Corpo-Mente

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15/20
Nom du groupe Corpo-Mente
Nom de l'album Corpo-Mente
Type Album
Date de parution 24 Mars 2015
Labels Blood Music
Style MusicalMetal Atmosphérique
Membres possèdant cet album12

Tracklist

1. Scylla 04:21
2. Arsalein 04:07
3. Fia 03:44
4. Velandi 03:29
5. Dorma 05:22
6. Dulcin 05:44
7. Equus 02:47
8. Ort 03:57
9. Saelli 03:38
10. Encell 03:13
Total playing time 40:27

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Corpo-Mente


Chronique @ Jordanli

31 Mars 2015

Un divin labyrinthe cachant les monstres les plus terribles

Il était une fois...

... Le pouvoir de ces mots n'est-il pas incroyable et étonnant ? Il suffit de les dire pour qu'immédiatement on soit prêt à plonger dans des univers magiques et irréels, peuplés de créatures fantastiques, de nains, de dragons, de géants, de chevaliers... Mais des univers dans lesquels se déroulent des actes aussi monstrueux et inconcevables. Ouvrons Les Contes de ma mère l'Oye de Charles Perrault pour nous en assurer : dans Le Petit Poucet, nous assistons au spectacle effroyable d'un ogre qui, pour retrouver le personnage éponyme, massacre ses sept filles ; et qu'est-ce que La Barbe-Bleue sinon l'histoire d'une femme trop curieuse qui découvre une chambre maculée par le sang, traces d'autres femmes qui ont été égorgées auparavant ? Et pourtant, l'enfant demande à entrer dans un tel univers, c'est un besoin presque vital. Car, le conte, entre rêve et cauchemar, par la mise en scène d'événements traumatiques, est cathartique, il est un moyen de laisser libre cours à ses pulsions pendant quelques temps afin de mieux les maîtriser (ou les cacher?) par la suite – pour l'enfant, il est formateur.
Alors, mélanger le conte et le metal, est-ce une bonne idée ? Cela se fait assez rarement, le metal étant la musique du sang, de la violence, du diable... – Attendez, c'est un peu cliché ça... Plus sérieusement, citons quelques cas qui font exception, comme Marilyn Manson et son Eat Me, Drink Me s'inspirant clairement d'Alice au pays des Merveilles ou certains albums d'Ayreon ; il y en a sûrement d'autres, mais faire une liste serait barbant.

Il était une fois...

... Gautier Serre. Est-il encore besoin de présenter cet artiste hyper productif, ayant contribué à l'histoire de quatre groupes (Whourkr, Öxxö Xööx, Igorrr et maintenant Corpo-Mente) aux styles toujours différents ? Mais le plus fascinant chez M. Serre, c'est de voir que sa musique passe par certaines périodes, un peu comme chez les grands peintres : ultra-violence avec Whourkr, le corps puis le sacré dans Igorrr, le monde de l'enfance avec Maigre (toujours chez Igorrr) et désormais dans Corpo-Mente. C'est justement la production de ce groupe-là, qui porte le même nom que le groupe lui-même, qui va nous intéresser aujourd'hui.
Et, puisque l'on parles de contes, on peut bel et bien dire que la création de cet album fut une histoire tourmentée, faite d'attentes très longues. 26 février 2013 : la page Facebook du groupe, rassemblant Gautier Serre mais aussi Laure Le Prunenec, est créée et, très rapidement, deux mois après, un morceau sublime, « Dorma », sort sur YouTube. Svarta Photography, qui travaille beaucoup avec Igorrr, fait pour ce morceau une photo – était-ce la première pochette prévue pour l'album ? – aux tons blanchâtres et verdâtres mettant en scène un papillon, très probablement mort, laissant déjà prévoir une trajectoire torturée, voire une chute. Puis plus rien. Une année entière passe sans nouvelle ou extrait. Laure Le Prunenec travaille sur un projet solo, Rïcïnn, tandis que Gautier Serre se penche sur Igorrr et Öxxö Xööx. « Dorma » était-il donc un morceau à part dans la carrière de Gautier Serre ? Corpo-Mente était-il un rêve, l'espace d'une chanson, vouée à disparaître ? Mais tout s'accélère en 2014 : l'artiste confirme que l'album est toujours en préparation, de nouveaux extraits sortent, puis un clip, et c'est enfin en mars 2015 que Corpo-Mente est disponible à l'achat.

Il était une fois...

... Le petit chaperon rouge. Peut-être. C'est ce que nous pouvons supposer en voyant cette petite fille vêtue d'une robe, perdue en pleine forêt, sur la pochette du disque faite par Førtifem, nom cachant en réalité deux artistes parisiens, Jessica Daubertes et Adrien Havet, qui ont aussi fait des illustrations pour Opeth, Ulver, Alcest... et aussi pour le Maigre d'Igorrr. Une chose est sûre : cette pochette se révèle être, selon moi, plus intéressante que celle de Maigre, que je trouvais quelque peu fade. C'est bien une scène de cauchemar qui se présente sous nos yeux. La forêt, monde que l'on associe souvent à la perte, au labyrinthe, lieu de la sauvagerie, de la barbarie, prend toute la place. Les branches et racines dépassent même le cercle limitant la scène : la promesse d'harmonie se retrouve brisée et la monstruosité contamine le dehors. La petite fille – est-ce vraiment un chaperon rouge quand on voit le chapeau qu'elle porte ? – isolée, se tient au centre de la scène, la tête penchée, comme curieuse, les yeux pleurant du sang (transposant du coup le rouge du chaperon vers les yeux), regarde le spectateur. Est-ce là l'invitation directe à entrer dans ce monde torturé dans lequel toute sortie est inaccessible, ce que l'on remarque avec le brouillard qui s'ouvre devant nous ? Notons enfin le ton vert qui domine, couleur sombre, celle de la nausée et de la mort ainsi que le tissu, matière de l'enfance (celle de la peluche, etc.) qui entoure la scène. Comme je l'expliquais, c'est dans le monde du conte que nous entrons, mais dans ses aspects les plus noirs et terrifiants...

Était-il une fois de plus...

... Igorrr ? Certes, Gautier Serre officie dans un genre radicalement différent par rapport à ceux de d'habitude. Le metal pratiqué dans cet album est moins nerveux et excentrique, plus paisible – encore que... –, bien plus atmosphérique. Cependant, il n'oublie pas ses racines et, pour donner cette dimension angoissante, incorpore avec brio certaines touches de metal extrême et de breakcore. « Arsalein », lorsqu'il tire à sa conclusion, se démarque pour cela avec une guitare aux effets très saturés, voire grésillants, donnant au morceau un air de black metal presque sale aux oreilles, et aussi par l'apparition de breaks accélérant le tempo du morceau alors que la guitare sèche adopte un ton plus répétitif et envoûtant. Aussi, le début de l'album place-t-il déjà l'auditeur dans une position de malaise, de déséquilibre, métamorphosant sans cesse le rêve en hallucination cauchemardesque et inquiétante. « Dulcin » a une structure assez similaire. Ne nous laissons pas avoir par le titre, trompeur – on pense à dulcinée, ou au mot italien dolce (qui veut dire gâteau), bref, des termes doux et positifs – car « Dulcin » est définitivement un des morceaux les plus sombres de l'album par son début qui nous laisse entendre un violon déchirant (joué par Benjamin Violet – encore lui !) puis son rythme très lent et sa batterie écrasante, renouant avec l'univers du doom metal, d'autant plus que le morceau s'achève sur une sorte de note d'orgue s'étirant en longueur et s'achevant brutalement. Toujours est-il que ce morceau est encore un exemple parfait de ce balancement perpétuel, presque désagréable, entre le monde sucré de l'enfance annoncé par le titre et la tourmente mise en scène.
« Saelli » et « Equus », quant à eux, sont des moments lors desquels Gautier Serre laisse éclater sa folie créatrice. Le premier se fait plus vif et brutal par les effets de guitare électrique distordue, les sons de cymbales renversées, le chant de Laure Le Prunenec déformé et entrecoupé, mais aussi l'apparition de l'accordéon, transformant le morceau en une sorte de valse populaire macabre. Cette danse des morts s'achève par un solo au piano merveilleux bien qu'atrocement mélancolique. Le second, presque instrumental (si ce n'est qu'on entend brièvement le chant de Laure vers la fin), fait aussi intervenir un accordéon, joué par Fabien Serre, tandis que Benjamin Violet joue au violon une mélodie entraînante – oserions-nous dire guillerette ? La guitare, réverbérée, fait penser aux guitares de western, invoquant des paysages plus chauds. Notons l'obsession igorrrienne pour le cheval (que de chevaux et de poneys dans les albums d'Igorrr !), animal aux symboliques fortes en ce qui concerne la noblesse dans le conte – pensons au personnage du chevalier –, qui se remarque dans le titre « Equus ». « Ort » constitue un point paroxystique de l'album en termes de violence : après une décomposition du morceau, jusqu'à effacer la musique pour la faire devenir bruit, Laure Le Prunenec remplace le chant délicat par des cris puissants – et effrayants, il faut bien le dire – alors que la guitare se fait plus agressive à nos oreilles. En un mot, Gautier Serre profite allègrement de son expérience dans le champ musical pour donner à cet album une ambiance qui, certes, ne laissera pas l'auditeur dans une déroute totale mais qui donnera tout de même une ambiance généralement plus obscure sur l'album.

L'or et...

... Laure Le Prunenec a une place de choix dans cet album. Alors qu'Igorrr est un projet créé de toute pièce par Gautier Serre, Corpo-Mente est aussi fondé par la chanteuse lyrique. Par conséquent, cet album est l'occasion pour Gautier Serre de créer une musique plus douce, voire lumineuse par moments, renouant avec les dimensions plus oniriques et merveilleuses du conte. « Dorma », le premier morceau dévoilé par le groupe, fait office de véritable berceuse – de toute façon, à quoi s'attendre avec un tel titre ? La guitare joue sur des effets de va-et-vient sonores, tandis que Laure Le Prunenec évite tout cri (bien que sa voix puisse passer du très grave au très aigu avec aisance). Malgré tout, la dimension dramatique n'est pas tout à fait évacuée par le crescendo du violon à la fin et par le fait que le morceau n'est pas une invitation au sommeil mais une obligation (dorma étant la forme impérative du verbe italien dormire, voulant dire « dors ! »). Même remarque pour « Scylla » dont la beauté est éclatante par l'utilisation de chœurs mettant en valeur la richesse vocale de Laure, mais dont le rythme traînant met mal à l'aise ; d'autant plus que le titre rappelle la gargantuesque créature de l'Odyssée d'Homère capable de dévorer des galions entiers.
« Fia » (qui me fait furieusement penser à « Lux fiat », « la lumière fut ») est un exemple parfait de l'oxygène que constitue – parfois – l'album. La voix de Laure Le Prunenec, splendide, brille par sa douceur. Les cris se font rares et la voix est d'autant plus mélodieuse. Paisible, voilà l'adjectif qui conviendrait pour ce morceau très atmosphérique, accompagné de piano, de violon et de guitare sèche. Cependant, nous ne pouvons pas nous contenter de ce constat, surtout lorsque l'on regarde le clip (pour l'instant le tout premier clip destiné pour une musique de Gautier Serre !) qui a été prévu pour « Fia ». S'il se déroule dans un lieu ouvert, une plage, si Laure tient un ourson en peluche dans la main puis danse, si l'on voit un enfant, il est difficile de penser à un monde paradisiaque. Les trois personnages (l'enfant, Laure et Gautier) sont seuls ; la plage est recouverte de rochers noirs et pointus ; une matière noire et poisseuse (symbolisant la tache ? Le péché ?) tombe en averse. Que de paradoxes dans ce morceau qui semblait si lumineux...
Je ne peux évoquer la dimension lumineuse de ce CD sans évoquer le travail exceptionnel sur la partie instrumentale. Si, comme je l'ai dit, beaucoup de morceaux jouent sur un aspect répétitif avec la guitare, provoquant tantôt l'angoisse, tantôt l'apaisement, d'autres se distinguent par leurs soli à couper le souffle, comme « Velandi » et son talentueux solo de piano ou l'ultime composition du CD, « Encell », dans laquelle Benjamin Violet montre une fois de plus sa maîtrise du violon dont le crescendo fait froid dans le dos. Autant de preuves pour montrer que Gautier Serre et Laure Le Prunenec ne se sont pas concentrés sur une violence pure, comme on pourrait le voir dans d'autres projets (surtout Igorrr, bien évidemment). Au contraire, elle se fait plus insidieuse, discrète – comme le conte qui plaît alors même que les événements mis en scène sont parfois d'une brutalité extrême.

Pourrons-nous vivre heureux ?

Cet album a été attendu. Longtemps.
Mais que l'attente est récompensée avec Gautier et Laure ! Corpo-Mente, clairement, est un coup de génie prouvant une fois de plus à quel point Gautier Serre sait faire profit de son talent musical, à quel point Laure Le Prunenec a une voix divine et diabolique.
Voyage doux comme le bruissement des feuilles mortes, doucereux, les deux artistes nous font glisser avec poésie dans un monde où les traumatismes de l'enfance, les cauchemars et la mort dansent autour de nous dans un ballet à la fois beau et macabre.
D'ailleurs, je tiens à préciser que le groupe a fait le pari de laisser à l'auditeur de fixer lui-même un prix pour le CD, ce qui veut dire que vous pouvez aussi l'acquérir gratuitement sur le Bandcamp de Blood Music.
Espérons en tout cas que le mariage musical entre ces deux talents que sont Laure et Gautier donne naissance à d'autres productions. Peut-être même, pourquoi pas, faire un projet avec Laurent Lunoir comme chanteur ?

« je vous défends d'y entrer, et je vous le défends de telle sorte, que s'il vous arrive de l'ouvrir, il n'est rien que vous ne deviez attendre de ma colère. » Charles Perrault, La Barbe-Bleue in Les Contes de ma mère l'Oye.

- Jordanli.

2 Commentaires

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corpsebunder50 - 31 Août 2023:

Une excellente chronique qui décrit et analyse de façon approfondie cette oeuvre atypique et complexe, mais qui mérite que l'on s'y attarde. Difficile d'accès, l'album est cependant d'une richesse et d'une complexité qui justifient une écoute approfondie. La prestation de Laure Le Prunenec est impressionnante.

Jordanli - 31 Août 2023:

@corpsebunder50 Ravi de voir que ma chronique suscite toujours quelques réactions ! Et c'est exactement ça : je reviens dessus de temps en temps, et toujours ce même frisson autour des oreilles. Igorrr peut créer n'importe quoi, ça me fait toujours ça !

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