Sur la scène metal gothique à chant féminin actuelle, les groupes n'ont de cesse de se succéder à une cadence effrénée. Ceux-ci se battent ardemment à coups de riffs de guitare et de martellements de doubles-caisses pour ne pas céder leur place et lâcher le micro. Cette fois, c'est au tour d'une jeune formation argentine de s'exprimer avec, à sa tête, Sabrina Filipcic, à la voix sulfureuse et claire.
Sur le plan des atmosphères, on évolue dans un univers metal gothique pur jus, sans autre courant d'influence complémentaire. La mécanique rythmique, quant à elle, semble bien rodée, les riffs de guitare plutôt affûtés et les saltos de basse maîtrisés. De plus, les envolées lyriques de Sabrina sont au service d'une orchestration aux chaudes colorations. Ainsi, le groupe cale ses cinq titres, sur une durée totale de plus de 33 minutes, dans le sillage de ceux de
Armonight, sur le plan harmonique, et de
Escapist, au niveau rythmique. Malgré toutes ses qualités, cette œuvre demeure cependant assez déconcertante.
Tout d'abord, on remarque bien les aptitudes techniques des musiciens mais, de par la complexité de certains passages, on a tendance à s'y perdre un peu, comme dans la fresque de l'opus "You
Will Never Rest". Non que la qualité de l'orchestration soit à remettre en cause, simplement, ce frétillant morceau use d'artifices instrumentaux en cascades: tapings incisifs, pour ne pas dire excessifs, riffs acides de guitare souvent présents alternant curieusement avec de beaux soli, le tout suivant des enchaînements quelque peu déroutants. Sur le plan vocal, les aériennes ondulations de la chanteuse viennent régulièrement s'écraser contre de rocailleux growls, au demeurant mal calibrés.
Ensuite, bien souvent, les riches introductions instrumentales s'étirent trop longuement avant que ne s'élance la diva. Du coup, on perd le fil du morceau et, au passage, l'intérêt qu'il pensait pouvoir susciter. Cette particularité s'observe notamment sur "Me", où on a bien du mal à entrer dans l'univers opaque d'une orchestration trop roborative pour être digeste. Malgré les angéliques appels au secours de la chanteuse, elle n'obtient pour réponse que de caverneux growls qui ne contribuent qu'imparfaitement à sa mise en valeur. Même schéma pour "The
Cold Outside" qui, par l'insolente épaisseur orchestrale de l'introduction, nous immerge très progressivement dans un morceau habité par de beaux changements de rythme certes, mais aux refrains mélodiquement lunaires. Sur la fresque déjà citée, malgré un hypnotique solo de guitare en introduction et des riffs accrocheurs, sa phase de démarrage instrumentale s'avère proéminente, au point de se demander à quel moment la diva va enfin daigner prendre le micro. Cette démonstration outrageuse tourne à l'obsession et ne séduit que partiellement au final.
Par ailleurs, les lignes mélodiques souffrent, pour certaines d'entre elles, d'un manque de précision avéré. Ces approximations, tenant en partie à quelques notes mal assorties et à quelques bémols insuffisamment ajustés, peuvent freiner notre élan. Elle apparaissent, en effet, trop monocordes pour séduire. A trop vouloir jouer avec les nuances de formes on finit par s'embourber dans de marécageux couplets et dans des refrains mal assurés. Dans "The
Cold Outside", malgré une atmosphère gothique bien installée grâce à la présence de guitares saturées, l'empreinte mélodique ne prend pas. Guère plus enjoué, "The Trace of My
Beloved" n'enflamme pas non plus les passions, bien que rythmiquement entraînant et servi par une voix délicatement placée.
Enfin, une certaine absence de relief acoustique émaille quelques passages, à l'instar de "
Insomnia". Pourtant abrité par un affriolant solo de guitare et une rythmique bien sculptée, ce titre manque cruellement de profondeur de champ acoustique pour que les instruments et la partie vocale puissent ressortir plus nettement. Cette dernière, d'ailleurs, aurait gagné à se délester de ces growls frondeurs et racoleurs.
Sans que l'exercice de style soit mal assuré, simplement, l'ensemble peine à nous embarquer dans un voyage émotionnel stimulant. Ici rien de désastreux en soi, et pas d'incohérences de fond non plus, mais quelques carences harmoniques et un travail de studio qui ne demande qu'à s'affiner encore. Pourtant parfois spectaculaire, l'instrumentation, de par quelques accords mal positionnés, rate assez souvent sa cible. On déconnecte alors d'une œuvre qui aurait gagné à ne pas s'exposer aussi ouvertement sans un minimum d'armes efficaces pour se défendre.
N'oublions pas que les places honorifique de cette scène sont très convoitées, la concurrence est donc rude et, en conséquence, les places sont chères. Pour s'imposer plus sûrement, il faudra encore que le combo perfectionne ses compositions pour les rendre plus savoureuses, moins répétitives, et qu'il peaufine ses textes pour mieux faire passer son message. Le propos musical sera alors à la hauteur des attentes d'un public exigeant dans ce registre battu et rebattu du metal. C'est dire que, pour l'heure, ce dernier n'est pas encore tout à fait acquis à sa cause. Quant à son œuvre, on pourra toutefois aller y jeter une oreille par curiosité, à défaut d'en faire un incontournable d'une cd-thèque de metal qui se respecte.
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