Certaines œuvres littéraires ont tellement imprégné les esprits et l’imaginaire, parfois des siècles plus tard, qu’elles servent parfois de piédestal à d’autres artistes. Le poème d’
Edgar Allan Poe « Le Corbeau » aura été la principale source d’inspiration d’une formation de metal gothique originaire de la ville de Guadalajara au Mexique. Le batteur Oscar
Muro et le guitariste Vince Marquez ont décidé de s’approprier le titre de cet ouvrage sombre et profondément mélancolique, où l’amour est associé à la mort et à la folie, pour fonder leur groupe en 2004. «
El Cuervo de Poe » poursuivra tranquillement son envol avec une démo éponyme en 2005, puis un premier album en 2007, «
Vox Corvus La Voz del Cuervo », faisant directement allusion à l’oiseau intrigant présent dans le poème de Poe. La seconde réalisation ne nous parvenant qu’en
2012, mettra directement à l’épreuve la chanteuse Brenda Gavino qui a remplacé entre temps Julia Gaos. « Ex-Libris » nous démontrera une fois encore l’excellence du chant en castillan. Il est par contre regrettable de ne plus y retrouver cette immanente profondeur qui avait fait le succès du premier volume. Où est cette tristesse menant à la folie, parfois à la mort ? Elle s’est envolée, ne laissant sur le sol que quelques luisantes plumes noires.
Raffiné, gracieux. Les premiers pas que fait «
El Cuervo de Poe »sur ce second volume sont pourtant hésitants. L’instrumental « La Danza de la Locura » fait le pari d’un mélange ambigu entre le classicisme du duo piano/violon et le grésillement électrique des guitares. On verra à partir de ce moment des difficultés de cohésion et d’harmonie entre les différents instruments. Les principales fautives sont les guitares et la batterie n’apportant que peu d’énergie, peu d’émotions. L’auditeur pourra ainsi regretter la linéarité occasionnée par ces instruments sur « La Delgada linea », malgré quelques enchaînements plus efficaces et survoltés en seconde partie de piste. Ces guitares parfois maladroites adopteront une rythmique syncopée plus à l’unisson sur « Espejo ». Il est dommage en revanche que cette unité, cette mise en ébullition, souffrent d’une crispation sonore assez inconfortable. Rien de très motivant, rien de très émotionnel. Néanmoins, la formation pourra se féliciter de l’excellent travail de sa chanteuse Brenda, faisant d’ailleurs rapidement oublier sa prédécesseure.
Elle est quelques fois à la lutte contre les éléments. Devant s’accommoder des creux, des longueurs de certaines compositions. Brenda combat ardemment contre le jeu nourri des guitares sur « Eclipses ». Mis à part cette tentative de couvrir le chant radieux de la jeune femme, nous nous réjouirons des airs arabisants et de la puissance du titre. Des airs orientaux que nous verrons comme le riche héritage du patrimoine hispano-andalou légué au Mexique. Quand on fait allusion à la culture mexicaine on en vient de suite à la version de «
La Llorona », reprenant cette fameuse légende de dame blanche parcourant les rues en pleurant les soirs de pleine lune, connue chez une grande partie de la population hispanique d’Amérique du Nord et célébrée par de nombreux artistes. La chanson prend volontairement des airs plus hispanisants. On y ressent un réel impact physique, une force limpide incompressible. Nous ne pouvons qu’être admiratifs à l’écoute de la sublime voix de Brenda, rendant parfaitement la dimension tragique de la femme des brumes. Les mélodies y sont parfaitement calibrées comme on aurait espéré toujours entendre sur l’album. Ce sera à nouveau le cas pour la douceur latino-américaine de « Lamento Romani », offrant une nouvelle démonstration éblouissante. Quelques soubresauts électriques viendront teinter l’onctuosité acoustique. Cette dernière finira par céder aux avances metalliques. C’est à ce moment que l’on craint que la voix laiteuse de Brenda, en mode lyrique cette fois, n’atteigne un point de rupture, tellement elle se sacrifie en suivant cette accélération du flux. Elle réussira à se surpasser et à nous surprendre, une fois encore.
La voix de cette femme semblerait malléable à merci. Prenant aisément une tournure lyrique sans en abuser. Capable de la rajeunir, de la rendre enfantine comme sur la triste et sanglotante ballade «
Nostalgia de Ti » ou comme sur l’étrange « Presagio ». Ce titre se caractériserait par des mélodies divagantes, une désorientation donnant le tournis. Le jeu y serait donc plus élaboré qu’à l’accoutumé. Dans ces tentatives pour épater son auditeur on notera également l’exotisme forcené de « No Fears », chanté en anglais cette fois, et usant du charme hindou de la cithare. Et non, vous ne rêvez pas, l’Inde s’invite en Amérique Latine. Nous serons plus circonspects en revanche par l’ajout d’un growl moyennement maîtrisé sur « En el
Laberinto del
Nahual », enlaidissant ce morceau apaisant et à l’apparence si délicate.
Les guitares, souvent aux prises avec le violon d’Adan Madrigal, auront leur moment de gloire avec « La Semilla de la Vida ». Des riffs particulièrement solides et prenants offriront du punch, une agressivité plutôt inattendue pour cette formation. Elles perdront par contre pied sur le long et envoutant « El Jardin », qui fait la part belle à la symphonie. Les riffs s’irritent dans un vrombissement assez peu plaisant accompagnés par une batterie des plus plates. Le chant inventif de Brenda et les orchestrations sauront néanmoins sauver ce titre dont la froideur égale l’élégance.
Pas étonnant qu’«
El Cuervo de Poe » ait été cité parmi les meilleurs groupes chantant en espagnol (castillan). On devine à l’écoute du premier volume et de l’actuel présent un travail assez considérable. Toutefois, il faut remarquer une certaine perte d’inspiration dans les compositions de ce « Ex-Libris », si on compare à l’intensité que l’on pouvait ressentir sur le précédent de 2007. En effet, les premiers titres de l’œuvre s’essoufflent assez rapidement. On pourra compter en revanche sur le chant plutôt exceptionnel d’une Brenda Gavino qui n’aura pas tardé à faire ses marques et à même s’imposer sur le restant des membres de la formation. Cette belle brune au chant divin et certains morceaux magiques de l’album auront bien mérité à ce qu’on leur tire notre chapeau et qu’on oublie quelques défaillances surmontables. L’histoire d’«
El Cuervo de Poe » s’écrit d’une plume noire.
14/20
En tout cas merci pour la chro ^^
Donc merci à toi d'avoir pris le temps, en tout cas !
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