Formé en 2019,
Enmity est un groupe international de death metal aux accents thrash des nineties que certains qualifient peut-être à tort de « oldschool ». On est tout sauf convaincu que des styles musicaux plutôt rebelles et anticonformistes puissent être enfermés dans une catégorie générationnelle aussi abstraite qu’arbitraire. Mais comme on n'est pas trop là pour philosopher, on va passer vite fait à ce qui nous intéresse le plus : la musique.
David Decobert, le fondateur d’
Enmity, n’est pas un noob dans la scène du metal extrême. Au milieu des nineties il jouait déjà dans le groupe de death-doom
Spiritual Death avec lequel il sortait plusieurs démos. Puis il formait quelques années plus tard Flatulation, un combo de brutal death dont la musique parfois drolatique pouvait faire écho à celle de
Mortician. En parallèle, le musicien-chanteur était également ingénieur du son pour pas mal de gros groupes. Citons par exemple
Cryptopsy,
Nile ou encore
Enthroned. C’est d’ailleurs avec un ancien membre de ce crew de « black metal belge » qu’il faisait un temps vivre l’aventure Flatulation.
Dans «
Demagoguery » (c’est le titre de l’album d’
Enmity sorti en 2022), Decobert a mis au placard les samples de comédies françaises populaires ou « nanarifiques » qui caractérisaient en partie la « Flatulation Touch ». Ceci au profit d’un death metal parfois thrashy donc, plutôt carré et mid-tempo, sans grandes fioritures, ni gravity blasts qui torturent baguettes, caisses claires, tendons et mémés cathodiques. Il s’est entouré d’un line-up relativement alléchant pour qui se nourrit de musique d’outre-tombe depuis l’adolescence. Ainsi, au chant on retrouve Steeve Petit de
No Return et Georges Kolias de
Nile à la batterie. Et à la basse et aux guitares solos, deux musiciens moins connus en Europe mais pas moins efficaces : Mohammed Kutkut et Michael Perwira.
L’opus comprend sept titres pour une durée dépassant la demi-heure. Les riffs de guitare sont abondants, plus ou moins longs, plus ou moins rapides et contiennent de bonnes doses de palm-mutes bien huileux. Certains (atypiques comme dans la musique de Flatulation) ne pouvaient être composés que par Decobert himself. Il n’y a qu’à par exemple écouter le troisième riff de « Preventable
Genocide » pour constater sa similitude avec certaines sections musicales de son ancien groupe de brutal death. Quelques courts passages peuvent aussi résonner avec des morceaux de
Bolt Thrower, comme le début du second titre « The
Bullet That Kills You », mais sans pour autant en être de vulgaires copies. La guerre, ou plutôt l’antiguerre qui est la thématique centrale des lyrics, pourrait aussi rappeler l’univers du combo anglais si on ne saisissait pas les différences entre les deux formations. Et si la musique d’
Enmity n’est pas au sens strict « avant-gardiste », ce qui est tout sauf chose aisée, elle a déjà un « cachet rythmique » particulier de par ses nombreux breaks, mais aussi de par certaines mesures rarement explorées dans le style qui lui donnent une sorte d’« aura » de technicité. Cherchez pas, il n’y a pas deux albums identiques à "
Demagoguery" sur le marché du metal plus ou moins underground.
Niveau son, bien qu’il soit encore un chouilla trop « digital » à nos tympans, il est assez puissant et assez ample pour un premier opus. Le mastering a été réalisé par Jean-François Dagenais de
Kataklysm. «
Demagoguery » réveille aussi quelquefois des souvenirs de skeuds sortis avant le bug de l’an 2000 qui n’a jamais eu lieu (hélas ?). De ces enregistrements avec leurs « imperfections » qui les rendaient vachement plus excitants que la plupart des autoprods lisses et fades vendues depuis une dizaine d’années.
Au final,
Demagoguery est un bon premier album. L’ambiance générale et les samples sont aux senteurs de tranchées, d’oppressions bellicistes pour mieux les dégueuler. Les sept morceaux sont du genre cash et forment un ensemble homogène. Peut-être un peu trop homogène d’ailleurs. Même si l’album s’écoute aisément, même si la voix du chanteur transpire bien la rage, même si les finesses du batteur font parfois autant vibrer les neurones que des solos de guitares, il nous a paru un chouilla « linéaire ». Ce qui était peut-être volontaire de la part des compositeurs-musiciens afin de coller au « concept », de « faire bloc » avec la thématique des paroles ? On ne sait. Malgré ce léger manque de riffs très contrastés et claquants à en faire trembler des plaques tectoniques, les qualités musicales et de production de
Demagoguery sont indéniables. De même que le gros potentiel du groupe vers des univers sonores encore plus intenses et dont on ne doute pas un instant à la vue de l’expérience de ses metalheads. On souhaite le meilleur avenir à
Enmity. Un avenir musical des plus brutaux.
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