté par un je-ne-sais-quoi qui parlera à l’enfant caché en chaque personne, qui fera ressurgir des frayeurs oubliées depuis bien longtemps. Les titres les plus calmes, tels que « Nuit de Neige », prolongent le plaisir contemplatif et introspectif de l’œuvre, frappant encore la corde sensible grâce à ce qui semble être du thérémine (? – je peux me tromper), faisant ressentir un peu plus les brûlures de froid par des petits moments laissant la place à des enregistrements à des instants où on ne les y attendait pas, comme le bruit d’une bourrasque chargée de verglas, par exemple, ou, quelques cloches d’église sonnant minuit dans le lointain (sur « Outro »), pour ne citer que ces passages.
Que raconte
Sapaudia dans le fond ? Je ne saurais le dire avec exactitude, bien qu’il y ait indéniablement dans leur musique un rapport particulier avec la dureté de l’hiver, la perte de l’innocence, les crèches et la nativité. Tous ces éléments seraient condensés dans un black metal lourd bien qu’aéré, lent mais puissant, construit dans une atmosphère d’agonie, nous renvoyant plus bas que terre – nous laissant pour mort sur un trottoir enneigé, éclairé par la faible lumière d’une flamme au gaz de houille s’étouffant lentement.
En l’espace d’une quarantaine de minutes, le groupe nous offre ce qui pourrait être une adaptation musicale de « La petite fille aux allumettes », de son introduction, « Ensamtal », précipitant directement l'auditeur dans la plus gelée des écoutes, jusqu’à son « Outro » de conclusion où la petite miséreuse d’Andersen voit tomber en cendre sa dernière bûchette entre ses doigts gourds.
«
Furvus Spiritus Ancellus » est certainement l’une des œuvres les plus abouties du black metal de ces 15 dernières années (minimum), proposant un DSBM mature à la patte sonore marquée de l’empreinte du groupe, offrant une expérience convaincante et originale, ce dernier créant une œuvre à part, honnête, sincère, authentique et bouleversante.
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