Encore une énième formation metal symphonique à chant féminin, vouée comme tant d'autres à une disparition prématurée, me direz-vous, et vous auriez raison. Hypothèse largement admise et que tente précisément d'invalider ce jeune sextet canadien basé à Edmonton. Créé en 2014 par l'auteur/compositeur et claviériste géorgien Anri Tsiskaridz, le combo a d'ailleurs placé la barre haute, souhaitant désormais défier
Elvellon,
Beyond The Black et autres
Walk In Darkness ou
Metalwings. Dans ce dessein, le maître d'oeuvre s'est entouré de talents tels que : la frontwoman Karli Romyn, aujourd'hui remplacée par McKenna Rae ; le batteur et arrangeur Danial Devost ; le guitariste et growler Mike Bell ; le lead guitariste Cody LLoyd (ex-Ironstorm) et le bassiste Dylan Mooney (The Spruce Moose, ex-Blëed), intronisé en 2018, succédant alors à Darien Schillinger.
De cette fructueuse collaboration émane ce premier album full length intitulé «
Dark Lights of Delirium », faisant suite aux deux singles «
A World Outside » (2016) et «
Beast of Oblivion » (2018). Ce faisant, le groupe nord-américain nous octroie une auto-production généreuse de ses 50 minutes et sur lesquelles se succèdent 9 pistes d'obédience power mélodico-symphonique, à la fois vivifiantes, enivrantes et émouvantes. Et ce, non sans rappeler
Nightwish (première période),
Xandria (seconde mouture),
Sirenia,
Ancient Bards,
Delain et
Dark Sarah. Indice révélateur d'une réelle envie d'en découdre, le combo a particulièrement soigné son ingénierie du son, à commencer par un mixage équilibré à parités égales entre lignes de chant et instrumentation, signé Danial Devost. Quant au mastering, il a été laissé entre les mains expertes d'un certain Mika Jussila, connu pour avoir oeuvré auprès d'
Amberian Dawn,
Nightwish,
Tarja,
Amorphis,
Sirenia,
Edenbridge...
La thématique de cet opus se réfère à la série télévisée de vulgarisation scientifique « Cosmos » créée par l'astrophysicien américain Carl Sagan, d'après son œuvre éponyme. Ainsi, les paroles nous renvoient à la fois au vaste monde de l'imaginaire et à celui de l'enfance, aux sentiments amoureux et à l'univers onirique. De nombreuses péripéties jalonnent alors notre parcours au fil de ces pistes, nous faisant passer d'un optimisme absolu à une fin des plus tragiques. Aussi, chacune des chansons se suffit à elle-même tout en étant savamment liée aux autres, ayant alors toute sa raison d'être. Et ce, sans omettre ni la féconde inspiration, ni la finesse de plume de leur auteur...
S'il est des espaces d'expression où le collectif canadien n'a tari ni d'allant, ni d'emphase, celui des fresques symphonico-progressives serait de ceux-là. Ainsi, une fois passée la cinématique, brève mais troublante entame instrumentale «
Aurora », on plonge dans un océan de félicité à l'aune de « Ad
Infinitum » ; ''nightwishienne'' et plantureuse offrande polyrythmique abondant en riffs massifs et où les effets de surprise sont loin de manquer à l'appel. Sous-tendue par les chatoyantes patines de la sirène, la pièce en actes témoigne d'arrangements instrumentaux d'excellente facture et d'un sens mélodique difficile à prendre en défaut, que pourraient bien leur envier nombre de leurs challengers patentés. Dans cette mouvance, on ne demeurera pas moins impacté par les vibes enchanteresses de « Voyage to the World's
End », altière et chevaleresque proposition à mi-chemin entre
Dark Sarah et
Xandria. Dans ce champ de turbulences évoluent au coude à coude les cristallines volutes de la belle et les serpes oratoires de son acolyte de growler, et ce, pour un étrange et captateur bal des vampires.
Quand nos acolytes nous mènent droit sur des charbons ardents, force est d'observer qu'ils parviennent bien souvent à nous retenir plus que de raison. Ainsi, en dépit de leur mélodicité certes accrocheuse mais donnant une impression de déjà entendu, le puissant «
Beast of Oblivion » comme le mordant «
Arcane Shores (Compass to Light) » tirent tous deux leur épingle du jeu. Déployant chacun une inaltérable et dévastatrice dynamique percussive, à la manière d'
Ancient Bards, ces deux up tempi d'obédience power symphonique offrent également nombre de variations atmosphériques, de magnétiques refrains et un corps oratoire qui, progressivement, s'enrichit de choeurs samplés. Bref, deux soufflants efforts appelant une remise du couvert aussitôt l'ultime portée évanouie... On ne sera pas moins bringuebalé par le convoi instrumental de l'impulsif et pimpant «
Pale Blue ». Enjolivés par les claires inflexions de la déesse, couplets et refrains du ''delainien'' manifeste glisseront avec célérité dans nos pavillons alanguis.
Soucieuse de varier ses ambiances, la troupe nous propulse, par ailleurs, dans d'orientalisantes et féeriques contrées. Ainsi, l'accroche s'effectuera sans encombres sur le sulfureux et hypnotique « Starbreathe » qui, au regard de son impressionnant et virevoltant dispositif orchestral, évolue dans l'ombre d'un
Epica estampé « The Divine
Conspiracy ». Dans cette tourmente, les félines modulations de la maîtresse de cérémonie aspireront en leur sein plus d'une âme rétive.
Lorsqu'ils ralentissent la cadence, nos six gladiateurs nous réservent là encore de sémillants instants, dignes des grandes signatures du metal symphonique à chant féminin. Ce qu'illustre précisément « Last Curtains
Fall », radieux mid tempo cinématico-symphonique à la croisée des chemins entre
Epica et
Nightwish. Délivrant une stupéfiante force de frappe et une grisante gradation du corps instrumental, le saisissant instant ménage aussi un break opportun prestement balayé par une bondissante reprise sur un entêtant refrain. Par ailleurs, d'insoupçonnés changements de tonalité inondent une plage sous-tendue par une imposante muraille de choeurs ; plage réservant, en prime, un élargissement du spectre vocal de la princesse, aux faux airs de Simone Simons (
Epica). Peut-être bien la pépite de l'opus...
Pour les aficionados d'intimistes moments, ils n'auront pas été laissés pour compte, loin s'en faut. Ainsi, l'impact émotionnel sera difficile à esquiver sur « Crestfallen », somptueuse et pénétrante ballade atmosphérique et progressive dans l'ombre d'un
Nightwish de la première heure. Mis en habits de soie par les ensorcelantes impulsions d'une interprète bien habitée, l'instant privilégié se pare de séduisants atours. Sonnent alors les tambours parallèlement à une flûte gracile sur un tendre et troublant mouvement que l'on ne quittera qu'à regrets.
On effeuille donc une œuvre à la fois vitaminée, épique, entraînante, romantique, aux harmoniques subtils et à la mélodicité raffinée, n'accusant aucune baisse de régime. De plus, le message musical s'avère éminemment varié sur les plans atmosphérique, rythmique et vocal, diversifié quant aux exercices de style dispensés, et bénéficie d'une logistique et d'arrangements passés au peigne fin. Certes, on regrettera le manque criant de prise de risques et des suites d'accords souvent empruntées à leurs maîtres inspirateurs. Si cet état de fait traduit un manque d'épaisseur artistique accolée à ce projet, un réel potentiel technique s'esquisse déjà à l'aune de cette offrande. Aussi, quelque quatre années suite à sa création, le combo canadien signe là son premier coup de maître. La concurrence n'a qu'à bien se tenir...
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