Parmi les jeunes formations metal gothique symphonique, on pourra désormais compter sur un nouvel arrivant pour distiller à son tour ses gammes et ses arpèges. Ainsi, comme message introductif, le sextet français, co-fondé en 2010 par la chanteuse Eadha, le batteur Morzoll (
Anken) et le guitariste Moloc'h, après quelques changements de line-up et plusieurs représentations locales, propose un généreux EP auto-produit de cinq titres déployés sur plus de trente-trois minutes d'un ruban auditif aussi énigmatique qu'enivrant. Inspiré par les sonorités gothiques et éthérées de
The Gathering, les frasques instrumentales et l'empreinte vocale de
Therion, les ombrages atmosphériques de
The Birthday Massacre, le combo superpose à cette combinaison d'influences quelques passages doom, voire dark, pour asseoir un propos éminemment singulier.
Après le départ de Moloc'h, outre Eadha et Morzoll, le groupe compte actuellement dans ses rangs :
Anaon (guitare, flûte et chant (ex-
Heol Telwen)), dispensant une touche pagan au groupe ; Arwald (guitare), Ludwig (chant, choeurs), Zlh (claviers (Arsantiqva)). En ressortent des compositions sculpturales, très travaillées sur les contrastes d'ambiance, de climat, les nuances de tonalité, tout en conservant une assise technique de bon aloi, sans démonstration ostentatoire non plus. En outre, une étrange alchimie s'opère entre les cristallines oscillations vocales d'Eadha et le caverneux parterre orchestral. La teneur des textes des paroles autant que l'artwork aux tons bourbeux et aux traits pâteux de la jaquette renseignent sur l'angoissante mais palpitante traversée qui nous attend sur ce « From
North, from Sea ». Cela dit, les aspects logistiques n'ont pas été laissés pour compte. En effet, si quelques notes parasites s'infiltrent dans le parcours auditif, on ne relève pas d'effets de compression instrumentale ou vocale. On aborde donc la rondelle dans des conditions d'écoute assez satisfaisantes.
Dès l'entame, on a un aperçu de ce qui va s'ensuivre. Ainsi, un univers étrange produit par des arrangements de bonne facture s'offre à nous sur « Downfall
Path », bref instrumental d'inspiration doom gothique. Ce laconique hors-d'oeuvre enchaîne sur une piste dans la même veine atmosphérique. Aussi, des riffs acérés et une rythmique plombante enserrent «
Kill Me
Again », titre gothique symphonique, au tracé harmonique plutôt sombre, mais pas noirâtre pour autant. Une voix aérienne et lyrique émerge des ténèbres, alors que la double caisse se fait soudain plus incisive et relâche aussitôt la pression. On croirait retrouver l'ambiance tourmentée et habitée des premiers
Therion avec une once de
The Birthday Massacre. Un subtil alliage de gorgonesque ambiance et d'impulsions distillées par la sirène offre autant d'effets de contraste sur une piste où on serait en proie à d'incessants tourments. Dans cette mouvance, on relève une dernière plage. Ambiance vespérale garantie sur «
Dark Knights », morceau à l'assise mélodique lunaire, où les oscillations vocales de la belle évoluent librement, sans que l'on sache nécessairement où l'on va être aspiré. Une ambiance dark se couple à cette pièce gothique symphonique, signe que l'on va flitrer avec de glauques créatures sur un terrain harmonique engloutissant. On est loin d'un schéma classique couplets/refrains pour aborder une proposition originale mais peu accessible pour un public non averti.
Mais, le collectif a aussi veillé à varier son champ percussif pour octroyer un propos tout aussi abyssal. Ainsi, le bien-nommé « Invocation », outro de l'opus, est un appel lancé aux dieux pour conjurer un état décadent de l'âme. Le riffing se fait corrosif, la rythmique martelante et l'orchestration progressive sur cet espace sonore où la princesse ne baisse pas les armes pour tenter de nous séduire. Quelques énigmatiques arpèges guitaristiques nous attirent, autant que les variations du schéma percussif, oscillant entre mid et up tempo, avec de belles descentes de toms. Aussi profond dans son message qu'inquiétant dans ses inconvenus accords, ce morceau laissera des traces à quiconque ose s'y aventurer...
Enfin, dans un exercice différent, nos acolytes ont relevé le défi de nous octroyer un riche kaléidoscope d'atmosphères, et ce, sur une longue tirade, relevée avec les honneurs. Une imposante fresque gothique de plus de treize minutes se dessine donc à l'aune de «
The Beast Will Come », mystérieuse plage à la rythmique syncopée et aux riffs obscurs. On ressent une forte oppression de par le climat glacial imprimé par de givrants claviers en liesse. Pour tenter de capter nos émotions, la maîtresse de cérémonie fait ouïr ses célestes et revigorantes inflexions, toutefois le long d'un cheminement mélodique un poil linéaire et répétitif. Soudain, un tapping roulant prend le relai, la lead guitare prenant l'ascendant sur un pont technique bien mené, en dépit d'harmoniques qu'on peine par moments à suivre. Dans l'esprit d'
Aesma Daeva, la déesse reprend les rênes pour ensorceler le pavillon, sur une section rythmique en mid tempo évanescente. Si, ni les lignes instrumentales, ni la présence vocale ne sont à prendre en défaut, on aurait souhaité davantage de lumière sur les refrains qui, au demeurant, vascillent et nous laissent un peu sur notre faim. Bref, sans approfondissement du message contenu, pas de salut sur une piste qui a résolument opté pour de brumeuses montagnes russes.
A première vue, on a l'indicible sentiment de pénétrer au cœur d'un éprouvant monde onirique, où l'orchestration tout comme l'empreinte vocale oeuvrent de concert pour nous faire frissonner, nous calant dans un aliénant climat de torpeur. Une fois la glace des premières écoutes brisée, on en décèle toute la délicate substance ainsi qu'un travail approfondi sur les textes et les jeux de contrastes. C'est dire que le combo a moins misé sur de sulfureuses mélodies et autres frasques technicistes que sur une habile mise en abyme pour nous convier au festin. Au fur et à mesure des passages, on entre alors en communion avec les éléments. Si la sauce finit par prendre, il s'avère néanmoins essentiel de ne pas faire l'économie d'un effort d'adaptation auditive, notamment pour des pavillons non encore initiés à ce registre particulier. Le jeu en vaut d'autant plus la chandelle que le groupe témoigne d'un significatif potentiel, et il y a fort à parier que nos acolytes ne vont pas en rester là. Peut-être à l'instar d'un album full length, qui sait...
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