« La drogue est comme l’exil de notre monde. Elle nous permet de ne plus penser, de s’échapper. Avant de finalement nous claquer la porte au nez de ce bonheur »
Frédéric Beigbeder
L’exil d’un monde de déception et de rancœur, l’échappatoire d’une existence expiatoire qui n’arrive jamais au bout de son souhait premier. Ou comment presque repartir de zero alors que l’on pensait avoir réalisé le plus difficile…
Après avoir sorti deux albums chez Candlelight Records et avoir été accueilli par un énorme succès critique, les britanniques de
To-Mera pouvaient sans doute penser que des jours positifs s’ouvraient à eux. Mais c’était sans compter sur les lois infernales du marché actuel du disque, les impératifs fonctionnels de ventes ainsi que le détachement de plus en plus croissant des gros labels envers l’underground.
C’est ainsi que, malgré l’excellent "
Delusions", fusion d’un metal progressif de très haute volée marié au chant féminin enivrant de Julie
Kiss et de parties foncièrement jazzy (comme le
Dream Theater d’antan…),
To-Mera sombra dans l’oubli collectif sans que personne ne se demande ce qu’ils pouvaient devenir.
Quelle ne fut pas ma surprise lorsque j’ai appris qu’un troisième album avait vu le jour dans l’antre du génial Brett Caldas-Lima (le géniteur de
Kalisia et producteur émérite dans son
Tower Studio). En effet, "
Exile" de son nom, n’a vécu pour le moment aucune distribution massive ni plan de communication particulier lui permettant au moins de se faire connaitre. Ajoutons à cela qu’il sort en autoproduction sur Illusionnary Records (unique album du catalogue à ce jour) et vous comprendrez qu’il y avait peu de chances pour que l’on apprenne que ce
Exile existait…et quelle erreur !
Autour de Tom Mac Lean (guitare) et de Richard Henshall (claviers),
To-Mera a poursuit sa route vers une musique progressive et racée, constamment bercée entre grâce et violence, jazz et metal, mélodie et brutalité avec une classe infinie et un talent musical laissant pantois. Les compositions possèdent toute une personnalité propre et une identité très marquée, formant un ensemble cohérent et surtout une unité artistique très forte, faisant de "
Exile" un album très fort et solide. "The Descent" permet de voir les progrès immenses ayant été réalisés par le groupe dans la gestion des plans, entre plans purement extrême (le blast beat et ses growls en plein milieu du titre succédant un passage très funky aux sonorités vraiment folles quasi burlesques). La voix de Julie
Kiss, très reconnaissable, entre force dominatrice et douceur fluette, permet de créer ce point d’ancrage nécessaire à la cohérence des compositions. Le niveau technique, évidemment, est très élevé et on se retrouve loin des schémas traditionnels, tout comme certains plans faussement simples mais d’une haute complexité harmonique, sans démonstration ni soli intempestifs.
Partagé entre très longs titres et autres plus succincts, "
Exile" est aussi passionnant qu’il n’est exigeant à appréhender. Débutant (après une introduction mettant parfaitement en bouche) sur un "The Illusionist" très plombé dans son riff mais fortement aérien par ses claviers (et ses lignes de basse complètement indépendantes), l’album trouve une certaine plénitude dans les quatre dernières titres, à savoir "Broken", "
End Game", "
Surrender" et "All I Am", flirtant tous autour de la dizaine de minutes.
"Broken", notamment, est une véritable merveille d’ambiance se rapprochant fortement de la musique de film. Très lente, mettant la basse au premier plan, la guitare se faisant acoustique et la voix de Julie planante, la composition monte très doucement pour offrir cette véritable sensation de progression dans l’intensité. Des sonorités plus spatiales interfèrent parfois dans ce halo chaleureux mais montrant toujours les crocs à un instant ou un autre. C’est alors que, aux alentours de la sixième minute, un riff énormissime déboule avant un solo à couper le souffle n’étant pas sans rappeler le travail de
Rusty Cooley sur
Outworld. Le travail au piano est magnifique et, en toute simplicité (si j’ose dire), les notes s’enchainent dans une grande beauté, façonnant un magnifique décor mélodique et progressif.
"
End Game" est encore plus magistral, clairement plus agressif et metal, balancé entre riffs à couper au hachoir et des parties à la technicité complètement débridée (les parties de claviers sont juste splendides). Il faut ajouter à cela l’intelligence de jeu du batteur Paul Westwood, monstrueux sur ses accélérations, notamment celle venant juste avant un passage à l’orgue d’une intensité énorme.
To-Mera nous emmène exactement où il le veut et c’est là que la qualité d’écriture exprime tout son potentiel.
Il en va de même pour les deux dernières compos, de loin les plus longues de l’album puisqu’elles culminent à onze et douze minutes. Trop complexes et fouillées pour les décrire en quelques mots, "All I Am", notamment, mériterait un texte entier à lui seul. De son introduction magnifique au piano, grave et émotionnelle, à la mélodie acoustique qui en découle pour finalement distiller, un à un, chacun des instruments entrant dans le spectre sonore avec une maestria rare (la qualité de la production étant un élément supplémentaire à cette quasi perfection). On sent un spectre sonore très dense, presque vivant, n’étant pas sans rappeler (dans le fond) certains groupes modernes comme
Animals as Leaders ou
Leprous.
To-Mera, avec "
Exile", sort le disque qui aurait pu permettre de définitivement les placer dans les groupes actuels de metal progressif qui comptent mais qui ne sont pas pour autant ancrer dans une culture moderne trop envahissante. Malheureusement, le destin et la violence de l’industrie actuelle a brulé en plein envol ce merveilleux album qui aurait mériter bien mieux que l’anonymat dans lequel il est aujourd’hui placer. Il est, actuellement, possible d’acheter le disque directement sur le site du groupe mais cela semble être l’un des uniques canaux de distribution. Toujours est-il que, quoiqu’il en soit, il serait bien dommage de passer à côté d’un des albums progressifs de l’année
2012. Il n’est jamais trop tard pour faire un petit retour en arrière vers l’année qui vient tout juste de s’écouler…
Il est rare d'entendre du métal aux accents de jazz et je compte bien faire la promotion de ce disque si j'accroche à leur musique !
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