Parmi les rares formations metal symphonique à chant féminin estoniennes à se lancer dans l'arène, ce discret sextet cofondé à Tallinn en 2013 par le guitariste Indrek Pajus et le batteur Meelis Trumberg, tous deux ex-membres du groupe death atmosphérique estonien
Obscured, serait de la partie. Souhaitant harmoniser les riffs épais d'antan et une empreinte vocale féminine, nos acolytes intronisent dans la foulée la chanteuse au cristallin filet de voix Anne Arrak. C'est désormais dans un rock'n'metal mélodico-symphonique gothique dans le sillage de
Delain,
Lacuna Coil,
Within Temptation, qu'évolue le combo. Conscient des risques courus à vouloir précipiter les événements, le groupe n'accouche de son premier et présent bébé dénommé « Decayeon » que sept ans plus tard ; auto-production généreuse de ses 56 minutes où s'enchaînent sereinement 11 pistes à la fois frondeuses, rayonnantes, énigmatiques et romantiques, jouissant chacune d'une ingénierie du son plutôt soignée mais non aseptisée, et témoignant d'une technicité éprouvée doublée de qualités mélodiques que pourraient lui envier nombre de ses pairs.
A l'aune de ses passages les plus enjoués, c'est d'un battement d'aile que la formation estonienne marque ses premiers points. Ainsi, le chaland ne mettra que quelques secondes pour se voir happé par les vibes enchanteresses du pimpant et ''delainien'' «
God of Robots ». Tant la violoneuse assise et les délicats arpèges au piano que le grisant refrain enjolivé par les troublantes patines de la déesse auront raison des plus tenaces des résistances à son assimilation. Dans cette mouvance, le tubesque «
Mortality » comme le mordant «
Born in
Secrecy » distillent leurs riffs grésillants ainsi que d'invitantes séries d'accords, ne lâchant leur proie qu'en de rares instants. Dans cette énergie, et non sans rappeler
Within Temptation (dernière période), le tonique et avenant «
Dark Net Amy » réserve d'insoupçonnées accélérations et octroie un bref mais seyant solo de guitare.
Si parfois le propos se laisse moins aisément dompter, il ne saurait pour autant totalement nous dérouter. Aussi, d'inspiration atmosphérique/dark gothique, le pulsionnel et un tantinet orientalisant « The Age of
Decay » joue sur les effets de contraste atmosphérique et vocal, les claires impulsions de la belle donnant le change aux growls ombrageux de son comparse. Et la sauce prend, in fine. Tout aussi énigmatique et non moins engageant, l'aérien et ''tristanien'' « As the
Life Fades » intrigue et séduit, finissant peu ou prou par aimanter le tympan.
Quand il ralentit un poil le rythme de ses frappes, le combo trouve à nouveau les clés pour nous assigner à résidence. Ainsi, disséminant ses riffs crochetés, voguant sur une sente mélodique certes convenue mais des plus enivrantes, et mis en exergue par les chatoyantes inflexions de la sirène, le ''lacunacoilesque'' mid tempo « Welcome to the
Human Race » ne ratera pas son effet. On ne saurait davantage éluder « Saint of
Sorrow », ''delainien'' mid tempo progressif aux enchaînements couplets/refrains ultra sécurisés, octroyant une belle gradation du corps orchestral et suivant une route mélodique que l'on ne quittera qu'à regret.
Lorsqu'ils nous mènent en d'intimistes espaces, nos compères nous livrent leurs mots bleus les plus sensibles, avec pour effet de générer la petite larme au coin de l'oeil que l'on tenterait d'esquiver, en vain. Ce qu'illustre, tout d'abord, «
Symbols of Man », romantique et ''evanescente'' ballade aux refrains fondants, mise en habits de soie par les caressantes volutes de la maîtresse de cérémonie, recelant un fin legato à la lead guitare et d'aériennes gammes au piano. D'autre part, dans la veine de
Within Temptation, «
The End » se pose telle une ballade pop/rock aux airs d'un slow qui emballe, glissant le long d'une rivière mélodique certes convenue mais accrocheuse, décochant un flamboyant solo de guitare, et portée par une frontwoman au faîte de son art. Enfin, c'est à l'aune d'un touchant et osmotique piano/violoncelle/voix que la ballade a-rythmique « Not the Time to
Die » parvient à ses fins.
Le groupe estonien nous convie donc à une œuvre à la fois avenante, vitaminée et troublante, qui se suit de bout en bout sans encombres, mais peinant à surprendre l'aficionado du genre. Encore tapie dans l'ombre de ses maîtres inspirateurs, la troupe n'en délivre pas moins un set de partitions révélant le talent compositionnel de ses auteurs. Si le propos s'avère diversifié sur le plan atmosphérique et rythmique, il l'est un peu moins quant à ses lignes de chant, la belle monopolisant la micro sur la majeure partie de l'opus. On aurait également souhaité des exercices de style plus variés, par l'octroi de fresques, instrumentaux, duos, entre autres, ainsi qu'un zeste d'originalité supplémentaire. En dépit d'un réel potentiel technique et mélodique, il faudra donc que le combo affûte encore ses armes pour espérer jouer les trouble-fête parmi ses pairs, toujours plus nombreux à se bousculer au portillon. Bref, un engageant et élégant mais classique effort...
Note : 13,5/20
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