Les formations musicales partagent parfois les destinées des personnages littéraires auxquels elles empruntent le nom. Ça n'a jamais été autant vrai avec le groupe que je vais vous décrire. "
Ancalagon" est connu pour être l'un des plus redoutables des dragons de l'oeuvre de Tolkien, le plus grand, un monstre noir capable d'écraser des montagnes. Il apparaît et disparaît très vite dans l'Histoire de la Terre du Milieu. Peu d'informations sur son cas circulent. Et l'être passe même pour une légende au sein de la légende. Le souvenir n'est rapporté que brièvement par l'intermédiaire de quelques personnages. Un groupe de black pagan français avait décidé d'adopter ce nom en 2000, et n'aura pu sortir qu'un EP puis un album, pour ensuite complètement disparaître de la circulation. Le volume "First Age: Entering
Legenda", enregistré par Olivier Gaubert, ancien batteur de "
Misanthrope", ne passera que trop tardivement à la postérité, faute à une distribution et une com' très limitée par le biais du petit label
Nihil Voices Productions, aujourd'hui disparu, mais également à cause d'une scène pagan balbutiante qui se cherchait encore un véritable public en Hexagone. "
Ancalagon" est mort trop tôt. Comme le fameux dragon, on rapporte son souvenir pour effrayer les petites âmes sensibles. Craignez sa légende noire.
L'ouvrage débute de la meilleure des manières avec l'introduction "Tylfarth", dans une atmosphère oppressante, par des notes de piano, par des sonorités monocordes rappelant la scène black atmosphérique des années 90. Après une entame frissonnante, où on a pu entendre notamment l'anglais hésitant d'un obscur narrateur, la guitare acoustique et des battements mettent la pression, préparant ainsi le titre à venir. Vient alors le tout aussi intimidant "Fara I Vikinqu", proposant un black metal décharné, éreintant. "
Ancalagon" se rapproche ici des premières pièces de son digne confrère "
Himinbjorg", un des rares représentants du black pagan français à l'époque, qui suivait alors le sillage d'"
Enslaved". Ça pourrait sembler peu élaboré tellement la pression est constante. "
Betrayed Glory" offre une approche percutante, également assez minimaliste, mais néanmoins prenante. "
Ancalagon" y impose un black pagan particulièrement offensif aux effets et au chant corrosifs, une musique enflammée et destructrice.
Dans une volonté d'être magnanime avec l'auditeur, cette frénésie est atténuée par des pauses. Ainsi, les charges fulgurantes de "
Sacrifice" sont parfois atténuées par des marches mélancoliques tout aussi intimidantes. La composition offre là plus ample intérêt, par un développement aventureux et une structure enrichie. Les breaks sur l'intense "The Walkyries" se révèlent étranges et énigmatiques. Ils sont raffinés, stylés, et alternent grandement avec la giboulée de coups entendue. Ce titre impose aussi un plus fort ascendant pagan dans ses riffs. Ce qui semble moins prévaloir par contre sur "The
Reason Why", lui aussi assez subtil sur une première moitié de piste, pour ensuite opter pour une répétition de riffs par à-coups. S'il fallait retenir une preuve sûre du paganisme d'"
Ancalagon", on retiendrait sans ambages l'interlude "
Revelation", un arpège acoustique accompagné d'un chœur faisant songer à "
Bathory". On entendra quelques grésillements de guitare en fin de morceau, pour rendre ce bref instant solennel ténébreux.
Sorti des profondeurs des ténèbres, "
Ancalagon" se révèle être un trésor. Une sombre et lointaine légende achevée. Une pièce de musée dans l'Histoire du pagan metal français. Ce premier et unique album se présentait dans une scène black pagan française tout juste naissante, n'ayant que peu de références ou de repères. Celui-ci peut cependant être situé dans la lignée de ce que réalisait son confrère "
Himinbjorg" durant cette période. Ce dernier était encore jeune et cherchait aussi à poser ses marques. Ce qui l'amènera à perdurer contrairement à "
Ancalagon", dont la date de séparation nous est inconnue, mais qui ne semble pas avoir survécu à la sortie de son album. Pourtant, malgré quelques hésitations perceptibles, son avenir paraissait tout tracé. "
Ancalagon" pouvait devenir une référence du black pagan en France. La bête est morte au commencement d'une nouvelle ère.
15/20
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