Comme souvent avec Cryo Chamber, on découvre de nouvelles têtes dont on ne sait rien. Enfin, quasiment. Car Maximillian Olivier, qui se cache derrière l'avatar du jour, a déjà profité du tetrasplit (on va dire que ce mot existe) Tomb of Empires, toujours sur le même label et avec des habitués du genre, pour se vendre un peu et préparer la sortie qui nous intéresse aujourd'hui. Et j'avoue que ses deux longues pistes "Chimes of the Infortunate" et "
Blood Lit Skies" m'avaient particulièrement marquées, leurs drones viscéraux agrémentés de notes instrumentales mystico-éthérées se posant parfaitement en ouverture et fermeture d'un opus qui déchire momentanément l'espace-temps ; un coup d'œil vers la dimension d'un artiste qui mettait donc bien en bouche fin 2014. Et nous voilà donc maintenant (faites comme si
Dakhma venait de sortir) avec son propre album dans les mains, prêt à cracher ses sombres tripes créatives dans nos pavillons prudes (lol).
Reprenant globalement son format de longues pistes qui semble lui convenir et convient d'ailleurs bien au genre, Council of
Nine déroule en six mouvements une interprétation singulière d'un rite post-mortem perse du millénaire dernier, chaque piste reprenant le nom d'un de ses éléments. Je concède avoir mis du temps à rentrer dans l'album, faute d'implication personnelle ; à tort. Car pour bien écouter cet album, il est recommandé de s'interroger sur l'origine des mots utilisés, faisant tous écho à la manière qu'ont les pratiquants du mazdéisme de s'occuper de leurs morts. Les sons prennent alors un tout autre relief. Il est intéressant d'avoir en tête le souci particulier de pureté préoccupant ces croyants, considérant comme « Nasu », c'est-à-dire « impures » des choses telles se couper les ongles, les cheveux ou uriner. C'est également le cas des corps des personnes décédées, et ce sont ces derniers qui soutiennent les piliers de la création de
Dakhma. En effet, le mazdéisme décrit les quatre éléments constitutifs de l'univers (à savoir l'eau, l'air, la terre et le feu) comme sacrés ; il a donc fallu trouver d'autres moyens que la crémation, l'immersion ou l'inhumation pour que les corps ne les souillent pas. C'est là qu'apparut l'idée des dakhmās, traduits par « tours de silence », des édifices en pierre surélevés et où seront exposés les corps des défunts livrés essentiellement aux charognards.
Lorsqu'on s'est imprégné de cet arrière-plan morbide et mystique, on remettra les pièces du puzzle en place sans peine, l'album se plaçant à la croisée des mondes à l'instar des tours de silence qui lui ont donné son nom. Une galette aux drones monolithiques, infranchissables et irrésistibles, qui malgré leur présence indispensable resteraient stériles sans l'ajout parcimonieux d'éléments sonores aux origines incertaines. Mélodies de piano décousues, chuchotements fantomatiques, textures abrasives aux parents indus lointains sont les clés qui maintiennent le portail ouvert entre l'avant et l'après. Et bien que les différentes pistes empruntent leurs titres à des endroits, personnages ou actions concrètes liés à cette cérémonie posthume, les compositions de Council of
Nine aspirent plutôt à transcrire en sons l'évolution de notre état émotionnel et spirituel au cours de cette épreuve de vie et de mort, de deuil primaire et d'allégresse ultime.
Les lourdes nappes synthétiques semblent simuler le poids a priori insurmontable de l'affliction durant toute l'écoute, et la réverbération renforcera les sentiments de solitude et de vide qui nous envahissent nécessairement ; mais comme vu précédemment, ce seront les petits éléments sonores qui donneront leurs nuances aux six chapitres. Murmures de la crainte dans "
Tower of
Silence" ou "Nasu", piano perdu, parfois dissonant, de la tristesse dans "The Magi" ou "The
Ossuary", murailles soniques de la transcendance dans "
Circle of the Sun", l'ensemble du travail cherche à exprimer l'intensité des émotions qui nous submergent au travers d'une profusion de détails et d'harmoniques insoupçonnées à la première écoute.
J'aurais presque envie de dire que Council of
Nine sait exactement de quoi il parle en composant sur le sujet de la mort et du deuil, et que ces pratiques rituelles perses reflètent sa manière d'aborder des moments toujours tragiques dans une existence. Sans sombrer dans la caricature ou l'excès, à l'exception peut-être de "
Sacrifice" qui aurait gagné à être écourtée, les échantillons qu'Olivier nous présente transpirent le vécu et le sincère, prenant l'allure d'une catharsis marquant un nouveau départ. Il est très facile de tourner en rond dans le domaine du drone et du dark ambient, mais l'implication très probable de souvenirs personnels du musicien dans son œuvre lui donne une richesse particulière ; un travail qui ne va pas sans rappeler le fond d'un certain The Whole
Path Of
War And Acceptance par
Halgrath.
L'essai dans Tomb of Empires se transforme donc ici dans
Dakhma, abordant sans outrance et clichés les thèmes du décès, du chagrin et de la résurrection spirituelle qui doit s'en suivre pour éviter le repli sur soi. Un album qui ne se contente pas de décrire objectivement une tradition millénaire, mais pourrait bel et bien porter les stigmates de son auteur, utilisant l'objet comme récipient de délestage et la composition comme une thérapie vers la renaissance.
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