La mort marche derrière toi...
La grande faucheuse, nous savons tous qu’elle nous fauchera comme un pissenlit fané au jour où elle estimera que notre quota de jours terrestres est atteint. "Death is certain, life is not" comme le dit si bien
Dark Angel dans leur brûlot de 1986. Cependant, certains naissent avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête et apprennent vite avec effroi qu’ils ne souffleront jamais, au grand jamais 25 ou 30 bougies sur leur sacro-saint gâteau d’anniversaire.
Mon ami Sylvain et moi avons fait nos premiers pas ensemble, puis on a lui détecté une myopathie de Duchenne. Saloperie de maladie génétique où, au fil du temps, tes muscles s’atrophient, y compris le muscle cardiaque...
Progressivement il n’a plus pu jouer au foot avec moi, a dû marcher avec des béquilles, puis à notre rentrée au collège il n’a eu d’autre choix que de passer au fauteuil roulant et c’est là que ses parents lui ont avoué qu’il aurait peu de chances de dépasser l’âge de 25 ans.
25 ans, à peu près l’âge des membres du groupe britannique
Atomic Rooster quand ils écrivent l’album
Death Walks Behind You. L’album sort en septembre 1970, avec une superbe pochette reprenant le tableau de William
Blake nous montrant la déchéance du roi babylonien Nabuchodonosor 2 (le retour !), destructeur du temple de Salomon. Ambiance...
Le groupe "Coq Atomique" (car 1969 était l’année du Coq dans le calendrier chinois !) a été créé en Juillet 1969 par l’excellent claviériste Vincent Crane (ex-Crazy World Of Arthur Brown qui a connu le succès avec la chanson "
Fire" sortie en 1968) qui a recruté le fabuleux batteur Carl Palmer qui allait plus tard connaître la célébrité avec le trio prog Emerson
Lake & Palmer. Au départ le fameux Brian Jones (guitariste mythique des Stones) devait les rejoindre, mais la mort, encore elle et jamais rassasiée, l’attendait dans sa piscine...
Crane ayant un problème psychiatrique avéré (troubles bipolaires), le line-up du groupe ne cessera d’évoluer au fil du temps et des caprices du manieur de claviers. Capable d’être "ami pour la vie" avec ses compagnons de route, puis de leur lancer tout ce qui se trouve à portée de main sans raison ou de tomber dans des phases de dépression, la vie de groupe avec Crane n’était pas toujours de tout repos...
Offrant un
Hard Rock de haute volée fortement teinté de Prog, un peu dans la veine de Blue Oyster Cult voire
Uriah Heep mais avec un son plus "sabbathien", le groupe de jeunes chevelus nous rassasie de riffs et solos énergiques, de roulements de toms fabuleux, d’un clavier omniprésent mais non omnipotent et surtout d’une osmose fabuleuse entre les musiciens ! Après un premier album sorti en relative discrétion, le trio change déjà de line-up : adieu Nick Graham (basse et chant) et Carl Palmer, bienvenue à Paul Hammond derrière les fûts et à John Du Cann à la six-cordes et au micro. Mais qui est alors à la basse ?! Et bien...personne ! Vincent Crane a en effet décidé qu’il ferait lui-même les parties de basse aux claviers. Tant que la musique est bonne...
Côté bonne musique, Sylvain et moi écoutions la même, du
Hard 70’s jusqu’au Thrash 80’s : c’était notamment un fan de
Deep Purple (mais période
Ian Gillan uniquement !), et lisions les mêmes BD, notamment Blueberry. Il savait que la mort marchait derrière lui et lui présenterait son hommage aiguisé bien avant l’heure habituelle. Durs moments à partager entre potes, quand tu sais pertinemment que tu ne peux rien faire contre ça et que tu vois jour après jour l’état de ton ami se dégrader et que devras un jour l’accompagner jusqu’à sa dernière demeure...Jamais négatif, il gardait toujours un espoir et ne se lamentait jamais. Un exemple pour moi par la suite.
A 18 ans, il a passé le Bac en fauteuil électrique avec un gars qui écrit ce que lui dictait mon pote (pas la force d’écrire), la colonne vertébrale fixée par 2 tiges métalliques pour ne pas tomber. On a fêté notre succès en écoutant We Are The Champions !!
Champions du Top 50,
Atomic Rooster ne l’était pas jusqu’à ce que le single "
Tomorrow Night" arrive à la 11ème place en Février 1971, propulsant les ventes de l’album à la 12ème place des charts britanniques et leur offrant une place à la fameuse émission TV "Top of The Pops". Le groupe aura d’ailleurs dû faire "le coup de poing" à la fin de l’émission, des jeunes fort mal intentionnés ayant décidé de leur "emprunter" leur matériel !
Le coup de poing, j’en ai mis un avec plaisir en compagnie de Sylvain : quand le gros quadragénaire directeur du ciné l’Artistic d’Orléans nous a refusé l’entrée sous motif qu’il n’acceptait pas la présence d’un chien, même si c'est un chien d'handicapé dans son cinéma. On a tenté de négocier, le ton est monté et il a demandé à ses vigiles de nous raccompagner. Il a alors reçu son dû, et si les gros bras ne m’avaient pas ceinturé il n'en aurait plus qu’un...
Le coup de poing dans la gueule, c’est aussi ce qui vous attend à l’écoute de cet album si comme moi vous aimez le
Hard et le Prog 70’s : l’album commence par la chanson éponyme, où une ambiance lourde digne du grand Sabbath cueille immédiatement l’auditeur. Attention à la faux... Reprise quasi note à note et sans saveur particulière par le groupe de
Metal Gothique "
Paradise Lost" en 1992, et de manière quelque peu plus personnelle par le groupe de Heavy Prog "
Bigelf" en 2002, cette chanson est un condensé du meilleur de l’album.
Vous voulez des titres directs, accrocheurs et sans fioritures ? Y’en a ! On retrouve l’inévitable succès "
Tomorrow Night", le morceau le plus connu de l’album (et pourtant le moins inspiré), et le groovy "I Can’t Take
No More". Vous voulez du Prog testostéroné ? Y’en a ! "
Seven Streets" vous comblera, où l’ami Paul Hammond martyrise ses fûts pour notre plus grand bonheur ! Quelle pêche ! Vous voulez des solos de Fender à vous casser les doigts à force d’essayer de les reproduire ? Y’en a ! Tentez par exemple celui de la dynamique "Sleeping For Years" et on en reparle.
Un album de 1970 aux relents de Prog sans plage instrumentale, est-ce possible ? Evidemment non ! "VUG" (et non VGE, lui la mort lui coure toujours après !) nous démontre la maestria des musiciens et la parfaite entente musicale entre le clavier et la guitare, en chorus ou chacun répond à l’autre, chacun ayant son moment de gloire. Envoûtant ! Quant à "Gershatzer", typique d’un prog musclé teinté de psychédélisme elle clôture en beauté cet album intemporel.
Comme beaucoup de groupes de cette époque propice aux improvisations incessantes,
Atomic Rooster donnera sa pleine mesure en
Live où les duels de soli entre la six cordes endiablée de Du Cann et l’orgue hypnotique de Crann feront chavirer plus d’un mélomane. A découvrir !
La mort marche derrière toi...
Malgré sa cape et son âge canonique, elle court parfois tellement vite qu’en 1989 elle rattrapera Vincent Crane, parti au royaume des ombres à cause d’une overdose d’anti-douleurs. Mais la moissonneuse d’âmes en peine ne saurait se satisfaire d’une unique proie. Elle affûtera sa lame d’acier pour faucher Sylvain le 17 septembre
2012, peu de temps avant ses 29 ans. L’ombre a rattrapé sa proie et désormais, lui et tant d’autres partis trop tôt sont en train de "Sleeping For Years"...
En hommage à Sylvain – 06/12/1983 – 17/09/
2012
Belle leçon d'histoire, je ne connaissais pas ce groupe, merci Matt pour cette invitation à la découverte.
Je ne connais pas ce groupe au nom improbable (putain Coq Atomique quand même ...), je vais tendre l'oreille attentivement dans les semaines à venir.
J'aurai pu en entendre parler plus tôt si je n'avais commencé avec Paradise Lost qu'à partir de "Icon", soit l'album qui a suivi leur cover. Raté de peu, c'est ballot :-)
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