Au mitan des années 70, deux gamins de Stockholm, les frères Wahlquist, fondent sans passer par la case
Hard Rock un groupe de Heavy
Metal. Son nom en affiche la fière affiliation :
Heavy Load ; il fait aussi référence à la quantité invraisemblable de matos qu'ils trimballaient à chacun de leurs concert. La back cover de leur premier album en porte l'illustration graphique : un semi-remorque chargé jusqu'à la gueule et perdant quelques éléments de batterie (coucou Deff Leppard, une petite inspiration inavouée pour la pochette de « On through the
Night »?).
Ce premier album au titre programmatique, «
Full Speed at High Level », n'est sans doute pas la huitième merveille du monde. En considérant toutefois la précocité de sa parution (1978), les éléments précurseurs qu'il contient et, tout de même, la qualité intrinsèque de certains de ses titres, on se doit de revaloriser la prime impression qu'aurait pu laisser une écoute superficielle.
Le groupe est alors un trio : Ragne Wahlquist à la guitare, au chant et aux claviers, Stirbjörn Wahlquist à la batterie et Dan Molén à la basse. Tout feu tout flamme, ils sont naturellement pressés de sortir leur propre album, un enthousiasme que ne partagent guère les labels contactés : ils se voient répondre, dans un remarquable éclair de lucidité et de prescience, que le
Metal, c'est mort et qu’aujourd’hui, il faut faire du Punk ou du Disco. Qu'à cela ne tienne : les jeunes loups vont donc s'autoproduire et se financer sur leurs économies.
Si l'initiative est digne d'éloges, elle aura pourtant des conséquences fâcheuses sur la qualité de la galette. La petite semaine passée en studio, livrés à eux-mêmes et dépourvus de conseil, va déboucher sur un son des plus médiocres. Seule tire à peu près son épingle du jeu la batterie de Stirbjörn (et c'est heureux, au vu de sa qualité). L'équilibre des aiguës et des basses laisse à désirer, la basse est étouffée ou trop mise en avant, la guitare est acide et criarde, la voix est mal captée et les chœurs inaudibles. La faiblesse de la production est un lourd handicap pour ce «
Full Speed at High Level ».
L'inexpérience des musiciens en est un autre, visible notamment sur la partie vocale, appelée pourtant à devenir un point fort des Suédois dès leur second album «
Death Or Glory ». C'est alors Ragne qui chante en lead et on sent clairement que sa technique laisse encore à désirer. Sa voix est un poil courte sur l'éponyme, limite sur les montées de Midnight
Crawler, mal placée sur Rock'n Roll Freaks.
On relèvera aussi un relatif manque de maturité dans la composition. Oh, certes pas dans le style pratiqué, à part deux morceaux, on voit dérouler sans faiblesse un Heavy
Metal orgueilleux, résolu et sans concession. Ils étaient combien, à l'époque, à le pratiquer à plein temps ? C'est ici le premier de ces éléments précurseurs des Suédois, songeons que la NWOBHM était encore à venir. Mais certaines compos manquent un peu de relief, comme le grinçant et saccadé In
Two Minds, un peu plat sur l'album mais dont la qualité instrumentale et la conviction dans l'exécution suggèrent une belle efficacité en
Live. Les influences sont parfois trop perceptibles : Midnight
Crawler, à l'inquiétante lancinance, sent un peu trop son
Black Sabbath, et si
Full Speed at High Level défouraille à tout va, il est trop Priestien pour être pleinement convaincant. La différence est grande avec des titres comme Caroline ou Storm, où les influences perceptibles (Led Zep,
Deep Purple...) sont transcendées par une composition personnelle parfaitement maîtrisée.
À côté, on bénéficie de bons morceaux, parfois réellement novateurs. La cavalcade envolée de
Moonlight Spell anticipe la NWOBHM en général et Iron Maiden en particulier, dont la première démo ne sortira que plus d'un an après. Il faut pour l'apprécier pleinement faire l'impasse sur l'acidité et la sécheresse de la production, mais gageons que la Vierge de Fer ne l'aurait pas désavoué. Rock'n Roll Freaks est plus classique, c'est une sympathique profession de foi au riff presque
Hard, que viennent durcir la solide batterie de Stirbjörn, la basse brutale, le refrain et d'énergiques retours de guitare. Le sardonique In
Two Minds, dépouillé de l'habituelle charge mélodique des Suédois, est intéressant par la qualité de ses paroles empreintes d'un discret satanisme appelé à un brillant avenir dans le
Metal.
Son of the Northern Light, à l'attaque discordante et brusque et à la rythmique d'assassin pour l'époque est encore d'une autre trempe. C'est aussi, hélas, le titre le plus massacré par une production qui devient franchement exécrable. La batterie est parfaite, la guitare aurait dû l'être et la voix est complètement étouffée : une croix dans la case dommage car on a droit à des lyrics d'apocalypse,
Viking et barbares en diable, éperdument païens et voués à l'exécration du christianisme. On est en 1978,
Manowar n'est même pas l'ébauche d'une idée, pour ne rien dire du Black
Pagan. Et la composition de ce titre était encore antérieure, il a ouvert leur tout premier show en 1976.
Ce n'est pas le moindre des paradoxes que les deux meilleurs titres de cet album à certains égards avant-gardiste soient de facture plus classique. Le matériel d'enregistrement était peut-être plus adapté, ils sont aussi les plus épargnés par les ravages de la production. Storm (11'28) s'ouvre sur des samples de vent hurlant et de tonnerre. Son riff claudiquant et ses lignes vocales tiennent autant de Led Zep que de Purple (avec au passage un « all right now », clin d’œil à Ozzy ?). La voix de Ragne se trouve plus assurée qu'ailleurs, on sent qu'à l'époque il a plus pratiqué certains styles que les nouveaux qu'il cherche à incarner. Le rythme se pose sur un passage instrumental ; comme la voix, le son de guitare passe mieux les fourches caudines de la production. De là on dérive vers une partie purement prog avec de délicieuses fragrances Pink Floyd. Le rythme est alangui, la guitare est suprême de subtilité tandis que la jusqu'alors féroce batterie se met à l'unisson de délicates notes de clavier. Et au bout de 9', on repart sur une accélération qui culmine dans un solo de batterie parfaitement exécuté, finalement partagé avec la guitare. Puis retour au riff initial et aux vocaux pour un bref épilogue. Pour le coup rien de neuf, mais on ne s'ennuie pas une seconde tant l'affaire est bien maîtrisée, captivante et enchanteresse.
Caroline (8'17) est une ballade, un chant d'amour que les cœurs les plus secs trouveront un peu mièvre, mais qui comble mon petit côté fleur bleue. Ses harmonies de clavier aux tonalités bancales évoquent le baroque, mais aussi
Rainbow. Les ruptures de rythme sont incessantes, on y trouve aussi du Led Zep et du Purple. La voix est lointaine, assourdie, ce qui convient bien à l'aspect intimiste. Et surtout, surtout : le solo ! Il commence à 3'20 pour s'achever à 6'57. Impressionnant de maîtrise et gorgé d'émotion, chacune des notes de Ragne est saturée d'âme. Beau à pleurer, il compte parmi les plus grands soli de guitare de tout le
Metal.
«
Full Speed at High Level » n'est pas le meilleur album du groupe culte, mais reste indispensable à qui veut apprécier toute la richesse de
Heavy Load. Les deux suivants sont incomparablement meilleurs, mais l'approfondissement des points forts de la formation se paye d'un certain appauvrissement du propos. On appréciera à cet égard la grande diversité de l'expression dans ce premier opus novateur où d'indubitables réussites se déclinent dans des styles qui seront laissés de côté par la suite.
Je tombe par hasard en réécoutant l'album sur cette chronique qui m'avait échapée, Jean-Luc. Je trouve tes arguments particulièrement intéresssants car je n'avais jamais vraiment réussi à accrocher à ce premier jet auparavant, et je commence à l'apprécier bien plus à la lumière de tes mots, "Midnight Crawler" particulièrement. On est loin des deux suivants, mais quand même, pour 1978, c'est vrai qu'il y a un potentiel énorme bien que sous-jacent qui vaut la peine de creuser ce "Full Speed" assez difficile d'accès.
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