Au beau milieu de moult bonnes volontés émergent quelques rares formations au talent insoupçonné. Dans cette lignée,
Ossonor n'a tari ni d'aplomb ni d'inspiration pour nous concocter un premier EP tonique, immersif et soigné sur le plan des arrangements.
Créé en 2013 par la chanteuse lyrique Francesca Gallo (ex-
Mindwake) et le multi-instrumentiste Mikaël Ratel, le jeune groupe grenoblois a rapidement enrôlé le claviériste et arrangeur émérite Eliott Tordo afin de fluidifier les espaces harmoniques et de densifier le champ orchestral d'ensemble. Sur cet opus, a également été requise la patte experte du guitariste Nils Courbaron (
Nile Courbaron's Project, Think of A New Kind).
A l'instar de l'artwork de la pochette relevant de l'univers du fantastique, le combo français officie dans un dark symphonique bien trempé. Néanmoins, il a su y intégrer diverses influences, celles-ci n'ayant pas été sans effets sur la variété des styles dans leurs compositions comme dans leurs textes. Ainsi, sans s'éloigner de leur obscure atmosphère, on peut y percevoir en parallèle une ambiance de musique de film ou encore un climat dévasté propre au death metal.
Ce premier EP auto-produit d'environ vingt-deux minutes nous installe à bord d'un vaisseau fantôme prêt à en découdre avec les gorgones et autres créatures fantasmagoriques. Le film se déroule dans un décor orchestral bien habité d'où émergent d'impressionnantes impulsions vocales conjuguant voix de tête de la diva et grunts virils et menaçants tout droit sortis des ténèbres. Ce faisant, on rejoint assez souvent le schéma vocal bien rôdé de la belle et la bête.
En guise d'introduction au voyage, la brève piste éponyme de l'album, telle une production hollywoodienne, nous installe dans un confort instrumental initialisé par de beaux arpèges au piano et témoignant d'une belle profondeur de champ acoustique. On croirait alors évoluer dans un bain orchestral aux doux remous. Erreur fatale ! Conformément à ce que laisse suggérer le titre de l'opus, cette entame est le parfait contre-exemple de ce qui va suivre.
La qualité des arrangements nous propulse souvent dans une magnifique simulation de riche orchestration, bien inspirée sur certaines plages. Ainsi, sur le dynamique "A Momentary Lapse in
Hell", la grandiose introduction au son de belles nappes synthétiques est confondante. Celle-ci nous lâche soudain au beau milieu d'un climat angoissant et torturé dans lequel il est difficile d'échapper aux riffs saignants et à un tapping vrombissant. Aussi, une profonde voix féminine dans la lignée de Simone Simons (
Epica), vient à la rescousse mais se fait rapidement rattraper par des grunts caverneux. Un break à mi-morceau vient alors nous apaiser avant de faire place à une bondissante reprise instrumentale et vocale. En dépit d'une ligne mélodique approximative, la sauce prend, notamment au son de jouissives notes de guitare délivrées par Nils. Tout aussi impactant et se plaçant dans le même sillage atmosphérique, l'énergique "
Eternal Youth" noircit d'un cran son ambiance tout en nous octroyant des refrains plus immersifs, habilement mis en relief par les notes aériennes de l'interprète. Là encore, les grunts s'invitent à la danse, offrant dès lors un intéressant effet de contraste oral. Aussi, la richesse du corps orchestral, par moment, fait penser à
Rhapsody alors que l'empreinte vocale féminine n'est pas sans rappeler
Xandria. Dommage cependant que la chute soit aussi brutale en fin de piste pour ces deux instants de félicité.
Bien que le reste de l'EP ne soit pas à prendre en défaut, il m'a semblé un poil moins abouti, notamment sur la plan de la richesse des harmonies. Toutefois, le propos musical reste cohérent et peut éveiller d'authentiques plaisirs. Tout aussi échevelé et tourmenté, le tonitruant "The Shattered Clock" offre une judicieuse correspondance entre orchestration et choeurs, mise en valeur par de minutieux arrangements. Les envolées lyriques, dans l'ombre d'
Amberian Dawn, séduisent par leur brio. Toutefois, on aurait pu modifier le schéma vocal déjà évoqué, en laissant au repos les grunts, ne serait-ce que pour ne pas perdre de vue le fil de la structure harmonique. Même réflexion pour l'outro "Slave of Chaos", à l'introduction instrumentale pourtant avenante. On appréciera toutefois l'étendue du champ vocal féminin, oscillant entre lyrisme et espièglerie, comme le ferait
Floor Jansen (Revamp). Bien que parfois mélodiquement déroutant, décontenançant même tel un film d'horreur, ce titre conserve néanmoins ses qualités techniques, à commencer par le beau solo de guitare déployé une fois encore par le prodige sus-cité. Un beau délié de notes au piano s'ensuit comme pour nous inviter à prolonger encore le voyage.
On détient là une première esquisse vivifiante qui sonne comme un préalable à une oeuvre qui ne demande qu'à évoluer. Les compétences techniques d'ensemble se révèlent convaincantes autant que l'atmosphère se veut cohérente. Toutefois, quelques carences émaillent la surface de l'oeuvre. Tout d'abord, pour éviter de lasser l'auditeur à force d'enchaînements de grunts, il serait souhaitable de diversifier encore les propositions sur le plan vocal, en se parant de choeurs, de screams ou de duos mixtes en voix de tête, par exemple. Les inflexions vocales de Francesca en seraient sublimées. On attend, par ailleurs, des chemins mélodiques plus finement tracés, ce qui n'empêche aucunement de conserver une identité dark symphonique propre. Peut-être aussi qu'une ou deux ballades bien inspirées auraient contribué à impacter un public élargi, désireux de s'initier en douceur à cet univers riche en péripéties.
Cela dit, ce combo plein d'allant a encore le temps d'affiner ses gammes. Il en a les capacités artistiques et techniques, l'ambition affichée et une marge de progression importante à cet effet. Dans l'attente de son premier album de longue durée, souhaitons-lui bonne route dans ce segment singulier du metal.
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