Les cendres de
General Lee, groupe français de post-rock hardcore, ne sont pas restées froides bien longtemps. Si on a eu le plaisir de voir éclore sa renaissance avec le premier EP de Junon il y a quelques mois, il était plus surprenant de voir Yarotz sortir de terre, comme une mauvais herbe rèche et tenace. Le groupe a pris forme dès la fin 2018 sous le nom de The
Third Eye , avec les ex-
General Lee et futurs Junon Fabien Zwernemann (guitare, chant), et Vincent Perdicaro (basse, chant) avant de changer de nom pour Yarotz en 2020 lorsque le jeune Enzo Laidi (21 ans seulement) les a rejoints à la batterie .
Yarotz se présente comme un exutoire à la rage et la colère, face à certaines injustices, et quelques secondes d'écoute suffisent à s'en convaincre. C'est un espèce d'ours noir musical, qui vous rentre dedans avec des accès de rage mus par une pure animalité.
La réalisation de l'album s'est étalée sur près d'un an et demie entre le début de sa composition dès 2020 et la touche finale en avril 2021. Beaucoup de choses se sont faites à distance, qui ont permis de bien préparer les morceaux, malgré les distances kilométriques entre ses membres. Si ce premier LP est autoproduit, il a été enregistré et mixé par Cyrille Gachet (Years Of No Light,
Fange…), et masterisé par Alan Douches (
Mastodon,
Converge,…). S'il en était besoin, Yarotz a pu bénéficier du featuring de Christian Andreu de
Gojira sur "Childish
Anger", qui les a soutenus depuis qu'il les avait découverts lors d'un tremplin dans les Landes (comme quoi les tremplins, ça peut servir à quelque chose).
Avec une certaine suite dans les idées, c'est le titre "
Erinyes" qui a été choisi, faisant référence à l'étape de la pesée de l'âme après la mort, dans la mythologie Egyptienne. Le superbe artwork noir et blanc de l'artiste japonaise Yuki Watanabe illustre de manière radicale et sombre ce mot et cette idée.
Les influences de
Converge et dans une moindre mesure de
The Dillinger Escape Plan sont évidentes -pour avoir vu un concert de leur tournée commune, je m'étais alors dit qu'un mélange des deux écraserait tout sur son passage. Et pourtant, avec une parenté si marquée, le furieux rejeton n'en manque pas moins de personnalité propre. Les trois premiers titres "
Impunity", "Childish
Anger" et "Vergogna" sont redoutables de puissance, et posent bien l'univers musical de Yarotz. On a peine à réaliser qu'ils sont juste trois, tant on se fait bouger la couenne, avec des riffs massifs, des accélérations foudroyantes ("Childish
Anger"). La densité des compositions est proche de celle de l'Uranium 238, où chaque passage a sa raison d'être. Il y a aussi une certaine mélancolie par moments, avec des relents de
Neurosis ou
Russian Circles.
Les vocaux agressifs sont sur le mode screamé, très rauques et abrasifs, avec quelques growls en chœurs pour faire bonne mesure. Le chant clair ne manquera pas de rappeler celui de Greg Puciato (
The Dillinger Escape Plan), dans la mélodie plus que dans le timbre. Le son de guitare est monstrueux, plein comme un œuf. Malgré son jeune âge, le batteur Enzo délivre une prestation de taille, et il se montre complet : très dynamique, il impulse une énergie débordante, marque les temps forts, inflexible dans les parties rapides, capable de faire des rythmiques avec une finesse presque jazzy ("Gold"). La basse est bien mise en valeur dans son dialogue avec la guitare, et elle devient assez monstrueuse lorsqu'elle rampe en solitaire devant les autres ("
Impunity", "Gold").
L'intensité peut prendre la forme d'une nostalgie poignante, comme celle qui vous étreint quand on se dit "Oh merde, je suis mort…" (le lick qui pleure de "Vergogna", le début de "
Deliverance"), en se gardant le droit d'asséner à tout moments des coups de pattes de grizzly. Les guitares sont parfois aériennes, rejointes dans les cieux par le chant clair.
Le groupe revient souvent à des racines plus straightement punk hardcore, comme avec le très court et direct "Caught By the Noose", le début tout en muscles de "B.M.a.P" (Bring Me a Priest pour les intimes, tout un programme…), ou sur le dernier titre "Last
Lust" qui a un petit coté The
Refused bien senti.
En étant impartial, je dois avouer que passé la première triade de titres imparables, le reste de l'album est à mon avis un cran en dessous, ce qui fait qu'on prête attention à quelques menus défauts, comme ces larsens de vipère qui traînent trop souvent lorsque les guitares sont mutées. Un gimmick qui donne une impression de surpuissance à petite dose, mais finit par m'agacer sur la longueur. En étant un peu chambreur, je dirais que c'est con d'avoir oublié sa pédale de Noise
Gate… Pour le reste, j'ai été assez soufflé par l'ouragan Yarotz, et je n'ose imaginer le potentiel, s'il parviennent à monter en puissance.
On a donc bien failli se retrouver avec un carton plein concernant ce premier album : à son meilleur, la puissance, la rage et la qualité de Yarotz ne sont pas loin des ténors du genre, à savoir
Converge. Le trio va devoir aussi se dépatouiller avec son emploi du temps (avec en point d'orgue une participation au Hellfest 2022), et celui de Junon, où jouent aussi Fabien et Vincent. Yarotz vient en tout cas de réussir un crossover entre une palette de genres très large, en trente huit minutes plombées, qui les placent d'ores et déjà comme un des combos les plus intenses de l'Hexagone.
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