Difficile pour une verte formation de s'illustrer dans une arène metal symphonique à chant féminin aujourd'hui encore en proie à une féroce concurrence ; nombreuses sont celles à en avoir fait l'expérience, soldée par une disparition prématurée des tabloïds pour la plupart d'entre elles. C'est pourtant ce redoutable défi que souhaite relever ce duo ibérique cofondé en 2024 par le compositeur et pluri-instrumentiste Gabriel Abularach et par la soprano Angela Hicks.
Mû par un ardent désir d'en découdre, mais conscient des enjeux et des risques courus à brûler les étapes, c'est non sans une certaine prudence que le duo se lance dans la bataille. Ainsi, pas moins de trois singles («
Obitvs », «
Phebevs Fvror » et « Amo », successivement) nous seront octroyés, tout d'abord, soit trois des dix pistes de leur introductif album studio éponyme, sorti dans la foulée. Ce faisant, en quoi les 49 optimales minutes de la galette constitueraient-elles une arme que leurs homologues stylistiques pourraient avoir à redouter ? A l'aune de ce premier élan, nos gladiateurs seraient-ils dès lors en passe de se poser en de sérieux espoirs d'un espace metal qui ne les aura pas nécessairement attendus ?
Avec le concours du batteur Mike Podber, nos acolytes nous immergent au cœur d'un environnement rock'n'metal mélodico-symphonique à la fois classique et atmosphérique, empreint de touches progressives et folk, hispanisantes pour l'essentiel. A l'aune d'un set de compositions inspirées par
Diabulus In Musica,
Against Myself,
Midnattsol,
Eluveitie, entre autres, se dessine une œuvre aussi chatoyante et enivrante que romantique et pétrie d'élégance, où fusionnent une technicité instrumentale parfaitement rodée mais nullement ostentatoire, des mélodies finement esquissées et des plus enveloppantes, ainsi qu'une angélique et pénétrante empreinte vocale.
Côté production, le combo espagnol n'aura pas démérité, loin s'en faut : produit et mixé par John Iadeviao, l'opus bénéficie d'une qualité d'enregistrement n'accusant que de rares sonorités résiduelles, et d'un mixage équilibrant lignes de chant et instrumentation à parités égales. Autant d'atouts à mettre à l'actif de nos acolytes, laissant augurer une croisière des plus sécurisantes à bord du vaisseau amiral. Aussi, levons l'ancre sans plus attendre, et laissons-nous guider par nos hôtes dans cette mer limpide à la profonde agitation intérieure...
C'est à la lumière de son passage le plus enfiévré que le collectif marquera ses premiers points. Ainsi, «
Phebevs Fvror » se pose tel un mid/up tempo aux riffs épais dans le sillage de
Diabulus In Musica. Sous-tendu par un délicat picking à la guitare acoustique imprégné d'hispanisantes sonorités, judicieusement investi de puissants coups de boutoir, calé sur une mélodicité toute de fines nuances cousue, jouant à plein sur les effets de contrastes atmosphériques et rythmiques, et recelant un refrain immersif à souhait mis en exergue par les ensorcelantes inflexions de la sirène, le vibrant méfait ne se quittera qu'a regret. Mais le magicien aurait d'autres tours encore dans sa manche...
Un tantinet moins véloces, d'autres espaces d'expression sauront non moins aspirer le tympan du chaland. Ce que prouve, d'une part, «
Daemon », mid tempo syncopé aux riffs vrombissants et tournoyants, à mi-chemin entre Diabulus On Musica et
Against Myself ; pourvu de séries d'accords finement sculptées et mis en habits de lumière par les angéliques impulsions de la déesse, et en dépit d'un break à mi-morceau déclenché semblant s'étirer inlassablement, le manifeste ne lâchera pas sa proie d'un iota. Dans cette énergie, on pourra encore se voir happé par les vibes enchanteresses insufflées par « Vvltvs », mid tempo symphonico-atmosphérique folk dans la veine coalisée d'
Eluveitie et de
Diabulus In Musica. S'égrainant le long d'un seyant paysage de notes et pourvu d'un bref mais seyant solo de guitare, le félin mouvement n'aura pas tari d'armes efficaces pour asseoir sa défense et se jouer des nôtres.
Lorsqu'il en vient à flirter avec la fibre symphonico-progressive, le combo trouve, là encore, matière à nous retenir plus que de raison. Ainsi, la fresque « Hiatvs » déverse ses quasi six minutes d'un parcours à la fois épique et enivrant, mâtiné d'une teinte folk ; mis à l'honneur par les poignantes modulations de la princesse et recelant d'insoupçonnées et frissonnantes montées en régime du corps orchestral, cet effort à la confluence de
Eluveitie,
Midnattsol et
Diabulus In Musica poussera assurément le chaland à une remise en selle aussitôt la chute finale amorcée.
Quand nos compères investissent d'intimistes espaces, les plus nombreux de ce set de partitions, ils s'y adonnent avec une infinie délicatesse, nous livrant par là même leurs mots bleus les plus sensibles. Ce qu'illustrent, en premier lieu, «
Obitvs » et « Evanescens Vestalis », aériennes ballades progressives, toutes deux dotées d'un subtil picking à la guitare acoustique à la colorature flamenco ; eu égard à l'infiltrant cheminement d'harmoniques qu'elles nous invitent à suivre, qu'empruntent les pénétrantes oscillations de la maîtresse de cérémonie, c'est d'un battement de cils que ces tendres aubades aspireront le tympan de l'aficionado de moments tamisés. Un poil plus en retenue, « Kore » se pose, elle, telle une gracieuse ballade, où des percussions tout en légèreté marquent de leur empreinte un espace ouaté sous-tendu par un guitare acoustique/voix lyrique d'une confondante fluidité. Et la magie opère, une fois encore.
En l'absence de tout marquage percussif, d'autres plages pourront non moins nous assigner à résidence. Aussi, pourra-t-on encore se voir happé par les touchantes séries d'accords égrainées par « Amo » et «
Imber », ballades a-rythmiques d'une sensibilité à fleur de peau ; axées, à leur tour, sur un grisant guitare acoustique/voix lyrique, ces classieuses et hispanisantes offrandes sont de véritables invitations au voyage en d'oniriques contrées. Sur un même modus operandi, la ballade atmosphérique «
Imber Aridvs » se fait, quant à elle, aussi énigmatique que frileuse, un brin sensuelle. En l'absence de tout dispositif percussif et laissant entrevoir une ligne mélodique, certes, agréable mais un tantinet linéarisée, in fine, plusieurs passages circonstanciés s'avéreront nécessaires pour en saisir toutes les subtilités d'harmoniques.
Résultat des courses : force est d'observer que nos acolytes nous livrent une œuvre aussi pénétrante que rayonnante, jouissant d'une ingénierie du son plutôt soignée et d'une technicité instrumentale et vocale parfaitement affutée. Pour se sustenter, d'aucuns auraient sans doute espéré une offre plus étoffée en matière d'exercices de style, par l'octroi d'instrumentaux et autres duos, notamment. Il conviendrait également que le combo consente à l'une ou l'autre prise de risque tout en s'affranchissant peu à peu de ses modèles identificatoires, afin de conférer davantage d'épaisseur artistique à son projet. Carences partiellement compensées par des sentes mélodiques finement esquissées et, le plus souvent, engageantes, volontiers doublées d'une chatoyante fibre hispanisante, cette dernière insufflant précisément ce petit supplément d'âme à un propos d'une confondante délicatesse. Bref, un introductif mouvement profondément intimiste et pétri d'élégance, autorisant dès lors l'accès de la troupe au rang d'espoir de ce registre metal. Affaire à suivre, donc...
Vous devez être membre pour pouvoir ajouter un commentaire