Décennie de l’extrême par excellence, les années 80 virent trois genres majeurs éclore, se fondre, puis littéralement exploser, jusqu’à leur avènement en 1987. Cette année là, le thrash est largement installé et règne en maître depuis cinq ans, tandis que le death et le black voient quasi dans le même temps leurs codes se cristalliser autour de deux albums fondateurs les représentant :
Scream Bloody Gore de Death et Under The
Sign Of
The Black Mark de
Bathory. En marge de ces géants, une quantité affolante de groupes en quête d’extrême les précèdent ou leur emboîtent le pas, notamment dans la sphère black metal : de la bande de fous furieux du Brésil, animée entre autre par Sarcofago,
Sepultura,
Vulcano ou
Holocausto, à la tripotée d’entités black thrash teutonnes (
Destruction, Sodom,
Poison...), en passant par
Rotting Christ en Grèce,
Tormentor en Hongrie,
Hellhammer/
Celtic Frost en Suisse,
Necrodeath en Italie, et bien sur, le premier d’entre tous,
Venom en Angleterre, c’est un mouvement géographiquement généralisé qui entend noircir sa musique en l’honneur du grand malin.
A partir de 84, dans une Suède encore très heavy, c’est
Bathory qui rend le metal evil, permettant par la suite à un petit noyau dur de naître, et de proposer dès 86 et 87, des démos totalement dévastatrices dans une veine extrême et noire où se mêlent death, thrash et black. On peut citer les plus connus :
Mefisto,
Obscurity,
Merciless, et bien sur
Morbid.
A l’origine de
Morbid, on trouve
Scapegoat, fondé dès 85 au sud de Stockholm par
Dead et des copains, avec l’envie de suivre le chemin de
Venom,
Mercyful Fate et
Bathory. Après moult changements de line up,
Scapegoat devient finalement
Morbid en 86 avec la ferme intention d’être aussi intense musicalement que thématiquement.
Gehenna et TG assurent les guitares, Dr Shitz se charge de la basse, tandis que
Dead, le vocaliste, embauche un petit nouveau aux fûts, âgé de seulement 15 ans : Lars Goran Petrov, futur frontman de
Nihilist et
Entombed. A noter qu’un autre futur
Entombed a également été approché mais a eu le mauvais goût de porter un t-shirt
Wehrmacht blanc lors de son audition, jurant forcément avec l’inclination sombre et diabolique de
Morbid. Sacré Nicke Andersson...
S’en suivent des répétitions sérieuses et intensives pour perfectionner les chansons naissantes, quelques concerts au printemps 87, puis le recrutement d’un nouveau guitariste en remplacement de TG. C’est encore un jeunot qui s’y colle, un certain
Napoleon Pukes, alias Ulf Cederlund, âgé de 16 ans, lui aussi futur
Nihilist /
Entombed. Décidément !
Les germes d’une scène extrême naissante se diffusent ainsi en Suède lors de concerts mémorables donnés au Birkagarden et à l’Ultrahuset durant l’automne 87 (en intégralité sur la magnifique compile
Year of the Goat). En effet, si
Mefisto et
Obscurity ont la primauté de l’ancienneté et apparaissent comme les fondateurs de cette mouvance rageuse et diabolique derrière le patron
Bathory, c’est bien à
Merciless, et surtout
Morbid que l’on doit les premiers concerts extrêmes à base de cercueil, croix renversées enflammées, corpse paint et autre masques à gaz, devant des ados avides de diablerie, de macabre et de férocité.
C'est Sandro, le bassiste vocaliste de
Mefisto, qui oriente
Dead vers les Thunderload Studios des frangins Wahlquist (
Heavy Load) pour l'enregistrement de leur première démo intitulée
December Moon. D'une durée d'à peine 18 minutes pour quatre morceaux, raw mais lisible, cette démo capturée à la toute fin 87 en seulement 2 jours s'inscrit tout à fait dans la lignée du black thrash evil de
Bathory et
Mefisto aussi bien que le death thrash rageur de
Obscurity et
Merciless, pour rester local. Ajoutons-y une bonne cuillerée du Abominations of
Desolation de
Morbid Angel, un zeste de early
Slayer, une pincée du
Tormentor hongrois dont la première démo datant également de 87 est très certainement passée entre les mains de
Dead, ainsi qu'un saupoudrage généreux de black thrash teuton mené par Sodom et
Poison, et l'on obtient l'entité
Morbid, qui en plus se paye le luxe de balancer un chant identitaire totalement hallucinant. Beaucoup ont d'ailleurs réduit
Morbid à la qualification de "premier groupe de
Dead, chanteur de
Mayhem", comme si la musique, au-delà du chant, n'était qu’anecdotique. Pourtant, instrumentalement,
Morbid peut se targuer d'être à l'époque l'un des seuls en Suède à mixer aussi habilement riffing thrash, ambiance black et lourdeur death, dans des compositions solides, evil et diablement efficaces.
Impossible de ne pas penser au In The
Sign of
Evil de Sodom lorsque déboule "
Wings of
Funeral" et "From the
Dark", deux tueries black thrash rageuses et malsaines. Si "
Wings of
Funeral" se montre direct dans sa structure, grosso merdo une intro samplée tirée d’
Evil Dead suivie d’un court arpège, et deux parties véloces et malfaisantes qui déglinguent tout autour d’un pont entraînant, il en est autrement pour "From the
Dark", sans conteste le morceau le plus complexe de la démo, bourré de breaks et riche en riffs, doté d’un passage central bien sinistre et d’un final processionnel ambiancé.
Quand à "My
Dark Subconscious" qui ouvre la démo, on peut y voir là un prototype de ce que va être le swedeath dès l’année suivante avec les premières démos de
Nihilist et
Dismember : riffs accrocheurs et froids, accélération prenante et jouissive, solo un brin mélancolique, lourdeur inédite et ambiance de caveau.
Seul le chant glaçant de
Dead prend une direction alternative aux growls naissants, entre chuchotements rauques et murmures écorchés, parfois accompagnés de backings inquiétants comme sur l’urgent "
Wings of
Funeral ou le sinistre "From the
Dark".
Le dernier morceau de la démo est intéressant à plus d’un titre, d’une part parce qu’il montre qu’au-delà d’une imagerie sombre et macabre,
Dead est capable d’un humour noir corrosif, d’autre part pour l’anecdote derrière ses célèbres "la-la-la". "
Disgusting Semla" renvoie en effet à la fascination de Dr Shitz pour le semla, cette fameuse brioche suédoise, sujet des plus légers au sein d’une démo à priori ténébreuse mais reflétant bien l’esprit déconneur du groupe. Si la première partie du morceau propose un black thrash primitif et raw bien couillu, la seconde, annoncée par des leads hystériques, est un slow tempo sur lequel
Dead pousse des "la-la-la" aussi ridicules que troublants, d’autant qu’ils sont ensuite repris en chœur par le groupe, donnant la sale impression de se retrouver dans une classe remplie de gamins givrés nécessitant l’exorcisme le plus strict. A l’origine de ce passage osé, un épisode survenu lors d’une répète où
Dead s’était plaint d’un morceau joué trop rapidement.
Gehenna l’aurait alors charrié et joué ensuite le morceau de manière ridiculement lente. De là vient donc ce passage insolite et désarçonnant, qui montre le degré d’humour dont pouvait faire preuve le groupe. Si l’on ajoute les souris crucifiées sur des croix renversées que présentaient
Dead pour accompagner ses démos lors du démarchage pour trouver un label, on peut imaginer le goût pour les farces macabres qu’avait le célèbre vocaliste durant sa période suédoise. (
Boss, le père de
Quorthon, et patron de Black Mark Production, n’aurait pas du tout apprécié)
Au tout début de l’année 88, peu de temps après la sortie de
December Moon, démo cruciale et pionnière dans le paysage sonore suédois,
Morbid voit la défection de deux de ses membres les plus importants :
Gehenna, l’un des deux guitaristes compositeurs, et
Dead, qui sur les recommandations du norvégien Metalion, le fondateur de
Slayer Magazine avec lequel il entretenait une communication soutenue, s’en va rejoindre les rangs de
Mayhem, avec le destin que l’on connait. Cette fois-ci, le coup de la souris a malheureusement fait son effet. Les rescapés de
Morbid dégotent donc deux remplaçants et parviennent quand même à sortir une seconde démo intitulée Last Supper. Estampillée Sunlight, il s'agit d'un thrash de facture classique n'atteignant malheureusement pas la dimension novatrice de
December Moon qui reste orphelin de son avant-gardisme, l'atmosphère evil et le mélange des styles qui le caractérisent restant uniques dans la discographie du groupe.
Morbid splitte dans la foulée, après seulement trois ans d’existence, en laissant une marque indélébile sur la scène musicale extrême.
Super papier, Manu. Celà donne encore plus envie de se plonger dans le bouquin issu de la box Year of the Goat. Putain, en 1987, fallait le faire. Merci pour le papier, et surtout le conseil d'achat ! Je m'en lasse pas, de cette démo December Moon.
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