Arcturus,
Limbonic Art,
Odium …le label norvégien
Nocturnal Art Productions (de son petit nom NAP) s’est imposé dans les années 90 comme une franchise de prestige en termes de sorties estampillées black metal symphonique du crû. Ce qui, au fond, n’a rien d’étonnant quand on sait que le boss, Thomas "Samoth" Haugen, n'est autre que la seconde tête de l'hydre qui a posé les bases du genre en
1994, à savoir
Emperor avec l'intemporel chef d'œuvre "In the
Nightside Eclipse" (suivi de près par le mini "Constellation" d'
Arcturus, trop souvent oublié).
A l'aube du nouveau millénaire, alors que les gloires du "sympho black" se dirigent tout droit vers un split temporaire (
Emperor,
Limbonic Art) ou définitif (
Odium,
Obtained Enslavement) et que le genre se cherche un second souffle, NAP perpétue la tradition en lançant ses compatriotes de
Tidfall, tout en allant piocher hors de ses terres natales. C'est ainsi que
Sirius et
Apotheosis rejoignent les rangs de l'éminente écurie.
Apotheosis, la formation qui nous intéresse particulièrement ici et à la tête de laquelle se trouve un dénommé
Sauron, réalise en 2002 un étonnant coup d'éclat avec "Farthest from the Sun", son unique album à ce jour, véritable bouffée salvatrice au milieu d'une actualité black symphonique dominée par l'artificiel et surfait PEM d'un certain
Dimmu Borgir.
Outre sa provenance exotique (du petit archipel de Malte, davantage réputé pour ses hauts lieux de tourisme et de randonnée que pour sa scène metal), c'est surtout par ses qualités de composition hors-normes et son inspiration sans limite que ce "Farthest from the Sun" se démarque. Une inspiration qu'
Apotheosis puise autant aux sources de
Limbonic Art, pour la démesure symphonique et la rapidité d'exécution, que de Bal-
Sagoth avec qui le maltais partage un goût immodéré pour l'heroic-fantasy (donc rien à voir avec un certain "
Far Away from the Sun" auquel pourrait faire penser le titre).
Dès l'entame, on sent qu'on va se prendre quelque chose d'énorme en travers de la gueule. Car là où la quasi-totalité des groupes de black sympho se contentent de coller une intro orchestrale d'à peine 1 ou 2 minutes pour poser le décor,
Apotheosis adopte le parti-pris radical de balancer un morceau entier explosant la barre des 6 minutes pour nous y projeter dedans, tête première. Du jamais vu dans le genre, d'autant que ce "
Victory" introductif brille d'une richesse et d'une densité instrumentales purement éblouissantes. Cordes, cuivres, flûte, acoustique, folk, chœurs, tambours, percussions médiévales, samples de champ de bataille et j'en passe …
Apotheosis excelle dans l'art de varier les instruments comme les atmosphères, tour à tour belliqueuses genre je prends mon épée à deux mains pour aller éclater du Gob, ou plus contemplatives en mode repos du guerrier (car il faut bien que le gaillard souffle de temps en temps).
Puis "The Maimed
God" débarque avec sa horde de guitares tels des barbares se jetant sur les terres à conquérir, les blasts pleuvant comme des hallebardes, et un constat s'impose d'entrée : la puissance metal est loin d'avoir été sacrifiée sur l'autel de l'über-symphonisme, bien au contraire. Les deux caractéristiques vont de pair, sachant agir en permutation comme de concert, accompagnées de vocaux écorchés, animés d'une sérieuse envie d'en découdre. A l'instar de
Limbonic Art, l'usage de la boîte à rythmes apporte un avantage indéniable. Savamment programmée à base de sonorités claquantes, elle s'adapte à merveille à la haute volée technique de l'instrumentation, tout en procurant des sensations ébouriffantes comme un sort de niveau 30 reçu en pleine poire, à une cadence dépassant le commun des mortels.
Et rayon exploits surhumains, les breaks et autres rebondissements se posent à tous les étages du donjon. Illustration à 7'23'' : on nage encore dans le sang provoqué par les salves de cordes électriques qu'un malicieux gnome nous assène sournoisement un coup de flutiau à l'arrière du casque, accompagné de vives notes de clavecin invoquées par un congénère enjoué. Ou encore vers 13'15'' : les nappes de claviers semblent s'estomper comme les derniers résidus de vie de l'opposant, mais c'est alors que le Dieu
Dragon qui était à leur tête surgit par derrière au rythme d'une démarche martiale et le combat se poursuit.
Bref, une trame ahurissante tenant en haleine du haut des 16 minutes de "The Maimed
God" et qui jamais ne flanche au cours des deux pavés homériques qui succèdent, chacun bénéficiant d'une variante singulière. "Raise the
Dragon Banner" se distingue par ses assauts thrash agressifs et sans pitié, ses leads affutés tels des glaives virevoltants et ses quelques effets futuristes sur la fin, tandis que "
Kingdom" surprend par sa teneur progressive et ses cavalcades fougueuses à travers les vastes territoires du royaume, type Bal-
Sagoth meets
Rhapsody Of Fire avec un soupçon de
Dream Theater.
Sauron et son
Apotheosis font voler en éclats les "simples" frontières du black symphonique.
Sept longues années auront été nécessaires à la concrétisation de l'œuvre, depuis la maladroite mais prometteuse démo "Shadows Eve" (1995) en passant par la
Promo 97 qui contenait déjà les maquettes de "Farthest from the Sun".
Bien sûr, l'isolement et le manque de moyens du bonhomme font que cette galette n'est pas exempte de défauts, en témoignent certaines sonorités orchestrales qui sentent fort le synthé bon marché, les sections cuivres et vents pouvant notamment être pointées du doigt. Mais pris dans le torrent d'exaltation communicative, on lui pardonnera volontiers, eu égard à cette impression de dépassement de soi et de son art dont fait montre le sieur
Sauron, comme à ces flots d'idées géniales débordant de toutes parts.
Grandiose sans être pompeux, imposant sans tomber dans la lourdeur surproduite,
Apotheosis a tout compris du black symphonique. Porté par un authentique grain de production qu'une faille spatio-temporelle a ramenée des années 90 sur les terres de Malte, "Farthest from the Sun" n'a aucunement à rougir en termes d'ampleur face aux travaux des
Limbonic Art et autres
Obsidian Gate.
Passée relativement inaperçue à l'époque et complètement oubliée aujourd'hui, cette œuvre mérite pourtant, par son inspiration et son audace, une place de choix au sein du catalogue NAP et de l'édifice du black metal symphonique.
En tout cas, c'est vrai que ça fait bien écho. Je me souviens encore qu'en 2002, tout le monde (pour parler de manière générale) parlait encore du PEM sorti l'année d'avant, et se foutait royalement de ce pourtant excellent Apotheosis. C'est sûr qu'il sonnait d'un autre âge, carrément moins moderne et gonflé, mais merde, en termes d'authenticité il se pose là !
Le premier bloc a suffi à m'achever avec la montagne de références de choix qu'il contient...
Je n'ai pas résisté : j'ai écouté des extraits. Effectivement, ça sent très bon le Nocturnal Art à 300 bornes ! Vu que je suis dans une phase plutôt retour aux sources (notamment avec une écoute intensive d'Obtained Enslavement), je crois que cette offrande a sa place dans mes oreilles.
Merci pour le tuyau. ;)
Bref, la chronique m'a encore plus fait saliver dans la mesure où on se retrouve là avec du black sympho comme on en fait plus (signature chez Nocturnal Art Prd oblige). Bref, c'est très varié, avec des moments forts et inattendus, et surtout une production vraiment parfaite pour le genre. Merci pour ta chronique en tout cas qui décrit bien l'album en question, et puis tes références sont impeccables. Mercciiii!
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