L’Amérique du Sud est bien une terre prodigue pour le metal. Au delà des incontournables foyers black/thrash/death qui sévissent dans les contrées brésiliennes ou colombiennes, certaines associations sont plus intriguantes. C’est ainsi que le Chili a fait naître un jeune groupe au potentiel remarqué dans le microcosme...du doom, au nom énigmatique de
Mar de Grises. Il a fallu 4 ans au quintet sud-américain pour relever le défi d’un premier album plutôt apprécié.
Attendre si longtemps, voyager si loin...tout cela n’a pas été vain. Car voilà bien une bénédiction qui vient des Andes, ce
Draining the Waterheart.
Toujours sous la houlette des finlandais de Firebox, qui pour le coup ont vraiment eu le nez creux,
Mar de Grises peut être fier du résultat.
L’oeuvre est difficilement préhensible, sa chronique est d’autant plus délicate.
A quelle approche musicale a t-on affaire ? Tout d’abord une structure doom-death, à la stature imposante. Contrairement à quelques uns de ses contemporains, on retrouve d’ailleurs une certaine fidélité stylistique aux glorieux ancêtres britanniques, mais je reviendrai sur ce point. Le jeu des guitares, plutôt que de se réfugier dans des structures monolithiques et austères, prend souvent un relief remarquable. Grâce à la complémentarité d’une rythmique puissante et lancinante et d’une lead guitar inspirée, plaintive et mélodique, la musique de
Mar de Grises prend parfois des allures monumentales, renforcée à la fois par une section basse / batterie robuste (notamment avec l’utilisation pertinente de la double pédale), et également par l’apport de claviers discrets mais opportuns. L’effet provoqué est saisissant, au travers d’un souffle épique et prenant qui balaie un spectre émotionnel très large.
Il en est ainsi dès le premier morceau, magistrale entrée en matière, où après quelques minutes acoustiques très subtiles, où l’ambiance intimiste est emplie de mélancolie (les notes fleurent bon le vieil
Anathema...), on entre de plain pied dans l’univers immersif du disque. Comment décrire cette puissance émotionnelle qui se dégage du doom/death très aérien, d’apparence très épurée (les structures et les riffs ne font jamais dans le sophistiqué), mais emplie d’une richesse tout en nuances ? Les jeux complémentaires mais fluctuants des guitares et de ce clavier léger paraissent prendre mouvement, encadrés en second plan par à la fois une batterie très sobre mais judicieuse, et également par le growl lointain mais émouvant de Juan Escobar. Ne cherchez pas de chant clair,
Draining the Waterheart n’en comporte pas. Comme les autres instruments, les vocaux n’occupent pas tout l’espace, ils viennent là, avec parcimonie, apportant au moment opportun une touche finale à un tableau plutôt impressionniste.
Quand on évoque le doom/death, on utilise souvent des métaphores monumentales, des masses pierreuses figées et froides...cela ne sied pas vraiment à
Mar de Grises. Sa puissance sombre et envoûtante se complait à intégrer de nombreuses passages légers et aériens, apportant la troisième base artistique complétant le doom et le death metal : une composante atmosphérique à couper le souffle. Les Chiliens mettent à profit à plusieurs reprises un répertoire acoustique tirant vers le progressif, comme avec les longues minutes mélancoliques de Kilometros de Nada, où le piano accompagne un riff lancinant, avant d’enchaîner avec un final où l’angoisse et le désespoir s’invitent, sans jamais redescendre sur terre. Mais l’exemple le plus sublime est sans doute One
Possessed, orgie émotionnelle grâce à la finesse et l’inspiration de quelques notes très pures mais magnifiquement agencées. En fait, pour revenir à la question de la métaphore, la première image qui me vient serait celle d’un cétacé nageant dans des eaux noires et profondes. Ambiance froide, impressionnante, mais mouvements fluides, élégants, dégageant une force tranquille, une puissance gracieuse, tout en évoquant des notions de beauté, de solitude, de mélancolie aussi...mais définitivement vivante.
En fait, bien que sous l’angle technique la musique de
Mar de Grises reste épurée, finalement assez conventionnelle, le fond artistique est lui atypique et quelque part novateur. La finesse des constructions et le relief foisonnant de son orchestration contribuent à donner une couleur très particulière à son doom atmosphérique, qui attire sans se laisser facilement apprivoiser.
Draining the Waterheart est ainsi un disque en marge, salutaire et presque miraculeux : une alternative à la voie la plus funèbre et désespérée du doom/death, qui fait la part belle à l’onirisme, la beauté et la vie, sans perdre la force sombre, puissante et implacable qui font sa grandeur.
Sinon, tu me rends curieux de ces Incas. Merci.
Des remerciements s'imposent, tant pour le contenu que pour la forme.
Merci.
Cette chronique résume bien ma vision de ce disque, Draining the Waterheart est en effet dans une optique bien différente de choses désespérées et funèbres comme tu dis.
L'analogie avec la scène anglaise c'est certain, mais j'y trouve aussi des passages atmosphériques lorgnant vers du Opeth ou du Hypocrisy (période éponyme / The Final Chapter) et même des touches "Funeral Gothic" à la Old On Thorns I Lay.
Je rapproche aussi les parties Ambiant de groupes Relapse genre Pelican / Zombie.
Très immersif c'est le mot juste mon cher Matt, juste un petit reproche sur les longues (parfois trop) plages sans chant.
Une belle réussite que ce disque, merci donc une fois de plus pour la découverte.
BG
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